aux Rhodlens. On ignore quel fut fon maître,
& l’on peut foupçonner qu’il fut élève de quei-
qu’artiffe obfcur, & qu’il ne dût fes progrès
qu’à fes propres études & à fa grande application.
En effet il languit longtems dans-.une
grande pauvreté, occupé, pour vivre, à peindre
dés vaiffeaux -, ce qui probablement ne
feroit pas. arrivé, s’il fût forti d’une école renommée
avec les talens qu’il auroit dû y acquérir
: mais il eut plus de gloire , puifqu’il
fut fon propre ouvrage, & il le fentoit fi bien
que, dans le temps de fa grande réputation ,
peignant à Athènes le veftibule du temple de
Minerve, il y repréfenta de petits vaiffeaux
entre les acceffoires , pour faire connoître quels
avoicnt été fes commencemens ; énigme affez
obfcure par elle-même ; mais dont le grand
nom de l’artifte fit tranfmenre d’âge en âge
l’explication.
Sa première pauvreté lui -fit contrarier une
vie dure qui fut utile à fon talent. Pendant
tout le temps qu’il employa à peindre fon
^Jalyfus (**), il ne vécut que de lupins détrempés
pour fatisfaire fa foif 8c fa faim. Ce Jalyfus
étoit un chaffeur, comme on peut en juger
par le chien qui l’accompagnoit. Pline raconte
»• que Protogene mit à ce tableau quatre cou-
» leurs l’une fur l’autre, pour,le défendre de
» l’injure du temps 8c de la vétufté , afin
» qu’une couleur venant à tomber, l’autre lui
» fuccédât. » M. Falconet, dont nous avons
tranfcrit ici la traduélion qui * eft précife,
obferve iuftement toute la froideur du procédé
de peindre quatre tableaux l’un fur l’autre.
En effet, de la manière dont Pline s’exprime ,
le quatrième, le troifième, le fécond tableau,
fi’étoient que des copies fcrupuleufês du premier
qui devoit n’être vu qu’après que les
trois autres auroient été détruits par le temps.
'Os fait que quand un peintre traite deux fois
le même fujet de la même manière, on préféré
le premier tableau à celui qu’on appelle
Un double, parce que celui-ci n’a pas toute la
chaleur, toute la liberté de la première com-
ofition. Que feut-il donc penfer .de quatre ta-
leaux peints l’un fur l’autre , dans lefquels
chaque trait, chaque touche devoit être la
jrepréfentation fidèle de la toucha qu’elle couvrait
?
Pline ajoute que plus le peintre mettoit de
foin à bien repréfenter la bave du chien haletant
, & moins il étoit fatisfait de fon travail
; qu’enfin dans un moment d’impatience,
Il jetta fur cet endroit l’épongè remplie de
couleurs avec laquelle il effuyoit fes pinceaux,
(*) Jalyfus, comme on l’apprend de Pindare, étoit fils
A » Soleil ic de la nymphe Rhodos. Il donna fou nom â
; çne des tr-ois villes de i ’île de Rhodes.
& que le hafard imita parfaitement fa natüîSS
M. Falconet demande fi Protogenes jetta quatre
fois l’éponge avec le même fuccès , fur les
quatre tableaux qui le couvraient l’un l’autre.
Tous ces faits, rapportés par des auteurs qui
vivoient longtemps après l’artifte , ne méritent»
aucune confiance. Le conte de l’éponge jëttée
pour produire de la bave ou de l’écume, efl
rapporté de plufieurs peintres, & peut n’être
vrai d’aucun. Il peut bien être vrai que Protogenes
ait peint quatre fois fou Jalyfus , mettant
couleur fur couleur, 8c ce procédé connu
des artiftes, mais mal entendu par Pline, aura
été mal exprimé par cet écrivain. Que le peintre
ait mis fept ans à faire la feulé figure du
Jalyfus, cela eft ençore peu vraifemblable.
C’étoit un artifte très-foigneux, 8c incapable
de laiffer fortir de fon attelier un ouvrage donc
il n’auroit pas été fatisfait : il devoit donc
mettre à peu-près le même foin à tous fes tableaux.
Or, on fait qu’il a peint dans le veftibule
du temple de Minerve , Paralus , inventeur
des vaiffeaux à trois rangs de rames j 8c Nauficaa qu’on appelloit la muletier e , parce
qu’elle conduifoit une voiture tirée par des
mulets, fujet fourni par l’Odyffée : qu’il a
peint un fatyre en repos, Cydippe, Tlépoleme,
Philifcus, poëte tragique , occupé à compote?
une tragédie, un Athiete, le Roi Antigone-,
le portrait de la mère d’Ariftote , le dieu Pan ,
Alexandre, plufieurs fujets de la vie de ce
héros ; 8c fans doute d’autres tableaux, dont
les noms ce font point parvenus jufqu’à nous.
Voilà du moins treize tableaux connus, à n’en
comptef que deux pour les a&ions d’Alexandre,
& les fujets de plufieurs de ces tableaux exi-
geoient bien plus d’ouvrage que celui du Ja-,
lyfus : fuppolons cependant qu’il les aitr un
peu moins travaillés, & qu’il n’ait mis que.
cinq ans à chacun ; voilà foixante 8c cinq années
de fa vie occupées par ces ouvrages. Mai$
il ne fit longtemps que peindre des vaiffeaux,
& ne devoit pas avoir moins de vingt-cinq jfa
trente ans quand il commença à faire des tau
bleaux : voilà donc une vie de quatre-vingt-*
dix à quatre-vingt-quinze ans occupée toute
entière. Quand donc Protogenes a-t-il fait les
autres ouvrages dont Pline ne nous a pas con-
fervé le catalogue ? Quand a-t-il fait fes figu*.
res de bronze ?. Car il étoit à la fois peintre
ftatuaire.
On favoit que Protogenes finiffoit exceffiv®»
ment fes tableaux-, on favoit qu’Apelles: lui
reprochoit de ne favoir pas s’arrêter ; & fur
ce fondement, on aura établi le récit des fept
années employées au Jalyfus.
Ce qu’on peut croire, c’eft: que Protogen$
étoit un peintre très-pur, mais un peu froid;,
un peu*timîde, un peu peiné. On peut attribuer
ces défauts à se qu’il aypit manqué de J?pi\ï
‘ paître^
maîtres, à ce qu’il avoit été obligé de chercher
lui-même en tâtonnant les procédés du
métier , & à ce qu’il avoit commencé trop
tard à pratiquer ce qu’on peut proprement
nommer l’art. Il devoit donc pécher dans la
manoeuvre , ce* qui ne fit aucun tort à fa réputation
; car lesanciens daignoient à peine faire
attention à cette partie inférieure , dont, les
modernes ont fait trop fou vent la partie capitale.
(zo) Mél.anthius ou Mèlanthus étoit, airifi
qu’Apellcs, élève de Pamphile; il.s’eft diftin-
gué par le même caractère de 'talent que fon
maître; 8c ce caraékère étoit celui de la fa-
geffe. II a écrit fur la peinture.
( zi ) A sclépiodore , contemporain d’A-
pelles, etoit admiré de ce peintre, pour fon
exa&itude dans les proportions.- On peut
juger, npn du mérite des Artiftes , mais
de l’opinion que leurs contemporains avoient
de leur mérite , par Ae prix qu’on mettoit
à leurs ouvrages. Le tiran Mnafon fit peindre
les douze Dieux. par Afclépiodore , 8c lui
-donna de chaque figure trente mines, ou
z7oo livres de notre monnoie.
( z j ) Nicophane étoit compté entré les
plus grands Artiftes de fon temps par l’élégance
& l’agrément de fes ouvrages. Il avoit
une grande vivacité de conception 8c d’exécution.
Il fe plaifoit à peindre des courti-
( 2 4 ) A n t ïph il e né en E g yp te , a tia-
vaillé en grand & en petit. On cite de lui
-des fujets q u i, s’ il étoient traités d’ une manière
fanes : on a fait le même reproche à Arif-
ride.
( 13 ) Nicomaque , fils 8c éléve d’un
peintre nommé Ariftodeme. Pline lui donne
place avec Apelle , Protogêne , Afclépiodore ':
Plutarque compare fa manière facile de peindre
à celle dont Homère faifoit des vers. Il fe
diftinguoit de tous fes contemporains par
cette facilité qui ne femble pas avoir nui à
fon talent. Ariftrate , tiran deSicyone, le
manda pour peindre un monument qu’il vou-
loit confacrer à la mémoire du poëte Télefi*
tus. Le jour où l’ouvrage devoit-être fini étoit
fixé. Nicomaque ne vint que quelques jours ;
plutôt. Le tyran irrité vouloit le faire punir;
mais le peintre eut fini l’ouvrage au tems
marqué, & avec autant d’art que de viteffe. *
Cet Artifte étoit l’oppofé de Protogenes pour
l’éxecution.
Quelqu’un çritiquoit devant lui l’Hélene
de Zeuxis , & ne la trouvoit pas belle. « Prends
>> mes yeux, lui dit Nicomaque, &.elle te
» paroitra une Déeffe. » On# pourroit fouvent
répondre à ceux qui critiquent les chefs-
d’oeuvre? de l’art. « Prends les yeux d’un
artifte, 8c tu en reconnoîtras les beautés ».
Tome l. B eaax-Jtrtf'
conforme,à fa réputation, exigeoient. de
la beauté ,. tels que fon Héfione , fa Minerve,
fon Bacchus ; d’autre qui exigeoient de l’ ex-
preflion, tels que l’Hippolyte faifi d’effroi a
la vue du taureau envoyé contre lui.^ I l a
peint une figure ridicule qu’ il appelloit en
riant g ry llo s , le pourceau : c’ eft d e 'là que
les anciens ont nommé grylles les peintures
comiques , que les modernes appellent btimbo-
chades.
P lin e , liv. 35 , chap. 10 , Théon le fophifte ,
Varron , placent cet Artifte dans la première
claffe, ce qui engage M. Falconet a faire
un autre Antiphile de celui que Pline 9
chap. 1 1 , nomme entre les peintres qui ont
approché des plus grands maîtres mais on
peut fuppofer à Pline une diftraétion dont
M. Falconet ne doit pas le croire incapable.
Comme Antiphile approchoit beaucoup^ des
plus grands maîtres par le talent, Pline l’aura
placé avec eux ; & dans un autre chapitre,
longeant qu’ il leur étoit cependant inferieur,
il l’aura pu mettre dans, la fécondé^ claffe ,
& oublier de reélifierce qu’il avoit déjà écrit.
Cé qui me feroic prefumer que l’ Antiphile
des deux chapitres eft un même homme,
c’ eft que celui que Pline a place dans la première
claffe étoit d’ Egypte , & que celui qu il
range enfuite dans la fécondé a peint Ptolemee
roi d’Egypte chaffant; d’où je conclurais qu’ il
eft encore le même que le peintre Antiphile
dont parle Lucien , qui etoit attache au Roi
1 Ptolemée , & q u i , jaloux d*Apelle, ofa l’ a c -6
1 eufer d’être entré dans une confpiration : calomnie
qui auroit coûte la vie au peintre chéri
d’Alexandre, s’ il n’ avoit été juftiné par la dé-
pofition des conjurés. On diftinguoit entre les
ouvrages du fécond ou du feul Antiphile un
| très-beau fatyre couvert d’ une peau de Panthère,
8c un jeune homme foufflant un feu
qui éclairoit en même temps fa bouche &
l’appartement ; effet q u i, s’ il etoit bien rendu ,
fuppofe dans l’Artifte une grande intelligence
du jeu de la lumière , & un grand talent a exprimer
çe qu’ on appelle les effets -de n u it ,
fi la fcène fe paffoit pendant la nuit , ou a
bien marquer la différence de la lumière
artificielle & de la lumière naturelle , fi elle
fe paffoit pendant le jour. Ces deux talens
ne font pas des parties méprifables de la magie <
du clair-ebfcur , & fur le peu qui nous reftp
des monumens de l’art antique & des écrits
qui traitoient de çet a r t , il feroit temeraire de
prononcer qu’ elle ait été inconque aux peintres
de l’ antiquité.
L’Anriphile nommé par Pline dans la fe -
1 cpnde piaffe, ayoit pçint une fabrique
N n n n