
» & uh vêtement qui marque fa dignité, fur-
» tout lorfque celui qu’il portoit n’étoit pas
» ignoble. Si l’ artifte s’ éloigne quelquefois du
» coftume , ce rie doit être que pour ajouter à
» la dignité de fon fujet: tousles grands peintres
» & les grands artiftes font d’accord fur ce
» p oin t.. . . Un homme vêtu d’ une efpèce de
» camifole fort ferrée, qui laiffe voir les bras
>> nuds jufques par-deffus les épaules , reffemble
33 plutôt à un forçat qu’ à un légiflateur. Le dé-
» faut d’expreffion & de convenance eft tout
» aufli frappant •, un hommequi d’une maintient
» le bas de fa barbe , 8c dont l’ autre main fans
» aéiion eft pofée fur fon ventre, n’ exprime rien,
» abfolument rien : il ne dit pas un mot de ce
» que Moyfe avoit fans ceffe à dire à fon peuple
» indocile. Quel heureux fujet pour un ftatuaire !
» que d’expreflion , de grandeur, de pathétique.
» il préfente » !
Sans doute le défaut de convenance le plus
choquant eft celui de l’ expreflion , parce qu’ elle
tient de plus près à l’effence de l’art. On a reproché
au Guide d’avoir extrêmement affoibli
l ’ expreflion de fes figures dans la crainte d’ en
altérer la beauté, comme fi la beauté exprefïive
n’étoit pas la première que l’art dût fe propofer.
pour objet.
L’êxprefïion pittorefque étant la première convenance
de l’art follicite l’indulgence pour les
ouvrages où elle fe trouve jointe à des défauts
contre d’ autres convenances. Je me ferai mieux
entendre en laiffant parler M. Falconet fur la
fameufe defcente de Croix de Rubens. « C’ eft
» en Flandres , d i t - il, à Anvers fur-tout qu’il
33 faut voir ce peintre dans les compofitions à
» grands refforts. Je ne parle pas de fes diffé-
>3 rens ouvrages que j’ai vus -, je me borne à
33 dire ici que fa fameufe defcente de Croix eft
» un des plus effrayant tableaux que je con-
» nciffe , 8c peut-être celui qui , en me pré-
» fentant ce que l’art a de plus exprefîif, m’a
„ fait le plus û’horreur. L’ idée d’un corps divin
as n'avoit pas pénétré l’ artifte : fon chrift mort
» eft un v il fupplicié qu’ on détache du gibet-,
>, fi l ’on ne voyoit pas la croix , on penferoit
33 que c’ eft même de la roue. Chaque fois que
» je verrais ce tableau, je croirois être à la
>3 grève quand on en ôte un malfaiteur après
>3 l’ exécution. Eft-ce ou n’eft-ce pas l ’éloge de
» Rubens que je fais ? Je n’en fais rien : je .
„ peint l’ effet que fon tableau fit fur moi quand
,3 je le vis à Anvers -, & f i , en ne le voyant
'>3 plus, les traces en font en quelque forte af-
>, foiblies , elles ont cependant allez de forpe
>3 encore pour me faire à-peu-près la même im-
33 preffion ».
L idée que les anciens Grecs s’étoient formée
de l’art les entraînoit à un défaut de conve.-
nance. Ils regardoient l’ imitation de la plus
grande beauté comme l’ effence de l’art, & le
corps humain dans fa forme laplus parfaite comm«
le complément de la beauté. Us ne fe prêtoienc
donc pas volontiers à voiler, & failoient fouvent
ceder les autres convenances à l’idée qu’ils
avoient du beau, en repréfentarit les figures nues
dans les fujets où elles auraient dû être drapées.
G eft ainfi qu’ils ne donnèrent aucune draperie
au Laocoon , quoique ce prêtre ne dût pas être
nud au moment où il fut attaqué avec fes fils
par les ferpens qui leur donnèrent la mort. La
edebre colledion du Duc de Malborough nous
offre plufiéurs exemples de femblables difeon-
venances. Dans la trente-huitième pierre , le
foldat ou l’Achille defeendant d’une roche eft
nud. La trente-neuvième pierre repréfente la
difpute d’Ulyffe & de Diomède ; les figures font
nues 8c d’une grande beauté. Sur la pierre quarante
- deuxième on voit un foldat bleffé qui
tombe, & un autre qui pourfuit le meurtrier.;
tous deux font nuds, leur tête feulement eft
couverte d’un cafque. Les foldats Grecs quit-
toient-ils leurs habits pour aller aux combats ?
On fbupçonne que la pierre quarante-cinquième
repréfente un Alexandre : fa tête eft auffi caf-
quée , fon corps eft abfolument nud , fon cheval
eft derrière lui. Alexandre avoit - il coutume
de monter nud à cheval ? ( Article de M , L e*
VESUVE ).
CONVENTIONS. Si les arts employoient abfolument
les mêmes moyens que la nature , ils
feraient la nature , & le mérite de leurs pro-
duétions ne ferait plus fondé fur les mêmes
bafes. Les arts imitent la nature , & ne la doublent
point ; on peut dire même que la peinture
ne peut parvenir qu’à feindre des imitations
, c’eft un des arts dont les illufions & les
conventions font les bafes. Ces arts , qui ne peuvent
créer,. font obligés d’employer pour opérer
leurs preftiges , des moyens que la méditation
fait inventer , & que l’induftrie perfectionne ;
mais ces moyens ne fuffiroient pas , s’il ne s’éta-
bliffoit encore entre ceux qui font deftinés à
jouir des ouvrages des. arts 8c ceux qui les pro-
duifent , des conventions plus ou moins avouées
plus ou moins fecrettes. La première de'ces
conventions eft, pour ceux qui fixent les yeux
fur un ouvrage de peinture, d’oublier,, autant
que cela eft poffible , pour quelques moraens ,
que la repréfentation peinte eft une imitation.
De fon côté l’Artifte , en expofantfon ouvrage,
eft fenfé. dire à ceux qui le regardent : en
vous laiffant féduire , fi j’ai ce bonheur, fie
perdez pas abfolument de vue que cette illu-
fion qui vous féduit eft l’effet de l’art ; qu’elle
eft mon ouvrage, & fongez combien il faut
de foins & d’études pour y parvenir. Ces pactes
mutuels font tellement indifpenfables que s’il
étoit poffible que le fpeétateur fe trompât irrévocablement
, les artifiés perdrqienç ce qui
flatte le plus, l’admiration de leur talent ; 8c
les fpeélateurs le principe'du plaifir que pro- -
duifent les arts ; car il eft certain que le but
des arts pour les uns 8c les autres ne peut être
que des erreurs momentannées. L’ a rifle 8c le
fpeétateur fouffrent donc volontiers, & doivent
aefirer même que l’ouvrage ne trompe pas abfolument
; mais qu’il engage à fe laiffer tromper.
Si l’erreur étoit entière au premier abord , ce
ce qui peut avoir l-ieu dans certaines circonf-
tances, il eft indifpenfable, comme je l’ai dit,
pour que la réuffite foit complette yqu’on re-
connoiffe enfin que cette erreur eft l’éffôt de
moyens Inventés 8c employés avec la plus grande
intelligence ; car c’efr de cette connoifl’ance
que naît, dans ceux qui jouiffent des produétions
artiellés1, un fentiment agréable , qui, mêlé
d’admiration, fe partage, fans qu’on s’en rende
précifément compte , entre l’ouvrage , l’artifte
8c l’art, & fouvent l’objet réel qu’on a imité,
lorfqu’il a été bien choifi.
Le fpeétateur joint encore affez fouvent à ces
idées celle du moyen qu’il a de reproduire en
lui ce fentiment agréable, en revoyant l’imitation
; comme on le fait un plaifir d’avance de
pouvoir relire un ouvrage imprimé qui fatis-
fait l’elprit ou le coeur : je ferais tenté d’ajouter
encore à tout cela la fatisfaélion des perfonnes
qui partagent la jouiffance de ceux, à qui ils
procurent la vue d’un bel ouvrage , 8c qui font
témoins des mêmes illufions qu’ils ont éprouvées.
Il refaire de ces élémens que des plus ou moins développées font infécpoanravbelnetsi odnes ;
l’arc de la peinture ,' comme il en eft d’effen-
tiellement attachées aux autres arts libéraux. Il
eft indifpenfable, par exemple, que tout fpee-
tareur convienne tacitement de fe placer ( pour
éprouver les illufions qu’a eu deffein de produire
fur lui l’artifte ) à la diftance & au point
de vue qui doit contribuer le mieux à le tromper
-, il faut qu’il fe foumetta à renfermer en
quelque façon fes regards dans l’efpacè peint ,
qui , pour lui rappeller cette convention , fe
trouve ordinairement circonfcrit par unebordure,
dont le véritable avantage eft de fixer la vue
8c d’oppofer . quelqu’obftacle à la diftraélion
que cauferaient les objets voifins , & à la com-
paraifon d’objets naturels 8c vrais , 8c d’objets
imités.
C’eft par cette néceffité de conventions tacites
que nous nous accordons même avec le
joueur de gobelets pour nous en laiffer impofer ;
8c que, d’après une forte de paéte fecret, nous
nous prêtons à nous approcher de lui , à nous
laiffer placer à fon gre, & à nous fonmettre à
toutes les préparations qui fâvorifent fes adroites
fupercheries.
J’ajouterai, puifque j’y fais naturellement
conduit, que ceux qui,:n’ayant aucun penchant
pour les arts & pour la peinture en particulier,
fe refufent avec affeélacion à obferver les con"
vendons néceffaires , 8c fe font une forte de
vanité de fe défendre opiniâtrement de ce qui
peut favorifer les illufions artielles , reffemblent
a certains fpeélateurs des jeux dont j’ai parlé ,
qui croyent montrer de l’efprit, de la làgaciré,
8c ne fe montrent que ridicules , en fai fan t, s’ils
le peuvent, manquer les tours d’adreffe dont on
fe propofe de les amufer. La dérifion qu’ils ef-
fuyent , ou l’impatience qu’ils caufent, vient
de'ce que , par une petite vanité mal entendue ,
ils rompent ouvertement les conventions que
, les autres obfervent pour leur amufemenr , fans
fe croire plus dupes que ceux qui ne veulent
pas fe laifïèr tromper.
Plus on entre dans les détails - pratiques de
la peinture, plus on apperçoit le nombre con-
fiderable de conventions, qui doivent néceffai-
rçment s’établir & s’obferver pour que cet arc
puiffe exifter. Une des plus indifpenfables encore,
eft celle qui, relative à la différence de
dimenfion, fait que nous nous prêtons àl’iliufion,
même pour les imitations plus ou moins,grandes
que les objets imités. Sans une convention tacite,
il ne pourrait certainement y avoir aucune
illufion pour le fpeélateur, & fur-tout à l’égard
des tableaux qui repréfentent la nature humaine
, dont les dimenfions ordinaires nous
font plus habituelles. Auffi-tôt que l’art de la
peinture s’établit, il s’établit donc auffi de la
part’ de tous ceux pour' qui fes ouvrages font
deftinés, cette convention, qu’une figure de
quelques pouces de hauteur repréfentera uk
homme ou une femme de la grandeur ordinaire.
Dès-lors chacun fe chargé , à l’aide de fon
imagination, de grandir ou de diminuer les
figures petites ou coloffaîes ; 8c l’on conçoit
aifément que fi l’imagination eft fufceptible de
ce miracle , relativement à la figure humaine ,
elle doit avoir moins de peine à opérer un
femblablë effet pour lès’objets inanimés, qui
la plupart font fufceptibîes eux-mêmes de très-
grandes différences dans leurs dimer fions naturelles.
Ne paffons pas fousfilence une autre convention
non moins difficile à remplir, 8c fur laquelle
on ne réclame pas plus cependant que fur celle
dont j’ai déjà parle ; c’eft celle de fe prêter à
l’immobilité effeélive dans les objets que.l’imitation
fappofe en mouvement.
Il exifte, dans les arts libéraux, deux genres
d’imitation de la nature ; les ouvrages de l’un
de ces genres font dénués de mouvement, telles
font les imitations produites par la peinture
8c la feuipture : les produélions de l’autre genre
font dr.uées de mouvement, ou s’opèrent à l’aide
du mouvement *, telles font les imitations qu’exé^
cutent la pantomime , la poëfie, l’éloquence &
la mufique.
Le premier genre exige que l’on fuppofe des