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€ju ils faifoient partie de l’éducation des feuls hommes
libres, & nous apprenons de Pline qu’ils ne
commencèrent à dégénérer que lorfque la richeffe
& la faveur commencèrent à devenir le prix de
l ’adulation & de la fervitude.
A la renaiffance des lettres , ou plutôt de l ’ef*
prit humain ( car il faut regarder comme un état
de^ mort la longue & profonde léthargie ou l ’a-
voit plongé la dénomination des barbares) , nos
aïeux j pour diftinguer ces Arts qu’ils effayoient
de ranimer , d’avec les Arts greffiers & mécaniques
, leur confervèrent la dénomination qn’v
avoient attachée les Grecs & Romains | ils les appelèrent
encore libéraux quoiqu’il n’y eût plus
de liberté fur la terre.
A cette dénomination qui , comme tant d’autres
empruntées des langues grecque 8c latine, n’avoit
plus aucun caractère de vérité , on en joignit- une
nouvelle , beaucoup plus vague fans doute , mais
beaucoup plus jufte , plus vraie , & -dont l ’ ufage
femble 1 avoir emporté fur celui de la première.
L e s Arts libéraux font aujourd’hui plus fouvent
qualifies de B eaux - A rts £oit parce qu’ils prennent
leur origine dans les plus belles facultés de
notre être, la penfée , l ’imagination , & le fenti-
ment ; (bit parce que leur objet eft d’embellir
toutes les productions de la nature.
Chez .les Grecs & chez les Romains , le domaine
des Arts libéraux étoit beaucoup plus étendu
que ne l ’eft parmi nous celui des Beaux-Arts. Il
embraffoit à la fois la Mufique , la Danfe , tout
ce qui appartient au Deffin , la Grammaire , l ’Hil-
toire , l’Eloqu ence la Pôéfie , la Géométrie , la
Courfe, la Lutte, l ’Equitation, & les divers exercices
de la Gymnaftique mais aujourd'hui que
notre conftitution politique n’interdit ni ne commande
ces éxercices à aucune claffe particulière
de citoyens , nous réduifons commuuément les
Beaux-Arts a la Peinture, la Sculpture,la Gravure
, 1*Architecture , la Mufique, & la Danfe.
Nous aurions dû fans doute nommer l ’Art de la
Poéfîe , & même le nommer avant tous les autres ;
mais le dictionnaire des Belles-Lettres s’en eft
emparé,& il faut avouer que , dans l ’ état préfent
de nos moeurs & de nos idées, la Poéfie tient encore
plus aux Lettres qu’aux Arts.
De toutes les formes d’ouvrages propres a éclairer
l ’elprit fur les productions du génie, fur-tout
dans les Beaux - Arts , nous ne craignons pas d’avancer
que la plus ayantageufè eft celle du dictionnaire.
Cette forme a cela de particulier -&
d’utile , qu’elle proferit tout, efprit de fyftême ,
efprit non moins funefte aux Arts qu’aux Sciences
j le meilleur moyen de bien faire connoître
les chofes , c eft de définir exactement les mots,
ou de faire l’hiftoire des mots lorfqu’il n’eft pas
poffible d’en donner une. définition exacte & fàtif-
faifante.
L ’Art n’ eft autre chofè qu’un afferablage d’exemples
, d’obfervalions, & de réflexions, q u i, fe prêtant
mutuellement de la force & de la lumière,
éclairent, dirigent, & affurent la marche de l ’efprit :
mais faire de cës obfervations des préceptes inviolables,
transformer quelques réflexions fur des exemples
particuliers en lois abfolues & générales , c eft
aller contre l’intention de nos premiers maîtres r
c’eft attaquer la liberté de.l’efprit humain & le
condamner à une forte d’immobilité. Ne craignons
pas de le dire , il y a ' beaucoup moins d’ineon-
véniens à abandonner le génie à lui - même , qu a
gêner tous fes mouvemens en le tenant renferme
dans des bornes trop étroites.
L ’ouvrage que nous annonçons n a été' exécuté
que d’une maniéré très-imparfaite dans la grande
Encyclopédie ; c’eft peut - être la partie la plus-
négligée & la plus fautive de cet immenfe &
utile dépôt des connoiffances humaines. L a Mufique
eft le feul des Beaux-Arts qui y foit traité"
avec l’étendue , la fuite , l ’unité de principes 6c
de ton qu’exige le plan que nous avons tracé.
L a théorie de la fcience y eft exprimée avec clarté'
& précifion ; les principes de goût y font prefentes
non feulement avec élégance , mais encore avec
cet intérêt , cette chaleur d’imagination fans la quelle
il n’eft guère permis de parler des; effets-
du plus fenfible & du plus pénétrant dé tous- les
Arts. A l ’exception de quelques articles compofés-
par M. d’Alembert, cette partie eft l ’ouvrage de:.
J. J . Rouffeau. L e nom de ces de'ux philofophes
célèbres nous difpenfe de faire' l’éloge-de leur:
travail.
Quant aux Arts du Deffin , on trouve dans les-
quatre premiers volumes de l ’Encyclopédie des
articles excellens, donnés par un Amateur célèbre'
& vraiment digne de ce nom , qui joint à la con-
noiffance pratique des Arts, un goût éclairé par
une longue fuite d’études & d’obfervations , & do'nt'
les idées nettes '& préeifes font toujours rendues-
par un ftyle élégant 6c pur. A ces traits on re-
connoîtra aifément M. Watelet, & l ’on a regretté'
qu’il n’eût pas complété un travail fi précieux.
On trouve encore fur plufieurs parties des Beaux-
Arts que-lques articles très-bien faits, épars dans
les divers volumes de l ’Encyclopédie ; mais ai
l ’exception de ce petit nombré d’articles , compofés
pat des artiftes ou des gens de goût , tout
le refte eft plein d’imperfeCtions, d’inexaCfcitudes,
d’erreurs , ou d’inutilités. L a plupart des auteurs
qui écrivent fur les Arts, parlent une langue qu’ils
n’entendent pas eux-mêmes; fouvent même aux
fages obfervations des vrais comioiffeurs, ils fubf-
tituent des principes dangereux & des maximes1
hafardées & fauffes ; ils égarent aiï lieu d’éclairer,
& en cela ils font encore plus coupables que ne
l ’ont été les barbares, dont là fureur aveugle,-fe
bornoit à détruire. •
Les auteurs du nouveau dictionnaire ne fe font
pas diffimulé les difficultés &. l ’étendue de Tou-
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Vf âge quhls ont entrepris, & ils en auroient même
regardé l ’exécution comme fort au deffus de leurs
forces, s’ils ne s’étoient affurés du fecours de quelques
artiftes 8c amateurs diftingués dont ils publieront
avec reconnoiffance les noms & les bienfaits*
Iis s’empreffent de nommer ici M. Walelet, qui
veut bien confacrer fes lumières & fes travaux à
la perfeétion de leur enlicpiife. M. Watelet trar-
vailloit depuis long-temps à un dictionnaire corn*
plet de Peinture , dont l ’exécution eft déjà fort
avancée : animé du zèle le plus pur & le plus
défintéreffé pour les progrès de l’art & des con-
noiflances , il a renoncé généreufement au projet
de publier à part fon ouvrage , & a confenti à le
fondre dans ce nouveau dictionnaire..
Indépendamment des autres fecours que les éditeurs
ont lieu d’efpéîer , ils mettront à contribution
tous les écrivains étrangers ou nationaux qui
ont répandu quelques lumières fur la théorie ou
les productions des Beaux-Arts. Les. ouvrages des
Léonard de. Vinci , des Lomazzo , des Vafari ,
des Malvafia , des B e llo ri, des Zanetti, des Win-
keiman , des Mcngs , des Reynolds dés Cochin’s ,
dès de Piles , des-Coypels , des Félibiens , des
Mallettes, &c> , font une mine féconde d’où l ’on
peut tirer des obfervations auffi utiles qu’intéref-
fantes fur les Arts du Deffin ; mais lier & fondre
enfemble ces matériaux épars , les attacher à des
principes communs5,• en former un théorie générale
& uniforme , elt une entreprife auffi délicate que
difficile. Les auteurs du nouveau dictionnaire ne
peuvent à cet égard que promettre du zèle. S’ils
ofent mêler ou même oppofer quelquefois leurs
opinions à celles des gens de l ’art & des connoif-
feurs, ce fera avec la modeftie & la réferve convenables
à de fimples amateurs, qui fentent combien
, dans tout ce qui eft du domaine de l ’imagination
& des fens , les principes du goût font
encore vagues, incertains, 8c mobiles.
Une dès chofes les plus difficiles dans l ’exécution
de ce nouvel ouvrage , c’ eft de fe renfermer
dans les bornes- que leur plan leur irnpofe, fans
oublier aucun detail néceffake.
Comme , à l ’exception de la Mufique & de la
Danfe, il y a dans les Beaux-Arts une partie
purement manuelle & mécanique, on traitera les
objets qui concernent cette partie , mais feulement
lorfqu’ils feront ennobiis ' par i ’ufage qu’en
aura fait l’artifte. Toutes les opérations, ainfi qué
toutes les aCtions humaines , font relevées par
leur principe ou par leurs effets ; fans doute le
mouvement de la main , qui-, pour produire & re-
préfentér une idée , broie & emploie des douleurs,
pétrit l ’argile ou abat le marbre, n’eft pas plus
avili fiant que l ’exercice moins pénible de l ’écrivain
, qui , pour communiquer fes penfées , manie
& conduit la plume. Tracez des idées , ex»
primez des, fentimens, peignez des partions , pré-
fentez des images , qu’importe Tinftrument dont
vous vous fervez ?
[XXVI. ] DICTIONNAIRE DES A R TS E T MÉTIERS MÉCANIQUES ; par une Société de Savant & d’ArtiJles , ( MM. R o l a n d d e l a P l a t i e r e , P E R I E R freres, F o v g e r o u x d e B o N D A R O T , D e s m a r e t z , Oc. 6 -c .) iquatre volumes in-q.°.
JIl l n y a encore aucun ouvrage , quelles que
foient les grandes tentatives^ faites ailleuts où
les Arts 8c Métiers mécaniques foient plus complets
, plus développés, 8c mieux préfentés que dans 1 Encyclopédie ; elle en enferme la defeription de
plus de trois cents ; & c’eft particulièrement à M.
Diderot que cette riche 8c vafte collection des Arts
êc Métiers mécaniques doit fon exiftence : elle
eft , avec la partie philofophique , une des plus,
brillantes & des plus; étendues de ÈEneyclopédie.
Leurs, procédés y font en général décrits avec
• affez de foin dans le texte-, & expofés fous toutes
leurs- formes dans des- planches nombreufes & très-
fôignées. Ces avantages-fi précieux ont été reconnus
univerfellement, & ont contribué à la fortune
de la première édition de c.et ouvrage. Cependant
il faut convenir que , malgré les juftes éloges
que nous venons de donner à cette partie-, elle a
C£S ri ^ au,tS. & ^es difficultés qui exigeoient une
exacte révifion 8c une nouvelle rédaction.
i ° . Outre le vice de la COnfufion de matières
difparates qui fe croifent & s’einbarrartfent perpétuellement
dans cette immenfe collection , où
toutes les Sciences & tous les Arts font confondus
pèle - mêle , la defeription même de chacun des
Arts y eft tellement fubdivifée & mutilée , qu’il
eft prefque impoffible de la fuivre & de la raf-
fembler entièrement.- Chaque volume contient des
frâgmens qui avoient été oubliés ou négligés dans
les-volumes précédens , en forte que le leéteur
n’eft pas même guidé dans la recherche, des divers
articles de l ’art qu’il veut connoître.
2°. I l y a un plus grand tort à reprocher aux premiers
rédacteurs , & qu’ils n’ont pas cru devoir eux-
mêmes diffimuler, c’eft que le texte du difeours de"
beaucoup d’Arts & Métiersv ayant été compofé
fans les gravures , & les planches n’ayant pas toutes
été faites pour cette defeription , il en réfulte que
les indications ont prefque toujours fauffes , &r
que pour y remédier il a . fallu renouveler un»