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Il ne faut pas plus de prétentions déplacées
dans la Peinture , & fur-tout dans fes je u x , que
dans les autres ouvrages des Arts. Quel efl l’objet
qu’on a en regardant des arabefques ? à-peu-près
le même que lorfqu’on s’arrête à voir jouer des
enfans. S’il leur échappe quelques mots lpirituels,
gais , naïfs ou piquans , on fourit : s’ils veulent
raifonner, on les quitte.
Lorfque les arabefques font du genre comique,
ils font dans la • Peinture ce que la plaifanterie
efl dans les ouvrages littéraires , ou dans la conv
en tion , & tout le monde fait que la plaifanterie,
fous quelque forme qu’elle fe montre, doit être
de bon goût, légè re , g a ie , fpirituelle, qu’il ne
faut pas y infifler trop. Vous direz que la plai-
fànterie n’eft pas le meilleur genre' dans les productions
de l’efprit ; on peut dire la même choie
des arabefques dans les productions de l’Art ; mais
tous les genres ont leur mérite & le délalfement
nous efl aufli néceflaire que le travail*
A R R Ê T É , ( part. préf. ) On dit arrêter un
projet, pour lignifier qu’on le détermine à l’exécuter.
On dit auflî , arrêter une efquifle , une
compofition ; arrêter un contour, une figure, le
trait d’une figure, & l’on veut faire entendre
par-là que tous ces objets lont déterminés & n’éprouveront
plus de changement.
L e mot arrêter , au propre , dans la langue
générale, lignifie retenir & fixer un corps vivant
ou animé, qui, fans cela, fiiivroit un mouvement.
Ic i, arrêter le trait ou la compofition , veut
dire : les fixer de manière qu’ils ne cèdent plus au
mouvement d’une imagination indécile.
L ’Artifte , quelqu’habile qu’il lo it , héfite lou-
yent en deflinant ou en compofânt : il eiîàye, il
corrige ; enfin, plus fatisfait, il s'arrête à une
id ée , à une forme ; il trace, le plus correctement
qu’il lui efl poflible, les contours ou les différens
objets d’une compofition, dans la rélolution de n’y
rien changer. Ce qu’il a fait alors efl arrêté, &
même , quand ce ne feroit qu’une efquiffe, le tableau
femble lui-même arrêté d’avance, par la
détermination que prend l’Artifle de lùivre, en
l ’exécutant, ce qu’il vient de tracer.
Venons à quelques obfèrvations lûr cette opération
, qui appartient plus à l’efprit encorç qu’à
la main ; mais adreflons-les aux- Jeunes Artiftes ,
parce qu’elles leur conviennent puis qu’à ceux qui
ne pratiquent pas l’A r t , ou à ceux qui le pratique
depuis longtemps.
Il y a certainement, dans les études que vous
faites, des motifs d’incertitude ; car le trait de
la beauté ou de la perfection, par exemple, de
chaque objet, efl tellement délicat, que l’Artifte
doit craindre toujours de l’avoir pafle, ou de ne
l’avoir pas atteint. Mais fi, trop plein de cette
crainte louable , vous tombez dans une indécifion
habituelle, ce défaut, qui vous fera perdre beaucoup
de temps, qui mettra votre elprit & votre
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main fans ceffe à la gêne, nuira plus à votre
talent que les incorreCHons même auxquelles vous
feriez arrêté ,* car , reliant indécis, vous ne pro-
duifez réellement rien ; au lieu que, fi vous vous
déterminez, quand vous manqueriez votre but, le
défaut dans leqûel vous ferez tombé vous inflruira
de ce que vous auriez du faire pour l’éviter. Un.
voyageur qui, à l’afpeCl de plusieurs fentiers^ trop
incertain de celui qu’il faut prendre, n’en prend
aucun , efl bien plus loin d’arriver que celui qui,
n’ayant pas choifi le meilleur, revient, lorfqu’il
efl mieux inftruit ~ au point d’où il efl parti, pour
en prendre un autre.
Au refte , fi votre indécffion nart , non-feule»
ment de la trop' haute idée du beau, mais plus
encore de votre caractère, il efl bien difficile que
vous vous en corrigiez. Car un homme , né indécis
, ne peut fe réfoudre , même à combattre fon
indécifion'& à prendre les moyens d’en fortir.
Ce défaut efl malheur eu fement très-commun 5
. la plupart des hommes ne fe. déterminent fou-
vent qu’à laifièr le hafard décider leurs indéci-
fions. Demandez, après qu’ils ont difcuté longtemps
une affaire ou une opinion, ce qu’ils ont
cf arrêté fiir ces objets, ils feront tout aufli em~
baraffés qu’au premier momenî où il en a été
queflion. Heureux s’ils ne le font pas davantage ?
Comme il efl rare de trouver les hommes parfaitement
déterminés fur ce qu’ils veulent, il efl
rare qu’ils le foient dans ce qu’ils font.
C’eft dans la jeuneffe qu’il efl poflible de corriger
, ou de diminuer tout au moins, l’indétermination
; & c’eft dans les premières études que
les maîtres peuvent habituer les élèves à arrêter
leurs produirions. Pour les Artiftes plus avancés y
c’eft en fixant leurs idées, fur des principes furs,
tels que ceux que donnent l’Anatomie, la Perf-
peâive, fciences exaétes,, & fur la connoiffance
des belles formes, tirée de l’étude fiiivie des
beaux modèles.
S i vous defirez que j’étende ces. obfèrvations
fur la compofition & fur ce qu’on peut nommer
les enfembles de vos ouvrages, je hazarderai de
vous dire que vous parviendrez à . arrêter vos
idées, en vous faifant à vous.-mêmes des qüe£-.
tions précifès, & vous impofantlaloi d’y répondre.
Ai-je une connoiffance bien arrêtée du fujet que
je veux traiter?
Ai-je lu avecaffez d’attention les bons ouvrages
dans lefquels ce fujet efl configné ?
Après les avoir lu s, aî:je fuivi la moralité ou
l’imprefllon qui doit eflentielleinent en réfulter ?
Eft-ce d’après ce,s points, bien arrêtés, que
j ’ai tenté de compofer & de diftribuer, foit mes
objets, foit mes' plans, foit les effets propres à
remplir le but que je dois avoir?
S’il s’agit de fe déterminer fur quelques relâr
tions plus particulières, comme la deftination de
l’ouvrage, ou le defir de ceux: qui employentvos
talens y il vous efl facile encdre de yq«s propofes
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d’autres queftious qui, fi vous y répondez clairement,
lèveront vos doutes , & arrêteront vos
idées•
Il y a quelques-unes de ces queftions auxquelles
une force d’infpiration du génie fupplée prefque
fans que l’Artifte s’en rende compte ; mais s’en
repofer fur ce moyen, c’eft s’abandonner fur un
appui qui peut manquer fouvent au befoin.
Les infpirations heureufes du génie font rares,
pour ceux même qui ont du génie,
ARRONDIR , ( fubft. mafc. ) ' Arrondir un
objet , qu’on repréfente , par l’ilhifion- de la
Peinture , fur une furface plate, ce n’eft pas feulement
le faire paroître de re lie f, c’eft dégrader
tellement la couleur par l’effet du clair-obfcur,
que la rondeur fe faite sentir aufli parfaitement
que la réalité l’offre, & fur-tout en donnant bien
à connoître la nature de la fiibflance qu’on fait
paroître arrondie. En effet, le métal, la pierre,
les étoffes s arrondirent par des effets différens
de ceux que produüènt, par exemple , un bras
ou une jambe bien arrondis. Les reflets fur-tout
different en raifbn des matières fur lefquelles
tombe la lumière. C’eft par des demi-teintes &
des nuances de tons fuccéffivement dégradés que
s’opère ce prodige ; il fuppofe la parfaite intelligence
du clair-obfcur; mais il demande aufli de
la patience & du foin. Les Peintres qui fè font
un mérite particulier de terminer , en peignant
d’une manière précieufe , mettent le temps &
l ’attention nécelîàires à ces dégradations.
Les Artiftes prompts & animés fe croyent au-
torifés à employer moins de patience , parce
qu’ils ont ordinairement plus de génie ,* ils font
portés à penfer qu’on doit les entendre à demi-
mot, & fouvent en effet ils font compris comme
les hommes d’efprit qui fuppriment quelques intermédiaires
dans leurs idées ou dans leurs ex-
preflions ; mais la fimilitùde n’eft cependant pas
complette. L ’homme d’efprit qui parle vivement
emploie ou fupprime des mots qui ne font que
des lignes, & y fupplée par le gefte , par l’accent
ou par des réticences marquées. L e Peintre préfente
des objets vifibles, immobiles , qui doivent
offrir aux regards des formes réelles & fur-tout
le relief, fans lequel il n’eft point d’illufîon dans
la Peinture. Cependant on tolère par convention
quelques défauts de rondeur, pourvu que l’Artifte
en dédommage par d’autres perfe&ions de l’Art.
D’ailleurs, dans les ouvrages de grande dimen-
fion, qui font deftinés à être vus a des diftances
plus éloignées que les petits tableaux , il efl né-
ceffaire que la dégradation de demi-teintes, de
jours & d’ombres foit nuancée moins finement.
Aufli ces fortes de repréfentations exigent-elles
que le fpeftateur fe place aü point d’où elles
doivent produire leur effet ; & comme les hommes
peu inflruits ou peu attentifs font rarement fu f
ceptibles de ce foin, il eft affez rare qu’à l’égard |
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tîe 1 arrondiflemetit des parties, le jugement qu'on
porte foit bien jufte.
J e crois pouvoir me borner à cette explication
en recommandant aux jeunes Artiftes de ne pas
Te fier à l’intelligence de ceux qui doivent regarder
leurs ouvrages, & d’arrondir fur-tout avec
foin les objets dans lefquelles cette rondeur eft
une beauté ou une qualité diftinâive.
A R T , ('fiibii, maie. ) Les befoins phyfiquef
de première néceflité, produifent l’induftrie, JC
iinduftrie produit les Arts tnéchaniques.
Les befoins de 1 e fprit, dont les principaux
font 1 ordre, la curiofité & le defir des vérités
produifent le perfectionnement de l’intelligènce \
& celle-ci produit les connoiflances & les A r t s
feientifiques.
Les befoins du fentiment, c’eft-à-dire les
epanchemens de l’ame & les communications qui
font naturelles , & deviennent de plus en plus
nécelîàires aux hommes rapprochés les uns des
autres , créent ou s approprient des langages, 8c
ces langages font les A r t s libéraux. Voilà ce que
i comprend le nom général qui fait l’objet de cet
article.
Les combinaifons & les divers progrès de ces
trois fortes S A r t s , forment les différentes nuances
de ctvilifation dont les hommes font fufeepti-
bles, foit individuellement, foit colleiftivement
voilà ce qu’il eft trës-intéreflant d’oblèrver, *
Les Arts tnéchaniques, êtabliffent des rapports
indilpenlâbles & conléquemment une civiiifation
néceffaire entre ceux qui éprouvent les befoins de
première néceflité & ceux qui aident A les Gttü-
faire. Cette nuance de civililâtion domine dans
le premier état des fociétés ; mais il feroit facile
d’y obferver aufli les germes & les ébauches des
deux autres.
La civilifâtipn s’opère également par le per- '
feâionnement dé l’intelligence , ,d’où naiffent
peu-à-peu les Arts de combinaifon, de méditation
& d’obfervation , nommés Arts feientifiques
dont l’effet eft d’orgahifer de mieux en mieux les
fociétés & les indullries, en établiffant les.loix
les théories , 4 çn découvrant ce que nous pouvons
connoitre des myflères de la Nature. *
, Rufin, une forte de civililâtion égaiement fondée
dans l’efTence de l’homme, eft celle qui s’opère
par les Arts libérau x, devenus, en Ce perfeâion-
nant, les langages des grandes inftitutions focia-
les & des fenrimens individuels les plus inté-
réffans. * r
L ’homme, regardé comme individu, ou con-
fidere comme fociété, eft donc deftiné à fe civi-
lifer autant qu’il eft fufceptible de 1 etre , par les
trois fortes à!Arts que je viens de défigner, & fa
civilifation eft d autant plus complette qu’ils font
plus ou moins bien combinés & dirigés pour contenter
les befoins corporels, étendre les lumières