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eftime, que parce qu’ il fuppofe de rares talens, '
des talenslnême intellectuels , dans les nobles
artifans qui le profeffent. Ce qu’on appelle un
bon peintre, & même un fort bon peintre, eft
celui qui pofsède bien ces differentes parties de
ion métier, ou du moins un grand nombre
d’ entr’e lle s , ou quelquefois encore celui qui
en porte un petit nombre jufqu’ à 1’ excellence.
L ’expreffif & le beau font des qualités qui appartiennent
au génie , & qui conftituent 1 art.
E lles peuvent faire un grand artifte d’ un
homme qui ne pofsède même qu’ une feule
partie du métier.
Demandera-t-on fi l’union de ces deux qualités
eft abfolument néceffaire pour conftituer
l ’ artifte , ou , ce qui eft la même chofe ,
Thomme de génie ? Je croîs que le beau ne.
peut fubfifter dans l’ abfence entière de l’ex-
prefïif i car c’eft l’ exprefilon feule qui anime
& donne la vie , & la beauté ne peut être
be lle fans être vivante •, elle eft le produit d’ un
beau corps & d’ une ame intelligente & fenfible.
Mais l ’ expreffif peut fubfifter fans le beau , &
fuffira feul à donner la qualité d’artifte à celui
dont il anime les ouvrages. Pourroit-on^ la
refufer en effet à un Albert Dure r, à un Rim-
brandt > Raphaël, qui uniffoit l’ expreflion à la
beauté fora le prince de l’a r t , & tel peintre
qui jouit d’ une grande eftime, juftement méritée
, ne fera qu’ un excellent artifan en
peinture. {A r t ic le de M . L ev e sq u e . )
1 MIGNA RD , ( a d j . , qui fe prend quelquefois
fubftantivement ). Donner dans le /nï-
gtiard , c’ eft tomber dans l’ affeté , le petit ,
le mefquin, pour chercher le gracieux. On a
reproché ce défaut à Pierre Mignard, premier
peintre du roi , après la mort de Lebrun. Ses
ennemis difoient que fos vierges étoient mi-
gtifirdes,
M IL IC E des anciens. Nous ne npus fommes
pas propofé de diftribuer, fous différens articles
de ce didionnaire, un traité complet du cof-
tume des anciens. Ce projet feroit trop v a fte,
& le terme que l’ on a pris avec les foufcripteurs
pour la livraifon de cet puyrage ne permettroit
pas de remplir une entreprife q y i exigeroît tant
de recherches t mais comme il eft cependant à
defirer que ce livre tienne lieu aux jeunes
artiftes d’ un grand nombre de livres relatifs
à différentes parties de l ’a r t , nous avons cru
devoir leur faire connoître au moins ce qu’ il
leur eft le plus utile de favoir fur les ufages
des nations dont l’hiftoire fournit le plus fréquemment
les fujets de leurs travaux. Nous
avons déjà parlé de la marine des Grecs & des
Romains -, nous allons traiter ici de ce qui
concerne leur milice : nous traiterons dans
jà’a.utres articlesdç leuj:s nâcesi de leurs pompes
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fun èbres, de leurs fie s religieux , de leurs
triomphes, de leurs vétemens. Ces articles
donneront un commencement de théorie que
l’on pourra perfectionner par l’infpeélion des
ftatues 8c des ba s-re lie fs antiques, parcelle
des ouvrages des maîtres modernes qui ont le
plus étudié l’antiquité, & par la lefture des
livres qui ont traité fpéciaJement des ufages
des anciens. Nous avons cru devoir entreprendre
ce tra v a il, parce qu’ il arrive trop ordinairement,
quand on ne pofsède pas au moins une
théorie commencée, que l’on voit les fources
les plus fécondes de l’inftruétion fans y puifer
aucune connoiffance folide.
Les fiècles héroïques comprennent les temps
qui s’écoulèrent avant & peu après le fiège de
Troie. Homère nous peint une vie fimple, des
moeurs dures , des arts naiffans, & il eft de
la plus grande vérité dans fes peintures, parce
ue les moeurs qu’ il traçoit étoient encore celles
e fon temps.
Les commencemens des fiècles héroïques remontent
donc au commencement de la vie fo-
ciale dans la Grèce, à l’époque où les hommes
quittèrent la v ie fauvage pour fe réunir dans des
efpèces de hameaux qu’ ils appellèrent des
v ille s , & pour exerçer une induftrie encore
foible & bornée.
Ils cultivèrent d’abord imparfaitement la terre
autour de leurs hameaux , ils raffemblèrent des
troupeaux d’ animaux domefHques , & furent
long-temps encore plus pafteurs qu’agricoles,
o u , ce qui fignifie la même chofe , encore
plus barbares que policés.
. Ils étoient entourés de vaftes folitudes où les
monftres croiffoient en paix, forçant quelquefois
de' leurs repaires pour venir tourmenter
les troupeaux 8c les pafteurs. Quelques fauvages
avoient encore gardé leur première indépen»
dance ; mettant dans leur force toute leur induftrie,
ils voloient les fruits, les troupeaux,
maffacroient les hommes, enlevoîent les femmes,
& troubloient la fociété naiffante. Ainfi
les exploits des premiers héros, des premiers
défenfeurs de la fociété, furent de détruire les
brigands & les monftres. Apollon, que l ’on
peut ici regarder comme un héros, tua le ferment
Python, Hercule l’hydre de Lerne , Perfée
le monftre marin qui menaçoit Andromède ,
Bellérophon la Chimère, Théfée le Minotaure.
Hercule nous repréfente bien le héros d’ un peuple
encore à demi-fauvage : fon principal vêtement
eft une peau de bête , celle du lion terrible
dont il a délivré fes citoyens j fon arme la plus
redoutable eft un bâton noueux ; fes moeurs font
groflières, fon appétit vorace, fes paffions indomptées
, fon courage féroce.
Les hommes raffemblés en fociété, & puifîans
de leurs forces réunies, détruifirent, fans doute,
les brigands fauvages & ifolés, ou les forcèrent
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à embralTer eux-mêmes la vie foclale j en ne
leur laiffant plus, dans l’ état folitaire, qu’ une
vie précaire 8c difficile à foutenir. Mais le
brigandage ne ceffa point avec la vie fauvage.
Nous avons vu que- les villes n’étoient que
des hameaux, & chaque hameau contenoit un
peuple entier , qui avoit fon roi, fes vieillards
ou magiftrats , fon armée compofée de tout ce
qui étoit en état de porter les armes.
Un fentiment trop naturel aux hommes ,
c’ eft qu’ils doivent être juftes dans le fein de
leur fociété, mais qu’ ils ne font fournis à aucun
devoir , à aucune obfervation de la juftice en vers
les étrangers : & dans l’état dont nous parlons
, tout ce qui n’étoit pas habitant d’ un
hameau , étoft étranger pour l u i , & par con-
féquent expofo à fes attaques.
Un autre fentiment aulli naturel , c’ eft que
tout ce qui exige du courage eft v e rtu , ou
plutôt que le courage eft la vertu fuprême ,
& renferme toutes le ? autres. On peut découvrir
l ’origine de ce fentiment dans celle des
fociétés , lorfoue les hommes ne pouvoient
v trouver le repos & la fureté que dans leur
courage.
Ainfi les habitans des fociétés naiffantes
exercèrent donc fans remords le brigandage
contre les fociétés voifines , parce qu’ ils
croyoient n’être obligés envers elles à aucune
obfervation de la juftice : ils l’exercèrent même
avec o rgu e il, parce que le brigandage exige
de la valeur.
On s’ informoit peu files exploits guerriers é-
toient fondés fur la juftice , pourvu qu’il témoignaient
du courage : on défigna l’homme vertueux,
l’homme excellent par le mot ariftos, &
ce mot étoit formé du nom que les Grecs don-
noient au dieu de la guerre : ils l’ appelloient
A rè s ; ce fut aulfi de Ton nom que vint le mot
A reté, qui fignifioit la vertu.
On vit donc les héros punir quelquefois les:
brigands, & quelquefois s’ honorer d’ être bri- ■
gands eux-mêmes. Toute la Grèce, dit Thu-
rydide , étoit toujours en armes , parce qu’ il
r.’y avoit de fureté ni dans les maifons, ni
fur les chemins. On étoit armé pour attaquer
& pour fe défendre , pour faire le brigandage
& pour le repouffer. Le prix du vainqueur
étoit ordinairement d’ emmener les troupeaux
de boeufs des vaincus , 8c les vaincus à leur
tour cherchoient à porter le ravage chez les
vainqueurs. Si Théfée fit la guerre à Pirithoüs,
c’ eft que celui-ci lui avoit enlevé des boeufs.
Dès-qu’ on ofa fe hafarder fur la m e r , en
•xerça la piraterie. Le nom de pirates n’avcit
rien d’ odieux dans fon étymologie.:, il fignifioit
feulement un faifeur d’ effais , de tentatives.
I l ne l’étoit pas non plus en lui-même : on
demandoit fans impoliteffe à un étranger qui *
Beaux-Arts. Tome U
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abordoît fur un r iv a g e , s’ il étoit voyageur ,
ou marchand ou p'.rate.
La guerre fe fit fouvent pour des femmes
enlevées : l’ enlevement d’Hélène arma la Grèce
contre la Phrygie. La ville de Troye fut prife
• & renverfëe après dix ans de fiège , pour punir
le raviffement d’ une femme, qui avoit bien
voulu être ravie. Des ro is , des fils de rois
furent engagés malgré eux dans cette grande
expédition, 8c l ’on peut-croire que ces fortes
d’ engagemens forcés étoient en ufage pour les
entreprifes importantes. Ulyffe feignit même
d’ être fou , pour s’ exempter de marcher à.cette
guerre : Achille fut tiré du Gynecée de Lyco-
mède, où il étoit déguife fous des habits de
fille. Dans les maifons où il y avoit plufieurs
enfans mâles , on en tira un au fort.
Déjà étoient inventées la plupart des armes
offenfives 8c défenfives , dont les hommes ont
fait ufage jufqu’à l’ invention de l’artillerie
moderne. Le cafque fe nommoit Çyne'e, parce
que dans l’origine , il étoit fait de peau de
chien marin. On changea depuis la matière en
confervant le même nom. On fit des cafques
de peau de taureau, on en fit même de peau
de be le tte , renforcée, apparemment, de quel-
qu’autre fubftance plus capable de réfifteraux
coups. Homère parle de cafques entièrement
d’airain ; peut-être cet airain étoit-il quelquefois
recouvert feulement d’ une peau de b ê te , .
pour donner au guerrier un atr plus térrible.
Les cafques étoient furmontés d’ un , de
deux , de quatre cimiers, deftinés à recevoir
des queues de ch evau x, dont les crins agités
par le vent & par le mouvement du guerrier,
augmentoient la terreur des ennemis. Cette
coëffure guerrière s’attachoit fous le menton
par le moyen d’ une courroie.
Les cuiraffés étaient fouvent d’airain : il y
, en avoit qui étoient compofés d’ anneaux -, d’ autres
étoient faites d’ une forte & épaiffe piquure
de l in ; telle étoit-celle d’Ajax Oïlée. On re-
vêtoit quelquefois par deffus la cuiraffe , en
forme de manteau ^ une peau de lion , d’ours,
de léopard, ou même de taureau.
Les guerriers portoient .une large ceinture,
garnie d’airain *, elle contenoit 8c renforçoit
en même temps la cuiraffe. La ceinture de
Ménélas lui fauva, la vie contre la flèche qui
lui fut lancée par Pandare. La ceinture faifoit
le complément de l’armure , & l’on difoit fe
ceindre , pour fignifier que l ’on revêtoit fes
armes.
Les guerriers couvroient aufli le devant de
leurs jambes d’ une arme défenfive, qu’on nommoit
Cnémis. Elle étoit aufti, pour l’ordinaire
, d’airain ou de lé to n , 8c s’attachoir
quelquefois avec des agraffes d’ argent.
Les Grecs alloient donc aux combats, pref
qu’ entièrement couverts de mé tal, comme l’ é
S s s