
cipe intérieur qui les fafïe agir. Tout artifte
qui néglige l'ex^reHion, ne repréfente que des
mannequins, meme lorfqu’ il a le foin de prendre
la nature pour modèle..
L e premier foin de Raphaël "quand il vou-
loit oompofer un tableau , étoit de psnfer à
l’expreffion , c’eft-à-<Ére de bien établir , fuî-
vant le fu je t , quelles pallions dévoient animer
les perfonnages , 8c il faifoit tendre toutes
les figures , tous les acceffoires, toutes les
parties de la compofition à l’expreffion générale
du fujet.
Comme il n’avoit pas trouvé dans les ftatues
antiques de-leçons pour le clair-obfcur, il Fut
toujours alfez foible dans cette partie , & s’ il
conçut qu’ il peut y avoir quelque grandiofité
dans la Aftribution des jours & dés ombres |
ee fut une découverte qu’ il fit dans les ouvrages
des Peintres Florentins. On ne peut
pas dire cependant que , même pour la partie
du clair-obfcur, il ait imité la nature (ans
choix. I l chercha ce qu’on appelle des majjes
& ménagea les grands clairs pour les parties
les plus apparentes des figures nues ou drapées.
Si cette méthode ne produifit pas de . ces effets
qu’on appelle magiques ? elle: répandit au moins
fur fes ouvrages cette netteté qui fart diftin-
guer de loin les figures, 8c l’on ne peut nier
que ce ne foit encore une des parties effentielles
de l’art. Tl n’a pas été au de -là, & , content
de la partie du clair-obfcur qui vient de l’ imitation,
il n’a pas cherché celle qui eft idéale.
» I l a voit coutume de faire tomber les plus
® grandes lumières & les plus fortes ombres fur
» les figures du premier plan , comme fi les
» draperies & tous les autres objets euffent'été
» d’ une même couleur. I l porta la lumière de
t» chaque couleur de fes figures du premièr
» plan jufqu’au blanc , & toutes les ombres
» jufqu’au noir. Cette habitude lui vint de ce
» qu’ il deffinoit le fujet entier de fon tableau
» d’après de petits modèles., 8c de ce qu’il en
» faifoit rarement des efquiffes coloriées. De
» cette manière, il s’accoutuma à placer les
» jours 8c les ombres fur les figures comme
» fi elles euffent été ombrées d’après des fta-
» tues ; c ’ eft-à-dire, que plus elles fe trou-
» voient placées fur le devant du tableau ,
» plus il renfoncoit les lumières & les om-
» bres en les dégradant à mefure que les fi-
» -gures fuyoient «.
» Le coloris eft une partie .dans laquelle il
» rne mérite pas d’avoir, d’ imitateurs. I l apprit ,
„ d’abord fuivant l’ufage de fon temps, à
» peindre en détrempe, & comme il eft fort
jj difficile d’ être colorifte dans ce genre de
» peinture, il. ne furpaffa pas fes maîtres, La
» frefque qu’ il pratiqua fur-tout dans la fuite
» ne pouvoit guere le perfectionner dans cette
» partie, parce qu’ elle exige trop de promp-
» titude dans l’exécution pour permettre de1
» colorier d’ après nature. I l rendit à Florence,
» chez Barthelemi de Saint-Marc, fon pinceau
» plus vigoureux , fes couleurs plus animées ,
» la touche moins léchée & acquit une grande
» perfeétion dans la frefque'; mais il ne mé-
» rita jamais d’ être placé entre les grands co*
» lorittes «. Mengs. On reconnoît cependant
qu il a été quelquefois d’ une grande vérité dans
la couleur , & que , fur-tout dans les derniers
temps de fa vie , il y avoit fait des progrès remarquables:
mais il ne faut pas le juger dans
cette partie, d’après les principes de l’école
Venitiennè,que l’on peut croire qu’ il n’ auroit pas
adoptés, quand même il les auroit mieux connus.
I l auroit peut-être craint qu’il ne nuiftffent aux
autres parties de l’art auxquelles il donnoic les
premières places, & que par confequent il
vouloit faire dominer dans fes ouvragés.
La compofition & l’ enfemble des figures étoit
la partie principale de Raphaël. Son eljjrit philosophique
ne pouvoit être touché que des
choies qui ont de l’ expreffion! I l avoit une
trop haute idée de fon a r t , pour le regarder
comme un art nuiet ; il vouloit le faire parler
a l’amë & à l’ efprit ; mais pour le, faire parler,
il faut lui .donner quelque chofe à dire y & cela
ffe ft pofïïble que dans les fujets expreffifs. Si
Raphaël ne s’éleva pas à la hauteur des Grecs ,
s’ il ne polféda pas ail même degré l’art d’embell
i r la nature, il vit du moins &: imita ce qua
la nature a d’ expreffif & de beau. c< Les
» Grecs planoient avec majefté , dit Mengs ,
» entre la terre & le ciel : R apha ël a marché
» avec jufteffe fur la terre.
» I l a été , non-feulement très-habiléi mais
» furprenant dans la partie de la compofition :
» c’ eft celle qui lui a fait le plus d’honneur,
» & avec juftice. I l en a été le créateur ,• Sc
» n’a eu dans ce genré aucun modèle ni dans
» l’ antique, ni chez les modernes. Ôn poùf-
» roit dire qu’ il auroit paffé les limites de l’hu-
» manitéjs’il avoit poffédé toutes, les parties de
» l’art au même degré" que celle-là. .
« L a compofition eft en général de deux efpèces,
» ajoute le même artifte ; cellê de Raphaël eft
» le genre expreffif, l’ autre eft le genre théâ-
» tral ou le pittoresque, qui confifte en une
» difpofition agréable des figures du fuj'er que
» l ’on traite : Lanfranc a été le premier inven-
» teur de ce g en re , 8c après lu i , Pietre de
» Cortonë. Je donne la préférence à Raphaël
» fur tous lés autres dans cette partie , parce
» que la raifon a prefidé à tous fes ouvrages ou
» du moins au plus grand nombre. I l ne .s’ eft
» pas laifle féduire par des idées communes , ou
» même par de belles idées dans .fes figures
» acceffoires , qui auroient détourné l ’attention
» de l’ objet principal, & en auroient diminué la
» beauté ».
Nous avons parlé ailleurs de l’ art avec lequel ïl a traité les draperies' : voye\ draperies. Il eft
inutile de s’ arrêter à l’harmonie de fes ouvrages ;
comme, il n’a jamais fongé au délicat & au gracieux
, mais toujours à l’ expreffion, il s’ eft peu
occupé de l’harmonie. Ce n’eft pas qu’on ne
puiffe en trouver dans fes tableaux ; mais elfe
eft plutôt un effet de l’imitation de la nature , :
que’ le fruit de fes talens particuliers dans cette
partie. École Vénitienne. Cette école eft l’éfève
de la nature. Les peintres Vénitiens n’ayant pas
fous les yeux comme ceux de Rome , des reftes
de l’art antique 9 manquèrent de leçons pour
fe faire une jüfteidée de la beauté des formes
& de celle de l’ expreffion. Ils copièrent fans
choix les formes de la nature; mais ils;furent
fur-tout frappés des beaiités qu’ elle oflroit dans
le mélange 8c la variété de fes couleurs. N ’étant
point diftraits de cette partie fi flatteufe par
d’autrçs parties d’un ordre fupérieur , ils y donnèrent
toute leur attention, & fe diftinguèrent
par le coloris. Ils ne fe contentèrent pas de
cara&ërifer les objets par comparaifon, en fai-
fant valoir la couleur propre de l’ un par la couleur
propre de l’autre ; mais, ils cherchèrent encore
par le rapprochement, l’ accord ou l’oppofition
des objets colorés , par le contrafte de la lu mière,
& de fa privation à produire une vigueur
piquante, à appelïer 8c à fixer le regard.
Ce Dominique que nous avons vu périr fi
malhe.ureufement à Florence par la jaloufe
cupidité d’André Caftagna,ce Dominique qui fut
le fécond artifte Italien qui poffédât l’art encore
fecret de peindre en h uile , avoit eu pour
é lèv e , avant de quitter V en ife , fa patrie,- Jacques Bellin, qui mourut, en 1 4 7 0 , &
qu’on ne connoît que par l ’éducation pittorefque
qu’il donna à Gentil & Jean Bellin
fes fils. Gentil, qui étoit l’aîné, peignit fur-tout en
détrempe. Ôn fait qu’il fut mandé à Conftan-
tinople par Mahomet I I . I l fit voir à ce conquérant
un tableau de la décolation de Saint-
Jean qu’ il venoit de peindre. Le héros barbare
critiqua le cou de la figure , foutint au
peintre que la peau fe retire en cette partie
auflitôt que la tête a été féparée du tronc, &
pour joindre la démonftration' au principe, il
fe fit amener un efclave auquel il fit trancher
la tête. Bellin frémit de cette leçon , & pour
n’ être plus expoië à en recevoir de femblables,
il revint à Florence \où il mourut en 1 5 0 1 .
Jean contribua beaucoup aux progrès de fon
art en peignant conftamment en huile & d’ après
nature. Quoiqu’il ait toujours confervé une
grande fèchereffe, il en eut cependant beaucoup
moins que fon pere 8c fpn fre re , &
l’on voit dans fes ouvrages une grande "propreté
de couleur, & un commencement d’jiarmon
le. Son goût de deffin eft gotfiique, fe«
airs de têteaffez nobles, fes attitudes d’ un mauvais
ch o ix , fes figures fans expreffion.
Il eut pour diiciple le Giôrgione 8c le
Titien.
Le Giorgione fe diftingua par un travail
facile & un deffin d’ un meilleur goût que
celui de fon maître, mais fur tout par le degré
auquel il porta le coloris. Il ne vécut
que trente-deux ans, & excita l’émulation du
Titien qui ne tarda pas à le fnrpaffer. Tiziano Vecelli , que les François nomment
le Titien 9 naquit d’une famille noble
à Cador dans le Frioul en 1 4 7 ?* ^ fut remis
dès fon enfance aux foins d’un oncle qui
démeuroit à Venife & qui le plaça dans Ve-
cole de Jean B e llin . Il y apprit à fuivre fe r-
vilement la nature ; mais quand il eut vu les
ouvrages du Giorgione, il commença à chercher
l’ idéal dans la couleur. En 1 5 4 6 il fut
appelle à Rome par le Cardinal Farnèfe pour
faire le portrait du Pape. I l mourut de la
pefte en 1 5 7 6 âgé de çp ans.
Si dans fes tableaux d’hiftoire, ,on veut
trouver en lui un hiftorien; il paroîtra fort
infidèle, comme tous les artiftes de la même
école. I l ne cherchoit ni la vérité de la
fcène, ni celle du coftume, ni l ’ expreffion
què fuppofele fujet , ni les autres convenances
qu’on voit avec tant de plaifir dan3 les ouvrages
des artiftes qui ont été curieux d’étudier
l’ antiquité. Enfin on ne trouvera en lui
qu’un très - grand peintre & rien de plus.
Quoiqu’ on ne le place pas dans la claflfe
des grands deffinateurs, il ne faut pas croire
qu’ il n’ait pas fu bien deffiner. On l’a quelquefois
calomnié à cet égard en lui attribuant
des ouvrages qui ne font pas de
lu i , ou en le jugeant fur quelques-uns de
ceux où il s’ eft négligé. Tous les peintres de
ce temps avoient -reçu de leur éducation la
jufteffe du coiip d’oeil 8c la facilité de rendre
tout ce qu’ ils fe propofoient d’ imiter. Comme
le Titien ne fe propofa que l’ imitation de la
nature, il repréfenta de belles formes quand
elles lui furent offertes par le modèle, 8c il
cëffa d’ être beau quand fes modèles manquèrent
de beauté. S’ il avoit e u , comme Raphaël,
l ’amour du beau , fi cet amour lui avoit été
infpiré par la connoiffance de l’ antique qui
lui manquoit, il auroit choifi dans la nature,
ce qui méritoic fur tout d’ être imité, il auroit
égalé dans le deffin Raphaël & tous les
peintres les plus célèbres.
Mais quoiqu’il ne mérite pas d’ être placé
entré les artiftes qui fe font diftingués par
l’ ex;cellence du ch oix , il ne femble pas avoir
tout-à-fait manqué du fentiment de la grandeur
& de la nobleffe. l i a fouvent cherché dans les
figures d’homme« la grandiofité : mais fi quel