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. choi?;, La perfeélion qui lui manque. Son plus
.grand loin doit être de déterminer les motifs
de ce' qu’ il f a i t , & de n’ avoir dans tout fon
ouvrage qu’ un motif principal, afin qu’ il n’ y
ait qu’une caufe de perfeélion. La perfeélion
fe trouve par gradation dans la nature -, de même
l’ arrifte donnera donc à chaque chofe des
expreffions différentes, qui toutes concourront
.à l’ expreflipn principale-•, & cette expreflion
fera la caufe de la perfeélion de l’ouvrage. Par
ce moyen, le fpeélateur reconnoîtra l’idée de
chaque chofe en particulier, & dans toutes
enfemble, l’idée ou la caufe du tout : alors il
fentira la beauté de l’ouvrage qui fera le réfultat
du concours de toutes les parties, & fon-ame
en fera to»chqe; car chaque partie ayant une
caufe & un efprit, l’ enfemble aura lui-même
un efprit dont il fera animé, 8c qui fera la
caufe de fa perfeâion.
ÏYimitation eft la première partie de la peinture
, mais non pas la plus belle. Ce qui approche
de 1’ i.déal eft juftement regarde comme
plus parfait que ce qui le borne à une imitation
purement individuelle ; mais comme l’ art eft
formé de ces deux parties , l’imitation 8c l’ idéal,
le plus grand maître eft fans contredit celui qui
poffède l’ une & l’autre à la fois. L’ id éal, qui
eft la première caille du goût , peut être confédéré
comme l’ame , & Y imitation, comme le
.corps. Cette ame ou cette caufe doit choifir dans
le lpeâacle entier de la nature les parties les
plus belles-, fans néanmoins produire des chofes
nouvelles 8c impolfibles-v eh effet, l’ art feroit
alors dégradé, puifqu’ il perdroit, pour ainfi
.dire , fon corps., & que les beautés dev.ien-
-droient inintelligibles pour le fpeélateur. Si un
.tableau eft compote des plus belles parties
qu’offre la nature, mais de forte que chaque
partie fembîe naturelle & vraie , le bon goût
le trouvera dans tout l’ouvrage , fans qu’on ait
négligé la partie de Fimitation. _
Un peintre, qui fe borneroit à la fimple
imitation, feroit bien une tête ou une main
d’ après une belle perfonne -, encore cette partie
feroit-elle rendue avec toutes les petites im-
perfeélions qui fe rencontrent ordinairement
dans la nature , & il ne faurôit pas choifir le
meilleur du bon, pour en faire un ouvrage
qui approchât de la perfeélion idéale •, mais le
peintre d’ un ordre fupérieur prendra feulement
ce qu’ il y a de beau dans la nature , en omettant
tout ce qui eft gratuit ou mauvais, & en remettant
même les belles parties qui peuvent fe
rencontrer dans la nature, fans être bien d’ accord
l’une avec l’ autre; comme, par exemple, un
corps charnu & robufte avec des mains délicates
& maigrelettes , le fein d’une femme belle
& potelée avec un col maigre & un corps,
élancé, & c. : car toutes •'ces parties peuvent
être fort belles prifes chacune.féparébient ; mais
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elles feront un mauvais .effet, fi on les met
enfemble dans un ouvrage de l ’a r t , quoii
qu’elles fe rencontrent louvent ainfi réunie^
dans la nature,
Je conclus donc que le peintre, qui poffède
la partie de Y imitation , eft un habile ouvrier ;
mais que pour l’idéal , il doit être lavant, &
joindre un efprit philofophique à une profonde
connoiffance de la nature ; oc comme il ne peut
parvenir à cette perfection , fans polïeder auparavant
le mérite de Y imitation , ®n ne peut s’empêcher
d’avouer qu’il eft bien plus eftimablç
que s’il avoit renfermé fon talent dans ce premier
degré de l’art.
Citons ici M. le Chevalier Azara, l’ ami,
l’éditeur 8c le commentateur de Mengs, Croire ,
d it- il, que Yimïtauon eft d’autant plus belle
qu’ elle eft plus exacte , c’ eft une erreur. Qu’a
de commun Ÿ imitation avec la beauté? lim i t a tion
, fans doute, a fon mérite particulier ; mais
fi l’original n’eft pas beau, la copie ne peut
certainement être b e lle , quelque reffemblante
qu’ elle Toit d’ailleurs. La beauté confifte dans
l’union de la perfeélion Sc de’ la grâce , &
tout ce qui n’ a pas ces deux qualités , ne fauroit
être beau.
Tous les tableaux de l’école flamande , pour
ainfi dire^ font des imitations parfaites de la
nature. Cependant quiconque a le moindre
gôût, ne peut y trouver une .véritable beautés
Ce font, fans contredit, de belles copies pour
ceux qui s’arrêtent au mécanifme de l ’a r t , &
qui n’y cherchent rien de plus ,; & l’on peut
appliquer ici un axiome de Quintilien : A deo
in illis qiioque ejl aliqua vitiofaimitatio , quorum
ars omnis confiât imitatione.
Mengs paffoit pour avoir dans l’efprit de la
fingularité ; mais ce n’ eft, pas dans ce qu’il a
dit fur Y imitation qu’ il e ft fingulier, &M . Rey *
nolds , qu’on n’accufe pasdebifarrerie , s’exprime
de m^me. L’ambition du véritable peintre ,
d i t - il, doit aller plus loin que la fimple imitation
de la nature. Au lieu de chercher à fé-
duire par la fidélité, par la minutieufe exactitude
de £es imitations, il faut qu’ il tâche de
donner,-par la grandeur de fes; idées , toute
la perfection poftible aux objets qu’ ii traite ;
& au lieu de briguer des . éloges lîériles en
trompant l’oeil des fpeélatèurs , il doit sîefforcer
à mériter un nom célèbre en captivant -leur
imagination.
Lè principe que j ’avance ic i, que la perfection
de l’art ne confifte point dans une fimple /nw-
tation, eft loin d’ être nouveau 8c fingulier :
il eft fondé fur l’opinion générale de la partie
éclairée du genre humain. Les poètes , les
orateurs , les rhéteurs de l’antiquité s’ accordent
unanimement à dire que la .perfection, dans
tous les a rts , confifte dans une beauté idéale
fupérieure à tout çe qu’on trouve dans la na-
I M I ture aCluelle. Ils citent continuellement, pour 1
expliquer leurs idées , la pratique des peintres
& des fculpteurs de leur temps , mais partjcu->
lièrement celle de Phidias, l’ artifte favori de
l’ antiquité : . 8c comme s’ ils n’avoient pu exprimer
affez leur admiration pour ce génie extraordinaire
| en difant ftmplement ce qu’ ils favoient
de fes ouvragés , ils ont eu recours à Fenthou-
fiafme poétique , en appellant infpiration , don
du c ie l , la faculté de trouver la beauté idéale.
Us fuppofent que l ’ artifte, pour remplir fon efprit
de l’ idée parfaite du beau , s’ eft élevé juf-
qu’aux régions éthérées. « C e lu i, dit Proclus ,
» qui prend pour modèles les formes de la
» nature, 8c qui fe borne à les imiter exaCle-
» ment, ne pourra jamais atteindre à la beauté
» parfaite; car les productions de la nature font
» pleines d’imperfeétions-, & par conféquent
» loin de pouvoir fervir de modèle de beauté.
» Auffi Phidias, lorfqu’ il voulut produire fon
» Jupiter, ne chercha-t-il point à copier quel-
» ,que objet que la nature lui auroit préfenté ,
» mais il ne lui vit que l’image qu’ il s’ enétoit
» formée d’ après la defeription d’Homère ». Et
Cicéron parlant aufli de Phidias , dit : « que
» cet a-rtifte , voulant faire la ftatue de Minerve
» & de Jupiter, ne prit.point pour modèle
» quelque figure humaine ^ mais que s’étant
» formé dans fon imagination une idée plus.par-
» faite de la beauté , il en faifoit conftamment
» l ’objet de fes contemplations, & employait
a tous fes efforts pour la produire de même au
» jour ».
Les modernes .continue M. Reynolds, ne
font pas moins convaincus que l’ étoient les
anciens de ce pouvoir fupérieur de l’a r t , & ne
■ connoiffent pas moins fes effets. On trouve dans
chaque langue des mots propres pour exprimer
cette perfection : le guflo grande des Italiens,
le leatt idéa l des François, le gréât f i y l e , Je
genius 8c le tafie des Anglois font différentes
dénominations de la même chofe. C’ e ft, difent-
i l s , cette dignité intellectuelle qui ennoblit la
peinture, qui fert à diftinguer cet art du fimple
mécanifme, 8c qui produit aifêment ces
grands effets auxquels Féloquèncé & la poëfie
ne parviennent que difficilement par des efforts
lents & répétés.
C’eft car l’ étude & l’expérience que l’artifte
parvient a créer ces grands effets. C’ eft par l ’expérience
feule qu’il parvient à découvrir ce qui
eft difforme dans la nature; o u , pour m’ exprimer
en d’ autres termes, ce qui eft purement
individuel 8c non id éal, de ferte que toute la
beautié & toute la grandeur de l’ art confiftent,
félon moi , à «’élever au deffus des formes individuelles
, & à éviter les particularités locales
8c les petits détails de toute éipèce. Il n’ y a
que celui q u i , par une longue habitude d’ob-
feryer, e ft parvenu à connoître ce que chaque
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efpèce d’objets a en commun , qui puifle dif-
cerner ce qui manque à chaque objet en particulier.
Cette longue & pénible comparaifon doit
être la première étude du peintre qui veut
atteindre au plus grandftyle. Par cette méthode ,
il acquiert une juftë idée des belles formes ;
il corrige la nature par elle-mcme , 8c le fert
de ce qu’ elle a de parfait pour cacher fes im-
perfeftions. Son oe il étant en état de diftinguer,
dans les objets, les difformités &: les défauts
accidentels de le.urs formes naturelles, il conçoit
, par abftraélion , une idée de formes plus
parfaites que celles qui lui font offertes par les'
originaux , & , ce qui peut fembler un paradoxe,
il apprend à deffiner fexaclement, en ne faifant
fes figures femblables à aucun modèle •exiftant.
Cette idée de l’ état parfait de la nature / auquel
l’artifte donne le nom de beauté idéale ,
eft le grand principe fur leque l il faut s’appuyer
pour produire des ouvrages de génie ; c’ eft par
ce principe que Phidias a mérite fa réputation ,
8c que- fes ouvrages ont excité l’admiration &
l’enthoufiafme , 8c ce fera encore par ce principe
que ceux , qui auront le courage defuivre
la même route , obtiendront une ' pareille
gloire.
C’ en eft affez fur Ÿînütation de la nature ,
& fur la manière dont le grand artifte doit
s’éloigner de la froide & fcrupuleufe imitation
qui le rendroit un ftérile copifte de fes modèles ;
il eft temps de paffer à Y imitation des grands
maîtres.
(Imitation des maîtres). Deux routes con-
duifent au bon goût ; l’une , plus difficile ,
confifte à faire choix dans la nature même de
ce qui eft le plus utile & le plus beau ; l’autre ,
plus aifée, fe borne à étudier les ouvrages oûl
oe choix a déjà été fait.
I l faut bien diftinguer dans im tableau que
Fon prend pour objet de fon étude deux chofes
très-différentes; l ’une eft la manière du maître ,
qu’ on peut comparer en quelque forte à l’accent
de Forateur ; l’autre eft le réfultat de la
caufe qui Fa conduit dans fpn tra v a il, c’e ft-
à-dire des principes qu’ il s’e ft formés. La plupart
de ceux qui étudient les ouvrages d’ un
maître , s’ appliquent principalement à s’ identifier
fa manière. C’ eft fe préparer de bonne
heure un moyen de n’ être jamais foi-même-
& de refter le copifte d’ un autre, même lorf-
qu’ on fera original. Ce font les maximes du
maître qu’ il, faut étudier, pour pouvoir employer
ces mêmes maximes dans l’ occafion. S i
l’on copie quelques parties d’un maître , -ce
doit être celles dont il a fait un choix partic
u lie r , celles auxquelles il s’ eft particulièrement
attaché par g o û t , par choix , par prin-
I cipe.
Remarque-t-on, dans les ouvrages d’ un maître,
! une partie de Fart quelquefois fupérieuremenr