
le iuppofent les modernes. Il fe diftingua en'tr'e-
les peintres de l’antiquité r par la bonne en-
fente de la compofition. La réputation dont il
jouiffoit lui permit de mettre fes leçons à un
très haut prix. Il prenoit fes éleves pour dix
ans, & en exigeoît un talent , qui faifoit: 5400
livres de notre monnoiè. Il donna tant de lut
tte à la peihture, que d’abord à Sicyorie , &
enfuite dans toute la Grece , elle fut mife au
premier rang entre les arts libéraux , .& que
tous les jeunes gens bien nés apprirent à def-
liner. On fe fervoit pour ces deflins élémentaires
de tablettes de buis; après avdir couvert là tablette
d’une étude , on la nétoyoit pour y faire
Une étude nouvelle , & lès"* éleves n’avoient
pas le plaifîr de conferver leurs deflins, comme
ils peuvent le faire depuis l’invention du papier.
L’art de la peinture conferva la gloire
que Pamphile lui avoit acquife , il n’y eut
que des ingénus qui puffent l’exercer , &rven-
fuite que des gens de la condition la plus hon->
nête ; il fut toujours interdit aux efclaves ; il
étoit réféivë aux Romains de le dégrader en
le faifant exercer par des mains ferviles. Cet
ulàge ht perdre , fans doute , quelques bons
artiftes qu’àuroit pu fournir les dernières claC
fes de la fociété : mais il en réfulta un avantage
; c’eft que la peinture n’étant une pro-
felïion honorable & lucrative que pour ceux
qui l’exercent avec diftin&ion, cet art ne fut
pas dégradé chez les Grecs par la misère d’une
foule de peintres fans talent. Ceux quiavoient
fait fans fuccès lés premières études de cet art ;
l’abandonnoient , parce qu’il n’étoit pas leur
feule refTburce,
Pamphile traita des fujets de grande machine
, tels que le combat de Phliunte & la victoire
des Athéniens. Il peignoit à l’encauftique.
(17) AristidedeThebes, éleve d’Euxénidas,
devoit être à peu - près de l’âge de Pamphile ,
& vécut affez pour être témoin des fuccès d’A-
pelles. Il fé diftingua par i’expreflion, & fut
le premier de tous les artiftes pour bien peindre
les affrétions & les troubles de l’ame. Il
repréfenta, dans le fac d’une ville , un enfant
qui fe traînoit vers la mamelle bleffée de fa
mère mourante ; il reftoit encore à la mère
affez de fentiment pour qu’on s’apperçût de la
crainte qu’elle éprouvoit que l’enfant ne fuçât
du fang au lieu de lait.. Il peignit un fuppliant
à qui il ne manquoit que de pouvoir fâirè entendre
fa voix ; un malade fur les louanges
duquel on ne pouvoit tarir. Il travailloit à l’encauftique
, & fit de très grandes machines ,
entr’autres un tableau repréferitant un combat
contre les Perfes, dans lequel il n’y> avoit pas
moins de cent figures. Chaque figure lui étoit
payée 10 mines ou 906 livres de notre mon-
noie ; ainfi le tableau de cent figures lui fapporta
90 mille de nos livres , qui lui -fuient
payées par Mnafon , tyran d’Elatée. On luf-
reprochoit de la dureté dans le coloris^.
Les Romains avoit fi peu de 'connôiffance
des arts lorfqu’ils prirent Corinthe, que le
conf^UMnmmius', voyant le Roi Attale ache*
, ter fix mille fefteroes un. tableau d’Ariftide ,
fe figura qu’il y avoit dans cette peinture quelque
vërui fecrette qu’il ne tonnoiffoit pas,
8c le retira malgré les plaintes d’Àttale. Les
Romains fentoient alors fi peu le prix de la
peinture , qu’à la prife de'cette ville , les ta—
- bleaux furent jettes confufëmént par terre, &
les foldats sVn feryoient comme dé tables pour
jdue'r aux dez.
( i8> Apeiles j né à Ephefe , mais originaire,
de-Colophon , celui de tous les peintres '
anciens qui jouit de la plus grande célébrité.:
Pline & Ovide lui donnent pour patrie l’iflq de
Cos. Par les livres qu’il écrivit fur fon art y &
qu’il adreffa à fon éleve Perlée , il contribua
aux progrès de la peinture. Pamphile, fon maître
, avoit écrit aufli fur la peinture 8c fur les
peintres. (
Jamais artifte n’étudia fori art avec tant de
foin qu’Apelles. Quelqu’affaire dont il pût
être occupé , il ne laiffait paffer aucun jour
fans faire quelques études. Il avoit eu d’abord
pour maître Ephore d’Ephefe ; curieux de fe
former à une plus grande école , il entra dans
celle de Pamphile. Après y avoir paffé dix années
entières, & jouiffant déjà de l’admiration des
connoiffeurs , il ne put être fatisfait qu’il n’eûc
vifité l’école de Sicyone qui fe foutenoit encore,
& qui paifoit même pour conferver feule les
grands principes de la beauté. Malgré toute la
réputation donc il jouiffoit, il ne crut pas s’humilier
en donnant un talent aux peintres de
cette école pour en recevoir des leçons. Plutarque
ajoute , il eft vrai, qu’il fongeoit plutôt
à partager leur gloire que leurs lumières, dont
il n’avoit pas grand befoin. Il falloit alors ,
pour impofer filence aux malveillans , avoir fréquenté
l’école de Sicyone , comme, à préfent, i\
faut avoir été à Rome.
Quand il avoit terminé un1 Ouvrage , i|
l’expofoit en public , non pour refpirer la fu*.
. mée des é loges, mais pour recueillir la cri*
tique & pour èn profiter. Il avoit même foin de
fe tenir cache derrière le panneau , pour q u®
fa préfence. ne gênât pas les propos des fpeG-
tateurs. Critiqué un jour par un cordonnier parce
qu’il avoit mis une courroie de moins qu’il n’en
falloit à une chauffure , il fe corrigea , & expofa
le lendemain le même tableau. Lë cordonnier,
fier de s’ être montré fi bon juge , s’avifa de
critiquer la jambe : mais alors Apeiles fg
■ qioatra 8c lui dit , « qerdonnier;,
5> pas plus haut que la chauffure ». Ce bon
mot eft paffé en- proverbe.
Quoiqu’il ne craignît pas , 8c que même
il cherchât la critique , & fqtMèj d’ailleurs il
fût de la plus grande politeffe , il fe per-
mettoit quelquefois de railler ces hommes
qui. croyent devoir être connoiffeurs dans
les arts , parce qu’ils font riches & d’un état
diftingué. Un jour Mégabize \ prêtre du temple
de Diane à Ephefe , fe trouvant dans
l’attelier du peintre, s’avifa de raifonner fur
la peinture. « Prenez-garde, lui dit Apeiles ;
» il y a là de petits broyeurs de couleurs
» qui vous entendent & femocquent de vous ».
Pline prétend que ce mot fut adrèffé à Alexandre
: c’eft faire 'l’éloge du prince qui ne s’en
offenfa pas.
Apeiles aimoit à railler. Un de fes éleves
lui montra un jour une Hélene ^ qu’il avoit
chargée d’or : » Jeune homme , lui dit-il, ne
» pouvant la faire belle , tu l’as fait riche
Un peintre lui faifoit voir un méchant tableau
& fe vantoit de n’avoir mis que peu
ut le talent d’un artifte qu’un artifte célèbre
payoit fi chèrement : il fallut, pour avoir de
les ouvrages, renchérir fur le prix qu’Apelles
avoit fixé.
Il a fait un très-grand nombre d’ouvrages.
II réuflïffoit parfaitement dans le portrait, &
a fait nombre de fois celui d’Alexandre. Des
écrivains qui ont vécu longtemps après notre
artifte, ont affuré que lui feu! avoit la per-
miflion de peindre ce conquérant.
Les plus eftimés de fes tableaux étoient le
Roi Antigone à cheval, & Diane au milieu
d’un choeur dé vierges qui lui fâcrifioient. C’eft
le feul de fes ouvrages, de ceux, du moins
dont on a confervé le nom, qui exigeât un
grand nombre de figures.
Je crois que les anciens, qui ne traitoient
que, des compofitions fort Amples , ne cher-
choient pas à briller en affeélant la fcience
des raccourcis; mais cependant ils ne les évi-
toient pas toujours. Pline parle d’un tableau
d’Apeiles placé dans le temple de Diane d’E-
j phelè ; il repréfentoit Alexandre ' tenant un-
h foudre : les doigts fembloient s’avancer, & le
I foudre fortir du tableau : ce qui fuppofe un
j raccourci capable de faire la plus grande II.-
lufion.
de temps à le faire *. « Je le crois bien, lui
» dit Apeiles , & tout ce qui m’étonne, c’eft
» que dans le même temps , vous n’ayez pas!
» fait encore plus d’ouvrage
Le cheval d’Alexandre hennit par hazard
devant un portrait de cec prince fait par Apeiles
, & dont le héros n’étoit pas content.
y> Votre cheval , lui dit le peintre, fe con-
» noie mieux que vous erf peinture ».
On a beaucoup parlé de fon voyage a Rhodes,
de fa vifite au peintre Protogenes qui y demeurait
& qu’il ne trouva pas , de la ligne très-
fine qu’il traça fur un panneau que Protogenes,
de retour, fendit par une ligne encore plus
fine , & qu’Apelles refendit par une ligne
plus fubtile encore. On peut voir , fur ce
fait affez peu important , l’article L 1 gu e
sS jip tllts . Apeiles étoit modefte, mais il n’avoit pas
Ja modeftie affe&ée dont on fe pare fans tromper
vperfonné. Il rëconnoiffoit, il célébroit
ges ralens de fes rivaux ; il avouoit que les
plu» habiles d’entr’eux poffédoient aufli bien
«que lui toutes les parties de l’art , excepté
lune* feule ; la grâce. Ce mérite qu’il 's’attri-
jbuoit, lui % été accordé par tous ceux qui
ont pu voir fes «uvrages. Il feroit difficile
de refufer aux Grecs d’avoinété de bons juges
dans cette partie.
Loin d’être jaloux de fes émules & d’em-
ployer pour leur nuire ces cabales, ces démarches
fourdes , trop fatnilieres aux hommes à
talens, lui-même travailloit à ^leur réputation.
Protogenes étoit pauvre ; les concitoyens le
yécompenfoient mal, parce qu’ils ne fentoient
pas fon mérite ; Apeiles lui offrit cinquante
talens de fes ouvrages, 8c dès-lors on reconn.
On célébroit encore , entre les ouvrages
d’Apelîes, la Vénus Portant des‘eaux, qu’on
appelloit Vénus Anadyomene. La partie inférieure
de ce tableau fut gâtée par le temps, 8c il ne fe préfenta aucun peintre qui osât tenter
de la racommoder. Il travailloit’, lorfqu’el
mourut, à une autre Vénus deftinée pour l’île
de Cos ; 8c vouloir, par cet ouvrage , furpafler
fa première Vénus : la mort ne lui permit pas
de le finir, & perfonne n’ofa le terminer en
fuivant fon ébauche. L’extrême beauté de la
tête ôtoit l’elpérance de faire un corps qui
méritât de lui être affocié; •
Apeiles, comme les peintres qui l’avoient
précédé, travailloit à l’encauftique, & n’em-
ployoit que quatre couleurs ; cependant avec
ces quatre feules couleurs il repréfenta l’éclair
& le tonnerre, avec affez1 de fuccès au moins
pour que les anciens ayent vanté cet effort'de
l’art. C’eft que le clair-obf’cur a bien autant de
part à ces grands effets que l’extrême variété
des teintes. On cannoît dans cette partie les
fuccès de la gravure qui n’a d’autres reffour-
ces que l’oppofition du noir 8c du blanc.
On raconte qu’Apeiles devint amoureux de
Campafpé ou Pancafte , en faifant le portrait
de cette maîtreffe d’Alexandre qui le lui avoit
demandé, & que le héros facrifia fon amour
au bonheur de l’artifte. Bayle & M. Falconet
répandent un doute au moins tres-bien fondé
fur la vérité de ce récit. s
(1,9) Protogenes de Caune, viHe foumife