
1 13 C O N
ne fe peut apprendre qu’en peignant tout d’après
le naturel. Les Peintres qui n’ont pas voulu fe
donner cette peine, font fouvenr tombes dans le
faux. Car , fes effets juftes & qui font fi pi-
quans, ne dépendent point de l’imagination. Il
les faut vo ir , & encore avec un oeil bien exercé,
pour les rendre dans toute leur vérité. C’eft cette
fidèle imitation de chaque objet vu dans fa place,
qui feule fait ces Peintres féduifans qui font fi
vrais & fi rares. Accoutumez-vous donc de bonne
heure à vous familiarifor avec l’étude d’après la
nature. Elle vous offrira des fecoùrs, & vous
donnera des connoiflàncea que vous ne trouverez
jamais qu’en elle.
J e ne bot ne point cette étude à la feule figure
humaine ; je demande que vousri’étèndiez à tout.
Comment pourriez - vous efpérer fans, cela de
parvenir à ces comparaifons exaéfces d’une couleur
confîdérée à l’égard d’une autre , qui feule
peut faire ce qu’on appelle un bon Peintre i
Seroit-ce en vous , livrant a une pratique de
pur préjugé, qui ne vous fait voir la nature que
par les lunettes d’autrui i Mais vous fentez bien
que cela vous arrête tout court au milieu de votre
route, & fait que votre génie ne vous efl bon
à rien. Les principes font faits pour que dans les
tems que vous ferez vis-à-vis de la nature , vous
la voyiez habilement. L a nature bien vue, bien
étudiée, vous peut feule donner ces lumières originales
qui diftinguent l’homme fupérieur d’avec
l’homme commun..
J e dis bien vra i;, car fi vous ne la voyez fans
celle avec, ces yeux de comparaifon que je vous
demande , il n’y a rien de fait. Vous comprenez
que ce ne feroit pas voir comme il faut que
de la foumettre à un goût particulier que yoiis
"»auriez pris , à un coloris de manière qui ne
feroit que.vous la déguifer à vous-même, de
façon que ce que vous feriez d’après , paroîtroit
être fait de pratique. Non ; il faut qu’il n’entre
pas un objet dans votre tableau , foit principal,
foit acceff'oire, que vous ne l’ayez étudié dans
l’efprit de lui donner la couleur jufte qu’il doit
avoir par-lui-même , & Je ton jufte de cette cou
leur réglée par le s objets dont il eft environné..
S i vous ne prenez pas ce. parti, comptez que
jamais vous ne viendrez.à bout de faire des tableaux
eftimables pour la couleur.
Ce ferait bien pis encore, fi vous preniez le
parti de faire exécuter ,vos àceefîbires par des.
mains étrangères. Ce fecours eft d’un danger infini.
Il vous-éloigne de cette étude de comparaifbn
que vous ne pouvez trop cultiver; Il jette
un faux dans votre ouvrage qui frappe également,
foit que le Maître que vous avez choifi pour faire
vos rempliffages fo trouve habile , ou qu’il ne lè
foit pas. C ar , quelqu’habile qu’il fo it, il ne voit
pas la nature comme vous la voyez, par comparaifbn
d’un objet à un autre. Il trouve votre
C O N
tableau fa it ; ce que vous lui faites ajouter, ce
qu’il met à coté de votre ouvrage , devient une
affaire de pratique. Il fait pour le mieux ; mais
pas fi bien que s’il avoit vu les deux objets, enfem-
bie dans le naturel. L ’ame de cette intelligence
qui doit partir d’un meme point, n’eft point dans
tout cela. Si celui que vous avez choifi pour vous,
aider , eft plus foible que vous du coté des principes
, voyez à quoi vous vous expoiez, & combien
d’erreurs il femera fur votre taoleau.
Pour éviter cet inconvénient, il faut de bonne
heure vous exercer, comme vous venez d’entendre
que le fouhaitoit M. de l’Argiüère, mon
Maître, à faire de tout; mais fous les yeux de
votre Maître, afin de faire avec principes. Il n’eft
point d’objet, fi léger qu’il puifîè être, qui étudié
de cette façon, ne vous fit un bien infini..
J e me fouviens là-deffus d’un fait qui m’arrivai
avec cet homme habile, l’exemple des Maîtres,
comme des honnêtes-gens. Vous ne fè re i
pas fâchés peut-être que je vous en faffe part.
Il me dit un matin qu’il falloir quelquefois peindre
des fleurs. J ’en fus chercher auflï-tôc, & je crus
faire des merveilles que d’en apporter de toutes
les couleurs. Quand il les v it , il me dit C’eft
» pour vous former dans la: couleur que je vous?
» ai propofé cette étude-là. Mais croyez -vous-
» que ce choix que vous venez de fa ire , foit
» bien propre pour remplir cet objet i*. Allez v
» continua-t-il, chercher un paquet de fleurs;
» qui foient toutes blanches. » J ’obéis, fur le.
champ.. Lorfque je les. eus pofées devant moi
il vint fe mettre à ma place ;. il les oppofa fur
un clair, & commença par me faire remarquer
que du côté de l’ombre, elles étoient très-brunes,
fur ce fonds , & que du côté du jour, elles
fe détachoient deffus en demi te in te sp o u r la
plus grande partie affez claires. Enfuite il approcha
du clair de ces fleurs, qui étoit très-blanc,
le blanc de ma'palette, lequel il me fit connoître
être encore plus blanc.- Il me fit voir en même
tems. que dans cette touffe de fleurs blanches *
le s clairs qui demandoienc à être touchés de blanc
pur, n’étoient pas en grande quantité ,. par comparaifbn
aux endroits qui étoient en demi-teinte,
& que même, il.y avoit très-peu de ces premiers,
& il me fit concevoir que c’étoit cela qui for-
moit la rondeur du bouquet , & que c’étoit fur
ce principe que rouloit celle de tout autre objet
auquel on veut donner cette apparence de relief;
c’eft-à-dire , qu’on ne produit cet effet que. par des
larges demi-teintes, & jamais en étendant les
premiers clairs. Après cela, il me fit fentir les
touches de brun très-fort qu’on voyoit dans le
centre de l’ombre, & les endroits où elles fê
trouvent privées de reflets. « Peu de nos Pein-r.
» très y me dit-ij, ont ofe rendre l’effet que vous
» voyez, là , quoique la nature le leur montre
>> à chaque inftant. Souvenez-vous, ajouta-t-il,
» que ç’eft une des grandes clefs de la magiey
» du clair-obfcuf. Soüvenez-voüs encore de ptell- !
» dre toujours vos avantages du côte des ombres, J
» pour n’être pas obligé de vous noyer dans les j
» clairs, de les étendre , de les charger de cou- J
» leur pour faire briller votre objet, & pofez
n enfin comme une règle générale que tout ce
» que vous pouvez faire par cet artifice vaut bien
» mieux que de chercher à le faire par 1 epaif-
» leur de couleur, parce qu’étant appliquée fur
» une fuperficie plate,elle ne fauroit aider à votre
»> effet, & ne peut que lui faire tort, excepte
», dans certains cas qui font rares. «
M’ayant ainfî endoétriné fiir tout ce que j avois
à fa ire , il me fit mettre fur la table ou etoit mon
bouquet, deux ou trois autres objets blancs,
pour me régler pour la jufteffe de la couleur, &
me laiffà.
A l’inftant même je me mis a^execüter de
mon mieux ces inftruâions , dont j avois la tete
remplie, & qui, je vous l’avoue, me tranfpor-
toient. J e fus fiirpris moi - même , apres avoir
achevé mon tableau , de voir l’effet qu il faifoit.
Toutes mes fleurs paro;flôient très - blanches ,
quoique le blanc-pur y fût employé en peu d’en- \
droits, & qu’elles fuffent pour la plupart rendues ;
par de grandes -& larges demi-teintes. Mon bouquet
, dans tout fon pourtour , tenoit^ fa maffe
colorée fur fon fonds, pour ne^ pas dire brune,
& les coups de vigueur dont je Pavois fbuvent
tappé dans les ombres, lui donnoient une force
étonnante.
Par ce ré c it, vous pouvez voir la vérité de
ce que je vous viens de dire , qu’il n’eft point
de fi petit objet dans la nature dont nons^ ne
puiflions tirer de grandes lumières, en l’etudiant
avec foin & félon les -vrais principes. Je fins sur
que vous ne manquerez pas d’admirer la belle
leçon que je reçus là , & à propos de quoi ? A
propos d’un fimple bouquet de fleurs. Vous trouverez
toujours dans vos .Maîtres les mêmes re£
fources toutes les fois que vous voudrez les chercher.
Il y a une certaine volonté de lavoir & de
bien faire, que vous n’avez qu’à leur montrer pour
avoir leur coeur & toutes les richeffes de leur fa- !
voir. Cette bonne volonté, quand nous la trouvons
en vous, nous confole de toutes les peines
que yous nous donnés. . N’eft-il pas trifte que nous
la rencontrions fi peu ?
Outre ces principes d’oppofition, & de com-
paraifon, dont je vous ai parlé, & qui ne peuvent
s’appliquer qu’au nombre borné d’objets,
que dans le naturel on peut voir enfemble & fur
le même plan, nous avons encore à examiner
les régies qu’on peut obferver pour mettre^ en
oppofition, & pour comparer par rapport à^ la
couleur & à d’autres détails, les objets qu’on
place fiir des plans différens. Mon Maître pen-
foit qu’il y avoit encore fur ce point des pratiques
bien erronées. L a première. qu’U regardoit
Comme te lle , étoit l’ufage où étoient plufieurs
Maîtres de fon tems, d’arrêter leurs compofîtions,
fans trop s’embarrafter d’arrêter, dans un certain
détail , la diftribution de leurs lumières. C e k la i-
foît qu’ils cherchoient enfuite leurs oppofitions
comme à tâtons, en portant leur fujet fur leur
toile; c’eft-à-dire, qu’ils plaçoient leurs objets a
mefure, & fur un fond qui leur étoit encore uw
connu. . r «
Tout au plus ils prenoient leur parti lur les
maffes générales , fe réfervant de fe décider, en
travaillant, fur les oppofitions particulières. VJ ne
grande maffe brune fur le devant pour fervir ae
repouffoir ; une maffe claire fur le fécond plan ;
un fond grifdtre fur le troifième, faifoierit 1 at-
faire. L e refte, encore une fois , s’ arrangeoit apres.
Et mon Maître me difoit : » Quoique la lumière
>» ne marche qu’après le trait, ou le de (Un , il eit
» impoflible de bien compofer, fans avoir prevu
i » l’effet qu’elle doit faire fur chaque figure, ou
'» autre objet qu’on trace & difpofe en compo-
» fant, & fans avoir retourné dans fon idee les
» figures ou objets, ou les avoir confideres-dans-
» la nature, pour favoir ceux ou celles qui doi-
» vent recevoir la lumière, ou qui en doivent etre
»> p» riQvéusa. nd on s’accoutume a bien obferver tla
» nature dans cet efprit, notre imagination fe
» meuble de mille & mille effets qu’on ne devi-
» neroit jamais , & qui fo prefontent a nous au
» befoin. Nous les mettrons en oeuvre en com-
» pofant, bien entendu que nous devons les epu-
» rer après, par une étude plus particulière ,
; » faite fur le naturel. Ceux qui fe contentent
» de fuivre les routines triviales dont je viens
» de parler, donnent dans le faux a chaque pas,
» ou s’ils n’y donnent pas,. c’eft par pur hafard,
» & autant que cette routine, fuivent en
» aveugles, ne s’éloigne pas des vrais principes.
» Par exemple, continua-t-il, rien n eft plus
» faux que cette maffe noire dont ils chargent
» l’un après l’autre le devant de leurs compofî-
i » tions, parce qu’il n’y a rien de plus contraire
| » à l’effet de la nature. ^ . » Jamais elle ne vous offre rien de noir que
» ce qui eft non-foulement privé de la lumière.
» en général, mais qui eft affez enfonce pour
» être abfolument privé de réflets. Aufli quand
» une fois les fo&ateurs du fyftême des repouffbirs
» ont déterminé cette maffe noire pour faire valoir
» le refte de leur befogne, ils commencent par
j » renoncer à cette vérité de la nature , & Font.
I » toute cette maffe de la même couleur ; chairs ,
» draperies, terraffes , bref tout ce qui s y ren-
» contre. Enfuite ils peignent leurs figures du
»» fécond plan éclairées à l’ordinaire. En forte
» que celles-ci font à l’égard de celles du pre-
» mier plan, comme fi Pon voyoit une troupe
» d’Européens placée à côté d une troupe de
». Maures ou d’indiens« O r , ces figures - ci ne