
L e clair- obfcur d’un tableau, eft donc une
approximation à laquelle l’Art peut atteindre.
L e Peintre qui, pour y parvenir, eft aftreint
aux loix pofîtives & exades, de l’incidence &
de la réflexion des rayons^ lumineux , eft libre
au moins de fixer, dans chacune de Tes compo-
fitions , le point duquel il fuppofe que Te répand
la lumière , fur les objets dont il compofe
fon tableau. Il fait, comme Gédéon, arrêter le
foleil, dont il veut éclairer la compofîtion à un
un lieu fixe ; il lui prélente les furfaces qu’il
defire qui foient éclairées , & interpole à Ion
gré des objets pour occafionner des privations
plus ou moins complettes , &, par-là, plus ou
moins favorables aux effets harmonieux qu’il eft
tenu de produire,
Ainfî, la fcience du clair-obfcur,- cor.fifie dans
l’exaditude à le conformer aux loix Phyfiques,
que luit une lumière fixe après les luppolïtions
qu’on le permet de faire , pour l’avantage du
liijet qu’on traite.
Cette liberté de luppolïtions n’eft pas indéfinie
; car fi elle conlîile , par exemple , comme
il eft le plus ordinaire, à ne pas offrir au fpec-
tateur, le foyer de la lumière , dont on éclaire
le tableau , il faut cependant que le fpedateur
inftruit & févère, puiffe Ce démontrer que le Peintre
ne fait jaillir les rayons que d’un point, & même
découvrir dans quel endroit, hors de la compofîtion
, peut être ce point ; comme un Géomètre
, en achevant de prolonger des portions
de lignes qui s’inclinent l’une vers l’autre, parvient
-au point de leur réunion.
Le problème à remplir, à cet égard , par le
Peintre, eft donc, après,avoir pofé idéalement
le foyer d’où, il fait jaillir fa lumière, & flip-
pofé les accidens d’interpofîtion & la difpofîtion
de les-objets , de fe conformer géométriquement
aux règles d’incidence & de réfradion , que la
nature prefcrit aux rayons de la lumière véri- Il
Il faut cependant ajoûter que, vu l’impoffibi-
lité de remplir ces conditions dans leur étendue,
& leur plus grande exaditude, on ne fauroit exiger
dans la pratique la précifîon géométrique que
prefcrit la théorie. Aufii celui qui regarde un
tableau, plus occupé de jouir que d’approfon-v
dir par des démonftrations, fi i’Artifte a. pu réfoudre
'complettement le problème qu’il s’eft pro-
pofe , n’eft jamais févère, fur-tout fi le.Peintre
s’attire fon indulgence, par le plaifîr qu’il lui
catjfe, . , Je me fuis étendu fur ces explications du. mot
C l a ir -obscur. , bien moins, comme on doit le
fentir, pour les Artiftes, que l’habitude de voir
&: d’opèrer inftruit, que pour ceux qui ne peigent
pas, & qui la plupart n’ont pas une idée bien
nette de ce que .ligninece terme. . _
Pour rendre cette explication encore plus claire >
s'il nieft poffible, je dois ajouter que chaque
objet en particulier a fon clair obfcur 9 d’après
ce qui vient d’être dit, mais que ce qu’on entend
plus ordinairement par ce mot, lorsqu’on parie
d’un ouvrage de Peinture » c’eft l’effet réfultant
de toutes les lumières, de toutes les ombres,
& des rejaiilifTemens dont on a fait ufage dans
le tableau.
Ainfi le fiftême de clair-obfcur, de tel ou tel
Peintre , eft celui qu’il fuit le plus ordinairement
dans les ouvrages ; en difpofant dans un certain
ordre qui lui eft plus familier, les lumières &
les ombres pour produire un effet général.
Un moyen d’appercevoir d’un coup-d’oeil Teffet
général du clair-obfcur dans un tableau, eft de
s’en éloigner à une diftance' telle que les objets
particuliers , éclairés fubord^nément , chacun
d’après les fiippofîtions établies , n’attachent plus
trop les regards , & que les lumières & les ombres
principales fe préfentent à la vue comme par
malles , par enchaînement ou par grouppes, qui
fîiBordonnés entr’eux , fàtisfaffent les regards par
un. accord, une harmonie & un repos, auxquels
fè complaît le fens de, la vue.
Le tableau qui produit cet effet, prefqu’abfô*
lument phyfîque , à la - diftance d’où l’on peut
en juger, eft bien combiné , quant à cet partie.
Le tableau qui ,-à quelques diftances qu’on le
regarde, pour le foumetrre à l’épreuve dont je
p'arle, ne préfente aux yeux que des lumières
& des ombres épar fes, incohérentes, eft l’ouvrage
d’un'Artifte qui ignore'à la fois la fcience &
l’Art du clair'obfcur.
Ce qu’il faut concevoir maintenant, c’eft que
l’Art du clair obfcur ; qui fadsfait effentielle-
ment le fens de la vue , contribue par-la à la
fatisfaâion de l’efprit du fpedateur.
Le clair-obfcur bien entendu, fatisfait le fens
phyfique de la vue, parce qu’elle fe complaît ,
comme j'e l’ai dit, dans l’accord des lumières &
des ombres ; comme l’oreille dans l’harmonie des
fon s ; au lieu que les regards fo'nt bleffés., pour
ainfi dire, par l’éparpillement des lumières & des
ombres, & par le manque de liaifons & de fii-
bordination entre elles,
'Mais fi la vue fe repofe & fe promène fans
.être bleffée fur un tableau dont le clair-ahfeur eft difpofé avec art, & accordé avec intelligence,
on conçoit qu’elle diftingue plus facilement chaque
objet de la compofîtion , & dans chaque objef
les détails .qui peuvent exciter la curiofîté de l’ef-
prit & l’intérêt de Famé.
Comme dans l’ordre des impreflions que fait
éprouver la Peinture, l’impreffion phyfîque eft
neceffairement la première , cette impreffion doit
donc en précédant les autres, favorifçr celles
de Famé ou leur nuire.
Voilà l’idée la plus développée que j’ai pu
donner du clair-obfcur i confîdété phyfiquement
& moralement, pour ainfi dire, dans la Peinture j
“c’eft-à-dire, , relativement au méchanifîne, & au
libéral. ... . N
: Je donnerai place,, apres ces explications a une .
-forte d’objedion qu’on pourroit ôppofer aux principes
que l’Art prefcrit au Peintre.
• L a nature, dira-t-on , ne prend aucun foin de
groupper, ou d’enchaîner , ou de maffer fes lumières
; tous les objets mobiles font affembles
•ou difperfés fans méditation pittorefque , & cependant
ils offrent • toujours un tel accord de
clair-obfcur, que le Peintre qui imiterort au
hafard , mais qui -imiteioit parfaitement, feroit
un tableau dont l’effet feroit certainement ad-
fkiiré. J
L a réponfe à cétte objedion mè paroif devoir
etre*celle-ci: imiter parfaitement étant au-deflus
des moyens de ’Art , il eft neceflaire que 1 Artifte
mette à la place de cette perfedion qui lui eft
•refufée , les reffources de l’intelligence & du
génie.
C’eft,cette raifon , <jui dans tous les Arts di*
mitation a) produit les principes , les moyens médités,
les règles & les artifices qui les diftinguent.
L ’abfolume-nt parfaite illutation qui eft le
but des Arts libéraux , ne différer'oit pas de la
Nature , & par conféquent, auroit tous fes avantages
; mais le plaifîr ou la peine , qu’occafîonne
. l’imitation , telle que nous pouvons la faire , ne
feroient plus les memes. Il fe mcle toujours dans
le plaifîr & même dans les émotions douloureufes
que donnent les imitations , lidee dune^ joute
entre l’art & la nature , l’idée des difficultés qu’il
faut vaincre , & enfin l’idée d’un mjdlère plus ou
moins ingénieux qu’on a employé , qui offre
une autre fatisfaâion , celle de le penetrer.
, Ce font donc cès moyens myftérieux d’ordre,
de combinaifons & de choix qui fervent en effet,
ou qui tiennent lieu des perfections d’imitation,
■ que les Arts humains ne peuvent atteindre.
Voilà les notions qui me paroiffent les plus
■ effentiell.es aux lefleurs pris en général, pour fe
former des idées *du clclir-obfcur. Je vais, fui-
; vaut mon ufage , paffer à quelques obfervations
■ plus particulièrement relatives à ceux qui s’irif-
. truifent de l’Art pour le pratiquer.
L e jufte .emploi des.-lumicres, en raifon du
fo y e r , en raifon de l’intenfité, enfin en raifon
des accidens qui les modifient , exige que vous
obferviez fou-vent l’effet du c ie l, du foleil, des
‘ nuages & des interpofîtions qu’ils préfentent ; il
..faut que vous ayez dans le fouvenir , en peignant
• un tableau, toutes les' difpofitions & les fuppo-
fitions que vous avez 'établies, pour parvenir à
en compofer l’harmonie, comme l’Auteur dram-
matique ne-doit jamais perdre-de vue fon expo-
. fîtion , & les événemens qu’il fuppofe arriver dans
les intervalles qui divifent chacun de fes afles.
unis que trop éloignés les uns des autres , & de
manière aufli que la lumière frappe principalement
Lorfquevous placez vos modèles pour deffiner
ou pour peindre, n’ayez-vous pas foin de difpo-
. fer leurs membres, de manière qu’ils foient plutôt
les parties qui, dans ce moment y vous in-
téreffent le plus i eh bien , ce que vous faites ,
prefque par inftinâ: , pour la fatisfaâion de vos
yeux , & pour l'a facilité & l’agrément de votre
étude, èft la règle qui vous conduira à opérer-'
dans toutes les circonftances, pour l’avantage de
ce.ux qui verront vos ouvrages.
Attachez les-regards fur vos tableaux y vous
aurez par cet artifice , un moyen puifiant d’attacher
Fefprit. Dans les- jouiffances que procurent
les Beaux-Arts, quelque fpirituels que foient ceux
à qui l’on offre leurs produâions , le fens auquel
elles .s’adreffent pour parvenir à Fefprit ou à
l’âme, vient avant tout exiger ce qui lui eft dû.
l’efprit a beau fe prévaloir , il n’obtient rien que
de la féconde main , pour ainfi dire : 'bienheureux
encore, lorfqu’il reçoit les impreflions qui
lui font deftmées, fans trop de complication.
Vous, dont le premier devoir dans l’ordre des
fenfations eft de féduire, de flatter, de tromper
la vueétudiez donc avec un foin extrême, l'ed ^
moyens qui peuvent vous faire parvenir à cès dif-
férens buts ; corinoiffez .lës difpofîtion^ les* plus
favorables au clair-obfcurj mais, comme il en
eft une infinité , ne vous repetez pas par pareffe
ou par habitude.
On peut attacher le regard, en enchaînant
les lumières de façon qu’elles ferpentent dans la
compofîtion, & qu’elles la faffent parcourir aux yeux
qui feront guidés par cet artifice , fans qu’ils
s'en appérçoivent.
On peut les ' attacher par un feul grouppe lumineux,
qui décide leur attention & l’arrête. ,:
On peut difpofer .des grouppes de lumières ,
qui, fubordonnés entr’eux , laifient dominer celui
dans lequel vous aurez placé l’objet de vos affections,
je veux dire., celui que vous deftinezà
intérefïer davantage.
Je m’étendrois trop, fi je parlois de tous les
détails, par lefquels les .différens maîtres, diftin-
gués. dans cette partie , font parvenus à Fharmoï-
nie qui lui eft néceffaire.,D’ailleurs, comme ils
ont pris quelquefois différens moyens, fi vous voulez
donner quelque préférence à l’un d’eux, il
n’en a guère été de plus inftruits des routes agréablement
& profondément lavantes, qui conduifent
à une magique harmonie du . clair-obfcur, que
le Corrège.
c o
COLORIS, COLORER & COLORIER. J’ai
annoncé , à l’article Carnation , que je réunirois
dans l’article C ouleur, des notions qu’on auroit
pu divifer, à Foccafîon des mots carnation , &
coloris ; mais , en même-temps, j’ai préfenté,
dans ce premier, article , une idée fuccinâe, de
.0 o ij * f