
» Or s’expliquer clairement, pour un tableau ,
» c’eft offrir les objets imités, de manière que
» vous ne pui filez ni vous tromper ni être arrêté
» par des incorredions & des obfcurités. Bien
» raifonner en Peinture , c?eft faire naître dans
» l’ordre qu’elles doivent avoir , les idées - qui
» font convenables au fujet dont elle parle ,
» d’après une intention fuivie. Enfin, plaire ou
» attacher, relativement au Peintre, c’eft préfen-
» ter des objets intéreflans, ou , tout au, moins,
» choifis, & s’ils ne font ni fort intéreflans, ni
» d’un choix diflingué, c’eft les offrir au moins
» avec les agrémens qui peuvent leur être pro-
», près, & non avec les difgraces dont ils feroient
» fùfceptibles. * :
» Il ne faut donc pas que vous e x ig ie z , en
» interrogeant une repréfentation d’objets com-
» muns,, qu’elle attache votre efprit ou qu’elle
» touche votre coeur, & croyez que ceux qui
» mettent fî fouvent en jeu l’efprit & le coeur,
» les ufent tellement l’un & l’autre qu’il ne leur
» en refie fouvent que des fbuvenirs. Si les re-
» préfentations dont je parle, rappellent fidèle-
jd ment à vos yeux & à votre mémoire des objets
» q u i, comme tous ceux de la nature , ont leur
» perfedion, leur beauté & fouvent même leur
» grâce, fburiez à cette magie de l'Art ; mais
» n’enviez pas , & fur-tout ne jouez pas des en-
» thoufiafmes qui feroient déplacés, quand même
» ils feroient vrais.
» Quant aux objets qui font de nature à atta-
» cher & à toucher vivement, n’exigez pas non
» plus une expreflïon égale à la nature même ;
» car alors vous defîreriez que Y Art fût la nature ,
» & Y A r t ne peut en opérer que la repréfènta-
» tion. Une glace fidèle ne pourroit pas même
» fàtisfaire votre defîr exagéré ; car bien que les
» images qu’elle repréfente foient ce qui appro-
» che le plus de la vérité, elles ne font cepen-
» dant, pour me fervir d’un terme de Y A r t ,
» que la contr’épreuve de la nature.
» Obfèrvez cette nature animée , vous ver-
» rez l’homme^ ému , lorfque fes émotions font
» vives , paller rapidement & inflantanément de
» nuances en nuances fans s’arrêter à une feule ;
» mais la repréfentation peinte, qui eft immo-
» bile & immuable, ne peut vous préfênter que
» celle des nuances inflantanées que le Peintre
» a préférée , & fon pouvoir ne s’étend qu’à les
» choifîr. J e fais que l’exprefîion eft la partie de
» la Peinture la plus recherchée par ceux de
» votre claffe, qui ont plus d’efprit ou de fen-
» tinrent que de lumières fur les moyens & les'
» procédés de Y A r t ; mais cette partie, la plus
» diflinguée fans doute de toutes celles de la
» Peinture, efl dépendante de toutes les autres.
» L ’expreflïon efl l’ame de la repréfentation hu-
» maine , mais Pâme ne fe montre dans la na- ture même qu’au moyen de parties & de for-
» mes corporelles, qui doivent être propres à
» recevoir fes impreflions. L e perfonnages d
» tableau pour paroître affedés de quelqu’impreÆ-
» fion, de quelque paflion que ce fo it, doivent y
» avant tout, fe montrer conformés comme ils?
» doivent l’être. Leurs traits , leur maintien,
» leurs gefies doivent parler fans doute ; mais
» ces traits ne parlent point ou s’expriment mal
» lorfqu ils ne font pas bien à leur place ; ce qui
» rend indifpenfàble au Peintre la connoiflance
» anatomique du corps humain & l’habitude d’en
» repréfenter tous les aPperis«-
» Les geftes doivent parler aufli fans doute
» mais la pondération ou l’équilibre que tous 1 e§
» membres obfervent dans le,s moindres mouve-
» mens , par une loi immuable de la nature
». n’exigent-ils pas de l’Artifte l’étude de cette
» fc ie n c e T o u t ce qui contribue à l’exprëflïon
» que vous defirez principalement dans les ta-
» bleaux a donc droit à votre eflime, d’après de
» très-fimples réflexions.
» Il ne vous efl pas néceflaire d’entrer dans
» les- détails de Y A r t ,* il vous fuffitr de les entre-
» voir ou d’employer quelques moment, non de
» ceux qui appartiennent à vos occupations, mais
» à vos loifirs, pour voir deflîner, ébaucher &
» peindre. Alors vous connoîtrez, autant qu’il vous
» efl néceflaire , que dans la Peinture il efl un
» A r t pratique fondé fur des connoifîànces ac—
» quifes - auxquelles vous accorderez certaine-
» ment un degré d’eflime. Vous ferez alors ré-
» flexion que fi vous exigez principalement des
» perfonnages du Théâtre l’expreflion, c’efl que
» la nature efl chargée prefque de tout le refte ;
» les perfonnages d’un tableau font bien, à- la
» vérité, des adeurs d’une fcène pittoresque ;
» mais le Peintre efl obligé de les créer, de les-
» organifer , comme il efl obligé de les faire
» jouer ; vous devez donc partager votre eflime
» pour lui entre le don merveilleux de créer &
» celui d’animer.
» Ne feroit-ce rien d’ailleurs, je m’en rapporte
» à votre ration, que le mérite de feindre le
» relief des corps fur une fuyface platte. ;
» de faire naître, par l’artifice des couleurs,
» l’idée de la profondeur fur une table ou fur
» une planche , dont la furface efl lifîè ; de
» faire croire que l’air ,circule autour des objets
» qu’on y repréfente ; de rappeller l’idée des élé-
» mens, les ilhifions de la perfpedive, effets ,
» fans doute , moins intéreflans que l’expreflïon ;
» mais qui, une fois- connus & établis, méritent
» de vous une jufte appréciation, une indulgence
» néceflaire, & de ne pas exiger trop exclufive-
» ment de VArt la perfedion d’une partie en
» faifant peu d’êftime de toutes les autres. «
Ces objets élémentaires, dont je préfente ici
l’efîài, comporteroient, comme on l ’àpperçoit ai-
fement, un Ouvrage, & je dois me borner à un
article. J e m’arrête donc, en ne me permettant
plus que quelques mots relatifs à un autre ordre 3
j|u l, indépendamment de ceux dont je viens^ de
p ar le r, fe trouvent compris dans la claffe qui ne
•protège ni n’exerce les A rts .
Cet ordrè, que le nombre & l’utilité rendent
r efpedable, efl ce qu’on nomme le Peuple -, nom
que les différens points de vue fous lefquels on
J ’envifage éièvent aux regards de la. raifbn, &
abaiflent aux yeux de l’orgueil. L e Peuple, félon
les climats qu’il habite, les inflitutions auxquelles
il efl fournis, & fur-tout félon le bonheur dont
il jouit ou les maux qui l’accablent, partage plus
ou moins à fon tour les plaifîrs & les bienfaits
.des A r t s , dont les ouvrages s’offrent occafionnel-
lement à lui. -
En Grè c e , le Peuple féntoit jufqu’aux fineflès
de l’Eloquence , jufqu’aux nuances de l’élocution :
i l étoit fans doute alors moins accablé fous le
poids des peines & moins enchaîné aux travaux
forcés & aux befoins. Dans l’Italie encore, le
Peuple fénfible Zc fru g a l, loin d’être fourd au
langage du Statuaire , du Peintre, du Muficien ,
du Poète, facrifie dés portions du temps nécef-
fàire à fés trayaux & du fruit qu’il en retire,
pour entendre, pour juger les A rts & les Artifles.
J l refpede les chefs-d’oeuvre expofès en public ;
11 en explique* les beautés à l’étranger qui s’arrête
pour les confidérer ; il écoute & chanté les
vers du Tafîè , de l’Ariofte , & marque, par Une
forte d’infpiration fpirituelle , fon fentiment fur
les accords & les accerts%>nt les Temples & les
’Théâtres réfonnent fans ceflè, & où il efl admis
librement & à peu de frais. .
L à Nature, moins favorable aux climats rigoureux
, ne fémble pas accorder aufli libéralement
.à ceux qui les habitent le don de voir & d’entendre
, relativement aux talens, ils participent
foiblement à la civilifàtion qu’opèrent les A rts l i béraux
j & cette privation forme une nuance remarquable
dans le caractère national.
Il féroit difficile , comme on peut le fénlir,
d’offrir à ceux dont je parle quelques préceptes
fur des jouifîànces dont ils font prefque totalement
privés. L e bonheur féroit le premier élément
fur lequel il faudroit s’établir, & cet élément
ne dépend ni d’eux , ni de nous ; ce qui
féul efl en notre puiffànce , c’eft de defîrer, pour
tous les ordres de nos fociétés , qu’il n’y en ait
aucun d’afléz affervi par les befoins & les travaux
de tous les jours & de tous les momens, pour ne
pouvoir participer aux fatisfaéfrons qui dérivent
des féntimens naturels & aux jouiffances que procurent
tous les A r t s , lorfqu’ils en parlent le langage*
.
Souhaitons que dans des momens de loifirs né-
fcefiaires le Peuple même puiflé fé livrer à des
plaifîrs innocens qui adouciffènt les travaux &
charment les peines inévitables de la vie. Délirons
que, par les foins prote&eurs & bienfaifans des
Princes pacifiques, les inflitutions & les , co'nve-
$ance,s, foutiens des A r ts nommés autrefois <#-
v in s , les élèvent à la perfedion , qui les a rendus
dignes de ce nom ; fouhaitons enfin que les Ar-
tiftes regardent la gloire de parvenir à cette perfection
, comme un tribut qu’ils doivent à la patrie
, & que ceux qui font référvés au bonheur
de jouir à leur gré des productions artielles, rendent
leurs jouiffances plus parfaites & plus affii-
rées, en contribuant, par tous les moyens qui
leur font propres, au maintien des principes , des
convenances & du bon goût.
A R T IC U LA T IO N , (fubff. fém.) Fo ye^ c i- après le mot Attaches.
A R T IS T E , ( fubft. male. ) Ce terme défigne
un homme qui exerce un Art libéral ; A rtifan ,
défigne celui qui pratique un Art méchanique. Il
faut obférver que ces explications font fondées
fur l’ufage le plus général dans le temps où j’écris ;
car les mots Artifie & A rtifan ont dû s’employer
indifféremment lorfqu’on ne diftinguoit pas avec
autant de précifîon qu’on le fait la différente nature
des Arts. On nomme donc aujoûrd’hui un
Forgeron, un Charpentier, un Maçon, Artifans%
& le Peintre, le Sculpteur, le Graveur, Artifles.
Cependant on ne nomme pas ainfî le Poète ni le
Muficien. Cette diftindion vient fans doute de ce
que lès Artifles què j’ai défignés emploient dans
la pratique, de leurs Arts , & mettent en oeuvré
pour leurs ouvrages des matières & des procédés
qui femblent quelquefois les rapprocher des Arti-
fa n s y tandis que le Poète & le Muficien nê font
ufage que de fignés convenus qüi n’ont aucun
rapport à ce qu’on appelle tra va il de là main.
Comme mon but efl non-feulement de rapprocher
les Beaux-Arts les urts dés autres', mais de
les confidérer le plus qu’il efl poflible par ce
qu’ils ont de noble & d’élevé , je m’étendrai
principalement, en parlant ici du Peintre , fur
les qualités libérales qu’on doit délirer' dans un
homme voué aux A r t s , & qui les exerce avec
le refpéd qu’on leur doit, dans un homme dont
les devoirs font dé tranfmettre fes lumières par
des inftrudions & des exemples, dans un Artifie
enfin, qui contrarie l’obligation d’augmenter la
gloire de fa patrie , en illuftrant fon nom par des
talens & des vertus.
L a vue prompte & j u f t e l a main adroite &
fléxible font inçonteflablement des qualités néce-£
fàires à ,l’A rtifie . J ’oferai y ajouter, non comme
effentielle, mais comme favorable , une conformation
heureufe & même diflinguée ; les proportions
& les formes qui nous appartiennent, s’offrant
continuellement à nous , il efl impoflible que nous
n’en ayons pas une confcience habituelle, & que
Y A rtifie ne mêle pas machinalement les fîennes
à celles qu’il defline & qu’il peint.
Sa complexion doit être affez forte pour fou-
tenir une vie contemplative & fédentairement
laborieyfe.