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devroit être autorifé de demander fècours contre
les atteintes des faux goûts. & des faux agre-
mens , fouhaitons qu’au moins elle continue de
défîgner-avec un fouris ironique & par le nom
d'agréables les hommes en qui elle reconnoît les
ridicules affe&ations dont j’ai parlé ,- & que ceux
qu’on diftingue par les titres de nobles , d’élevés ,
de grands , évitent qu’enfin le fens de ces mots
ne prenne une teinte moins impo faute ; car il faut
obferver que le fens des mots , chez une Nation
mobile, eft variable comme elle ; enforte. que les
titres même les plus refpeétables, s’ils ne font
refpeétés par ceux qui les portent, peuvent devenir
des noms de dérifîon ; & qui fait fi le mépris
même n’auroit pas la hardieffe de les profaner i
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A IR , ( fiibft. mafc.) L ’a i r , dont l’idée commune
eft celle d’un élément invifible , fe rend
cependant fenfible aux regards des Artiftes-
Peintres, comme il le devient aux favans Phy-
iîciens par les obfervations & par les expériences
auxquelles ils le foumettent.
Cet élément, qui n’offre rien à ceux qui ignorent
tout, produit fur l’apparence des corps , les
effets les plus- marqués & les plus intéreffans pour
l’Artifte qui veut imiter exactement cette apparence.
En effet , diminuer par fon interpofitîon les
dimenfîons des corps , relativement à la diftance
où ils font de l’oeil du fpedateur, voilà l’effet
vifiBle de l'a i r : adoucir la teinte des objets, joindre
à leurs''couleurs propres , des nuances, qui lui
appartiennent, rendre enfin les formes plus ou
moins cara&érifées , plus ou moins indécifès ;
«voilà , en général, ce que font à nos regards, &
plus fenfiblement à.ceux du Peintre-, des atomes
que nous appelions invijibles.
Comment imiter ces effets aériens fur une fur-
face unie ? Comment peindre une fubftance qui,
n’ayant ni forme, ni couleur apparente, mêle
cependant un léger azur à toutes les teintes de
la Nature ? Ce ne peut être qu’avec le fècours de
l’artifice.
L ’Artifte ne peut donc pas', à cet égard, opérer
comme il fait relativement aux contours &
aux formes qu’il repréfente réellement, tels qu’ils
s’offrent dans leur apparence vifible. Sa feule rèf-
fource eft de rappelier à l’efprit de ceux qui
Voient les tableaux, les effets de l’a i r , de manière
que l’imagination croie qu’il circule entre les -
objets dont ce qu’on appelleplatte Peinture-, pré-
lente lés images»
Pour cela , le Peintre doit diftinguer & con-
fidérer avec une attention réfléchie, ce que produi-
fent fur les objets réels , en raifon des diftances ,
L a vagueffe de Y a ir ,
Sa légèreté,
Sa tranfpàrence;
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enfin, cette nuance éthérée dont j’ai parlé ?
nuance qui modifie toutes les couleurs & l’éclat
même de la lumière.
Reprenons par ordre ces qualités de l’a i r q u i
intéreffent particulièrement le Peintre.
L a vagueffe & l’ondulation continuelle des globules
imperceptibles de l’a ir , produifent dans les
contours ou dans le trait des- objets , cette douceur
8c ces interruptions agréables qui nous font
regarder , comme dures ; lourdes & découpées lès
imitations dans lefquelles ces effets ne font pas
retracés ou indiqués.
C’eft donc pour imiter les effets de l’a ir , & en
meme temps les accidens de la lumière , que le
Deffinateur & le Peintre ont l ’art de rendre leur
trait quelquefois fin , léger & prefqu’imperceptible,
quelquefois plus marqué , quelquefois enfin prononcé
fortement ; &Tc’eft ce dont il me femble
qu’on ne rend pas-compte autant qu’il lé.faudroit
à ceux qui commencent à s’exercer au defîin.
Cependant il eft efïèntiel de prévenir, dans ces
jeunes'Artiftes , les imitations machinales. Elles
ne font que trop communes, & il eft indifpec-
fable de leur apprendre à diftinguer & de leur
faire bien comprendre les rapports qui exiftént
entre les moyens de l’Art & les effets de la Nature.
■ •■■■■"'• '§ ■
L ’ufage eft de dire à l’Elève qu’on inftruit :
» Lorfque vous deffinez, tracez légèrement vos
» contours , interrompez - les ; faites - les fentir
» d’une manière plus marquée de temps en temps,
» en appuyant lé crayon ; prononcez les touches*
>> C’eft ainfî que ' voüs donnerez à votre trait de
» la grâce, du goût & de d’expreffion; «
Mais ne faudroit-il pas lui dire aufïi : » Obfer-
» vez le contour de ce modèle . expofe à vos
» yeux , & remarquez que le trait échappe à vos
» regards dans une infinité d’endroits-;' qu’il eft
» fenfible dans plufieurs autres ; qu’enfin, dans
» certains plans, dans certaines courbures , il eft
» très-prononcé. Lorfqu’il échappe à vos y eux ,
» c’eft que les derniers plans vifîbles de la fiirface
» que vous obfèrvez , s’inclinent infènfiblement
» pour difparoître à vos regards , & qu’étant
» éclairés d’une lumière douce qui gliffè fur eux§
» ils fe confondent avec le fond fur lequel ils le
» trouvent , & qu’ils échappent de manière que
» ' l’oeil les perd & ne les apperçoit réellement plus.
» L ’ondulation de Y a ir , indépendamment de fon
» interpofition, contribue encore à vous dérober
•>V les extrémités indécifès du trait. Vous paroît-il
» plus prononcé , plus diftinét ? c’eft que la teinte
» du fond, fur lequel l’objet que vous obfervez
b s’offre à vos regards , le trouve plus claire.
» Ainfi vous devez confidérer & retenir que c’eft
» par l’oppofition claire ou obfcure des objets
» avec leur fond que le diftinguent ces objets &
» leurs contours. Enfin , ces parties du contour,
» qui , fortement articulées , vous invitent à
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jç appuyer le crayon & a décider la touche, ce
» font les privations de lumière qu’éprouvent
» dans leurs courbures , certaines finuofités du
» trait qui les dérobent plus ou moins à la direc-
» don des rayons du;jour.
Dans le corps humain, fournis à vos obfèr-
» varions & à votre étude , les articulations , les
» emboitemens des membres , les gonflemens des
» mufcles dans différentes directions & différens
» mouvemens occafionnent les privations de lu-,
» raière qui décident fortement le trait ; on ex-
» prime ces accidens paf des touches, & comme
» les mouvemens des articulations & des mufcles
» font beaucoup plus apparens1 dans les corps
» vigoureux, ou dans les adions violentes, les
» touches fortes & énergiques plus autorifées,
» font partie de l’expreflion : mais il faut qu’elles
» foient placées & appuyées avec juftefTe.
» Voilà ce qui demande, de la part du Deffi-
» nateur & du Peintre , la plus grande étude &
» la plus févère attention ; fans cela, non-fèu-
» lement la touche ne produit pas l’effet qui doit
» en réfulter , mais elle n’eft le plus fbuvent
» qu’une forte d’affeétation arbitraire & de ma-
» nière, ,qui n’ont prefque point de rapport à la
»> nature. « --y i
L a touche ,, bien fentie, eft donc un des moyens
de donner l’idée du mouvement d’une figure , &
d’y faire appercevoir & devinçr le jeu des paffions.
Par une fuite d e . cette explication , la touche
arbitraire, qu’on regarde fi fouvent mal-à-propos
comme un ligne diftin&if de goût, n’eft qu’une
manière & un moyen qui m’exprime rien.
V eflons à cette tranfparence de Y a ir , qui permet
de voir les, objets, en lés couvrant cependant
d’un léger voile & en modifiant feulement leurs
appàrences.
L ’interpofition plus ou moins confidérable de
Y a ir prive les couleurs d’une partie de leur éclat,
dont la vivacité blefferoit fbuvent l’organe de la
vue , s’il n’étoit adouci.
C’eft cet effet de l’a i r , ( l’un des plus difficiles
à rendre avec juftefTe , ) qui décide cependant de
la plus ou moins grande vérité de l’apparence des
objets, relative ment ~au plan qu’ils occupent*
L ’Artiffe , qui a l’ambition d’être appellé Colo-
rifte , facrifie fbuvent l’effet nécefïaire de l’inter-
pofitibn de, l’a i r , qui lui impo fe la loi de rompre
fes couleurs , & il préfère alors un faux éclat à
la vérité.
Un autre, plus touché de la douceur que les
couleurs peuvent emprunter de Tinterpofition de
l’a ir , s’ occupe tellement à rompre fes tons, à en
voiler l’éclat, qu’il tombe dans un coloris foible,
dans lequel les couleurs locales ne font pas dé-
fignées précifément. Il manque également, par
cette route oppofée à la précédente, le but de la
Peinture.
L ’un, donne à fa couleur le tranchant qu’on
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trouve aflëz fbuvent dans les Peintures en émail
qui font imparfaites ; l’autre , l’efpèce de con-
fûfîon de tons indécis qu’offrent des tableaux en
Paftel qui ont été légèrement frottés.
Ces dernières obfervations regardent particulièrement
-les objets qui fe trouvent fur les pre-r
mi ers plans d’un tableau & qui y font éclairés
des principales lumières ; mais les derniers plans
& les fonds exigent que le Peintre s’occupe , en
les colorant, de défigner Tinterpofition de Y a ir ,
plus fenfible dans l’éloignement. Il me refte à
parler de cette nuance légèrement azurée, qui
provient aufïi de Tinterpofition de l’élément in-
vifible.
Cette nuance , tantôt plus fo rte , tantôt moins
colorée, s’pbferVe dans les lointains, & y domine,
dans plufieurs momens fur la couleur des montagnes
; effet, qui eft quelquefois extrêmement
fenfible dans la nature, & que quelques Payfa-
giftes ont exagéré.
On ne peut entrer dans les détails d’effets que
produifent les vapeurs habituelles , ou ces légers
brouillards qui modifient Y air & qui lui. donnent
une couleur plus ou moins fenfible.
Ce que les Artiftes doivent, à cet égard, obferver
fur la nature, ce font les effets qui fe prér
fentent le plus fbuvent les mêmes dans certaines
heures du jour, dans certaines faifons, & qüi,
relativement aux afpeds du foleil , rendent les
couleurs des lointains plus ou moins azurées.
Mais l’Artifte doit cependant éviter de repré-
fenter avec trop de fidélité les accidens, lorfque
dans la nature i l s .femblent exagérés; parce que,
dans les repréfèntations de la Peinturé, les accidens
extraordinaires & rares paroiflènt des men-
fonges , & que la vraifemblance la plus parfaite
eft proprement la vérité de la Peinture , ainfi que
de tous les Arts d’imitation.
Quelques Maîtres célèbres , tels que Paul B r ill,
les Breugles , d’autres encore, ont eu le défaut
dont je cherche ici à préfèrver les Artiftes. Au
refte, cette obfèrvation, fiir le vrai invraifèm-
blable, pourroit s’étendre fur prefque toutes les
parties de la Peinture.
Les effets, trop prononcés , fe peuvent comparer
aux objets fur lefquels on infifte trop fortement,
en parlant ou en écrivant. L ’auditeur, ainfi
que çelui qui l i t , ou qui regarde un tableau, fe
livre, d’autant moins à l’illufion , qu’on femble le
vouloir contraindre davantage à s’y prêter.
Au refte , il faut obferver que-quelquefois les
nuances trop azurées des fonds de tableaux
peints depuis long-temps , fe trouvent bleffer les
yeux & l’accord, parce que les couleurs qu’on
a employées ont acquis un ton plus fort, ou que
Y outremer, dont fe font fervis plufieurs Peintres,
a confervé, toute fa valeur, tandis que d’autres
couleurs ont perdu celle qu’elles avoîent. J e
parlerai plus particulièrement de ces accidens ,
q u i, funeftes aux meilleurs ouvrages, occafion