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portraits. Cette manière da s’occuper de fes amis, en fe pénétrant de
leur image , a quelque chofe de tendre qu’il n’appartient qu’aux âmes
délicates & pures d’infpirer ou de reffentir.
N ’eft-ce pas ici le lieu de parler de ŸEJfai fur les Jardins ( i ) >
ouvrage que dictèrent à M. Watelet les plus agréables fouvenirs ? A
des vues très-philofophiques fur les progrès des arts, l’auteur a joint
dans cet écrit des préceptes ingénieux fur les décorations des jardins
de toute efpèce; mais ce que l’on y remarque avec plus d’intérêt , c’eft
le tableau de fa vie dans l’afyle champêtre où il devoit à fes amis le
bonheur & l’hofpitalité : afyle devenu fameux par les beautés de fon
fite & de fes difpofitions, & où la nature fut toujours refpeftée ; afyle
vifité par les grands , habité par les tnufes , célébré par le chantre
aimable des jardins ( z ) , & qui fut la retraite d’un fage. Le cours
& la limpidîcé des eaux, la fraîcheur & le fïlence des grottes, des
fleurs éparfes fur des terreins incultes, & l’afpeél de quelques ruines
accompagnées d’infcrîptions en vers harmonieux & doux, y rappel-
loient ce que valent, dans le fei'n de l’amitie, la liberté, le repos &
le temps.
Se pouvoit-il que les jours de M. Watelet continuaflènt jufqua leur
terme d’être heureux & fereins ? un é v é n em e n t imprévu troubla ce
( i) A Pa ris, chez p r ç u lt , Imprimeur du Roi f quai dos Auguftins, g n to
(z) T e l eft ch.er 'Watelet, mon coeur #ie le rappelle,
T e l eft le fimple ^ fy le , o û j fufpendant fon cours,
Pure comme tes moeurs, libre comme tes jours ^
En canaux ombragés la Seine fe partage ,
E t vifite en iecjret la retraite d’ un fage.
T o n art la féconda •, non cet art impofteur y
Des lieu x qu9il croit orner hardi profana eur.
Digne de v o ir , d’a imer, de fentir la .nature,
Tu traites fa beauté pomme une Vierge pute
Qui rougit d’être nue & craint les ornemens*
L e s ja r d in s , Poeme par M. l’Abbé D e lille , Chant
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calme en le privant d’une grande partie de fa fortune. Le bon ufàge
qu’il en avoit fu faire rendit fes regrets légitimes & touchans. Les
jeunes artiftes dont il prévenoit les befoins, & les malheureux qu’il
fbufageoit, y perdirent au refie moins que lui. Ce fut fur la part qu’il
s’étoit refèrvée qu’il fit le plus de retranchemens. L ’eftime publique
ne l’abandonna point dans ce revers , des amis puifiàns Lui donnèrent
des preuves de leur zèle; un entr’autres , que fes bienfaits défîgncront
affez, lui prodigua toutes les confondons d’une ame affeduenfè &
tendre, auxquelles il joignit des fecours qu’ il d l rare que les hommes-
de fon rang donnent à ceux de l’état de M. Watelet,
C ’efl. fur-tout dans les tempéramens foibles & fenfibles que le chagrin
appelle la fouffrance h laquelle fucccdent la langueur & le dépériffement.
M. Watelet s’apperçut, dans fes dernières années, que le travail des
lettres le fatiguoit beaucoup ; il y fubftitua celui des arts. Tantôt il
defiinoit; tantôt il gravoit à la manière de Rembrandt,, dont il. fe flattait
«l’avoir découvert le procédé, dont au moins il favoit rendre quelques
effets. S ’étant affoibli davantaga, il fe contenta de modeler en cire
plus foible encore, il parcouroit Ces porte-feailles, il converfoit avec
de jeunes artiftes dont le feu le ranimoit, & proportionnant toujours,
ces nuances de pknfir à l’état de fes forces, il ne «tffas d’en goûter
fes charmes qu’au moment où Ces fens refusèrent de lui' en tranfinerfre
les imprelEons. Il s’etergnît ain.fr d’une manière infenfible au milieu de'
ces jouiffances, & il expira fans, douleur, en croyant s’endormir, le ix-
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Sa mort fut aufïï douce que fa vie avoit été tranquille. Tous ceux
qui l’ont connu favent que fa modération étoit grande , mais en ne fait:
pas affez que cette modération fut moins un prêtent de la- nature ,
dont i* avoit reçu une' ame très-adive , que l’ouvrage efune raifort
fevèie qui en avoit de bonne heure réprimé les mouvemens. Cette fur-
veilîance s’appliqua fucceffivement à toutes fes pa fiions dent il redoutoi'r