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adreffe, ou imiter 9 en employant pour tout
artifice les myftères fpirituels de Part.
I l y a quelqu’ apparence que tromper com-
plettement par le moyen de la peinture a été
un fuccès diftingué dans les premiers tems de
rétabliffement de l’art. Ce moyen a encore
une réuflite complette fut' ceux qui n’ont aucune
idée de ce qu’ eft oc doit être la .peinture
regardée principalement comme art libéral.
E t il faut oblerver à cet égard q u e , dans les
progrès des arts libéraux 3 la plus nombreufe
partie des hommes qui font deftinés feulement
a en jo u ir , ne marchent pas, quant aux idées,
à beaucoup près d’un pas égal à celui des
3iomm.es qui les pratiquent ou s’ en inftruifent.
Cette différence , qui eft défavantageufe aux
arts , eft telle que dans la ville la plus nombreufe
,. lorfque la peinture, par exemple, &
encore plus la mufique, font portées à une
grande perfe&ion, fur cent perfonnes il en eft
peut-être quatre-vingt-dix dont les idées font
auffi peu avancées qu’au premier temps où
l ’ art a commencé de s’établir.
Ce nombre effrayant pour l’art s*en tient
pour ligne diftinclif du merite des ouvrages de
peinture à être trompé, & pour ceux de mufique
à être excité à la danfe, & à une certaine
gaieté.
Auffi , n’y a -t-iï guère que quelques points
dans lefquels leurs impreflions fe rencontrent
d’accord avec celles des hommes les plus inf-
truits j pour m’ en tenir à la peinture , ce point
eft Fillufkm .que produit , par exemple , au
théâtre une décoration-parfaitement executee
8c artiftement éclairée.
Auffi faut-il obferrer que Eeffet que , fans
diftin&ion de connoiffances, tous ceux qui
vont au' fpeétacle, en attendent, eft d’être
trompés , c’ eftrà-dire, d’ être entraînés à penfer
«ju*ïin appartement où doit fe pàffer la fcène
repréfenrée fur lescouliffes , féparées les unes des
autre s, eft un appartement réel 8c fermé de
toute part.
On remarquera que cette illufîon ou cette
tromperie, tient encore .à une conformité de
dimenfions , à certains traits & profils qui ,
découpés par exemple, aident à ifoler , & à
détacher- réellement les objets les uns fur les
autres. .*
D’a illeu rs, on dort appercevoir déjà line
différence dans cette forte de tromperie ; car
ceux dont j’ai parlé, qui apperçoivent fans s’y
attendré la figure peinte & découpée d’ un
homme dormant, ou lifant dans un cabinet,
font complettement trompés : au lieu qifen général
tous ceux qui vont au fpedacle , &
fiir-tout les hommes inftruits , favent que les
décorations font des repréfentations feintes ;
mais a, leu r rèfte cependant encore ? comme
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je l’ai d i t , nombre de détails affez grandà
fur lefquels ils peuvent être en doute , & quel
quefois même abfolument trompés.
Cependant , c’eft à ce point de réunion des
impreflions que reçoivent les hommes qui n’ont
aucune connoiffance de l’ a rt, & de ceux qui
en o n t , que commence la différence de jpurs
idées , relativement à l’ eftime qu’ils accordent,
8c à l’ouvrage & à l’artifte.
L’homme qui ne connoît que le nom de la
peinture , fe borne toujours à fe féliciter d’être
trompé, & ne va pas plus loin ; l’homme inf-?
truit conûdère qu’ il a fallu non-feulement de
l’adreffe , mais de l ’art, pour le mettre en doute
fur lafe.inte ou la vérité-, il voit que l’éloignement
' des objets paroît bien plus grand qu’il n’ eft en
effet-, il remarque qu’un efpace peu étendu lui
en préfente un confidérable -, il en conclut qu’ il
faut que l’artiftè connoiffe des règles qui le
faffe parvenir sûrement à cette illufion : ainfi,
lors qu’ il réfléchit avec méthode, il diftingué
d’abord l’effet de la couleur, l’ illufion de
la perfp'eélive , & enfin l’ artifice avec lequel
la décoration eft éclairée -, il reconnoît alors
l’union de l’ art avec la fcience perfpeélive , &
avec l’ adrefle intelligente-, dès-lors fes idées
s’étendent -, l’approbation qu’ il donne eft mêlé&
du plaifir d’ être féduit jufqu’ à être trompé, de
l’admiration qu’ il prend pour l’art qui produit
ces illufions méditées & favantes , enfin de-
l’eftime qu’ il accorde à l’artifte qui pofsède la
pratique, l’intelligence, & les coimoiffances
capables de lui procurer l’èfpèce de plaifir
qu’ il goûte.
Cherchons actuellement quelqu’ autre production
de l’art qui procure ces impreflions di-
verfes , & même qui y ajoute. I l n’ eft pas difficile
de la rencontrer , & le portrait eft c è
qui fe prefente de plus conforme à ce développement.
.
Auffi les portraits.prod’uifênt-ils des impref-
fions differentes fur ceux qui les regardent r
en raifon des idées plus ou moins éclairées qu’on,
a fur ce que j’ai développé.
Les hommes. de la clafle nombreufe qui eft
1 reculée (pour parler ainfi) au tems de la naiffance-
: de l’art défirent 8c exigent même que le portrait
les trompe le plus promptement qu’il eft poflible,
& comme ils ne diftinguent point ce que j ’ai nommé
adreffe de ce qu’on doit appeller art. fi le*
portrait repréfente premièrement l’homme qu’on
a peint dans les dimenfions précifes qui font
celles de fa tête , de fon corps & de fes mains ;
fi ce portrait offre encore fon h abit, fa coëf-
fu re , les details , non-feulement du coftume:
général,, mais de fon coftume peffonnel-, enfin
fi en chargeant les formes de fes trai'ts, 8c
fur-tout -ce qu’ ils peuvent avoir de particulier,
& fur-tout les defauts & les difformités , le
p e in t r e fû t - i l médiocre ou mauvais, fait par»
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venir plus t î t e , .& de plus loin une-idee frappante
de reflemblance-, certainement cette ré-
préfentation a îempli fon but auprès d e u x ,
auffi leur eft - il fort indifférent, q u e , pour
me fervir de leurs termes , la peinture foit
bonne ou non -, mais à ce naïf aveu d’ignq-
rance les hommes qui ont quelques teintures?:,%
& à bien plus forte raifon ceux qui font vraiment
inftruit de l’ a r t , laiffent échapper un fou-
rire ironique , & ils prononcent cet arrêt qui ne
peut être compris par les ignorans, qu’un
portrait peut rappeller sûrement la reflemblance
de quelqu’ un , 8c n’être qu’ un très-mauvais
portrait. ' r ,
On fent qu’ il faut qu’ alors ces juges feveres,
dont le jugement n’eft pas compris de ;ceux
qu’ils condamnent, confiderent que pour rappeler
en effet d’ une manière fa fai Tantela raftem-r
blance d’ un homme , il peut être , à la vérité,
avantageux que l’imitation du phyfique de fa
tête , c’ eft-à-dire , du- re lie f, de la couleur ,
de l’ effet de la lumière , foit vrai j mais qu’ il
fautencore que cette tête paroiffe vivante,qu’ elle
femble animée des impreflions qui font les plus
ordinaires à celui qu’ on a voulu peindre.;
qu’ enfin offrant des empreintes^ du meme caractère
, elle.femble toute prête adiré les memes
chofes que diroit l’original.
Voilà la fource principale des nuances différentes
& infinies des jugemens qu’on porte
fur la reflemblance, 8c je penfe que la plus
grande partie de ces différences naît en effet
de ce que tous ceux qui connoiffent un homme
ou une femme , dont ils regardent le portrait,
ne trouvent pas qu’ en effet la copie ^.it 1 air de
leur dire ce qu’ ils penfent que leur diroit
l ’original. Ils feroit difficile en effet d’ imiter
ju Tques-là la nature, 8c il faut avouer cependant
qu’effeclivement le caraélere de notre
phyfionomie change beaucoup fur - tout p^our
ceux qui y fixent leurs regards avec quelqu’ intérêt
par la nuance anticipée qu’imprime fur
tous nos traits ce que nous n,ous apprêtons à dire
à chacun de ceux qui nous parlent , 8c ce que
nous penfons.à leur égard enfles voyant; c’ eft
par cette raifon que , du même portrait, l’ un dit
qu’il n’ eft pas affez riant ou affez animé , l’autre
qu’ il n’ a pas la finefle & l’ exprefiion de l’original.
On compte pour beaucoup , ou l’ intérêt
qu’on prend à la perfonne repréfenrée , ou l’ idée
qu’on a de fon caractère , & l’on veut que fon
portrait infpire la même idée , ou le même intérêt.
On compare le plus fcuvent, fans .s’ en rendre
compte, le caractère qu’on fuppofe que pren-
droit la phifionomie de celui qui eft peint,
f i l’on fe préfentoit à lu i , à celui que lui a
donné le peintre. On peut juger de-là s’ il eft
commun qu’un amant loir fatisfait du portrait
de fa maîtrefle.
Vojlà donc une des caufes principales q u i.
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fufceptibles d’ un nombre infini de modifications
, rendent les jugemens qu’ on perte d e là
reflemblance tous differens en quelque chofe
les uns des autres.
Mais par rapport aux hommes inftruits, il
s’établit encore d’autres diverfités d’opinions,
qui font prefqu’ uniquement relatives a l’art ,
& elles s’étendent fi loin qu’ il arrive quelquefois
de dire qu’ un portrait eft très-beau,
quoiqu’ il reffemble. peu.
On évalue alors , comme on le fent , par
une abftraétion , le mérite de cette produ&ion
prefqti’ uniquement comme ouvrage de peinture,
8c onia juge d’ après les convenances de l’ a r t,
8c non d’ après les convenances de fon emploi
particulier.* Je ne m’arrêterai pas aune infinité
de développemens qui naiffent naturellement
de .ceux dans lefquels je viens d’ entrer.
Les autres genres de peinture éprouvent
des difficultés, ou reçoivent des avantages de
la conformité, ou de la différence de dimen-
Jion qu’ils confervent dans leurs imitations avec
les objets imités.
Les fleurs , les fruits , les comeftibles , quelques
animaux 8c d’autres objets , tels que des
uftenfiles , des inftrumens, des meubles , & c.
: reçoivent certainement un degré de vérité de
plus , lorfqu’ ils font peints dans leur grandeur
naturelle-, mais comme il eft prefqu’ impolfible.
que l’art du peintre foit -tel que l’ on foit abfolument
trompé fur la plupart de ces imitations,
l’on fent que le mérite y eft apprécié
d’ après les principes établis par l’ art pour rappeller
avec plus ou moins de vérité , de juftefle ,
d’agrément ou de finefle les idees des objets
peints. , f
Cçux qu’ il eft impoffible de repréfenter dans
lés dimenfions qui ieur. font propres, demandent
donc un degré d’ art de plus ; 8c comme l’artiftô
ne peut mettre en oeuvre ce que j’ ai nommé
adreffe au commencement de .cet article ,
les hommes peu inftruits ou ignorans feroientbien.
embarraffés pour les juger, ma:s il^ne les jugent
pas ou fe laiffent bonnement infpirer uné opinion
s’ ils s’ avifent de vouloir en montrer une.
On fent, d’après tout ce que j’ai d it , combien
le payfage a de délàvantage pour l’ artifte. Un
grand arbre ne peut jamais être repréfente. de
manière à tromper -, oc s’ il fait illufion par le
rappel des idées , c’ éft un effet des reffources ou
des artifices de l’ art & des conventions reçues,
auxquels il faut que les. hommes même
inftruits fe prêtent beaucoup. Je n’entrerai pas
à ce fujet dans des détails qui me conduiroienc
trop, loin , & que les hommes éclairés ou très-
difpofés à s’ inftruire fuplééront ; mais en fuivant
le fil de mes idées, je' dirai que les grands
animaux font à-peu-près dans le même cas quç
les arbres, 8c qu’ enfin dans le genre de l ’hif-
to ire , la plus grande partie des objets qu’on
^ b i j