
S’ il connoit la Fable , l’Hiftoîre , les ufages
& les vêtemens des différens peuples , il tirera
grand parti de fon érudition pour juger les ouvrages
de l’ Art-, il ne s’appercevra pas qu’il
juge l’Hiftorien, le Savant, & non le Peintre.
Un Artifte peut fe tromper fur des détails hifto-
riqu es, donner des habits perfans à des Romains,
contrarier les ufages du peuple qu’ il repréfente,
& être cependant un grand Peintre ; un Artifte
médiocre , mais qui a quelque littérature,
peut faire un tableau très-foible fans pêcher
contre l’hiftoire & le coftume.
Mais c’ eft la connoiffance matérielle, celle
dont fe piquent les Marchands de tableaux ,
qui eft fur-tout recherchée-par le vulgaire des
connoifleurs. E lle confifte , non pas à jiiger le
tableau lui-même, mais a y attacher le nom
d’un Artifte : ce nom décide .le mérite de l’ouvrage
, & ce mérite rifque de s’évanouir , f i
l ’ on découvre dans la fuite que le nom a été j
mal appliqué.
Un bon nomenclateur de tableaux doit fa-
voir diftinguer la manière générale qui c ara c-.
térife chaque ' Ecole , 8c la manière particu-
1 ière qui cara&érife chaque Maître;
En e ffet, quoique chaque: Maître ait un
deflin, une touché , une couleur qui lui foit
propre , il y a encore, dans le total de fa manière
, un ftyle qui témoigne à quelle Ecole il
appartient. Pour reeonnoître ce f t y le , il faut
avoir vu un bien grand nombre de tableaux
de chaque Ecole , & même de leurs différens
âges -, car les Ecoles ont leurs âges comme lès
hommes. L’Ecole Françoife du dix - huitième
fiècle eft bien différente de la même Ecole au
dix-feptième. ©^ailleurs , certains Maîtres font
école dans l’Ecole -, d’ autres femblent appartenir
à une Ecole étrangère. Le Pouftin eft tout
Romain -, on en en peut dire autant de le Sueur,
qui cependant n’a jamais vu Rome -, le Brun eft
plus Romain que François5 de Troy , Coypef,
font des François qui ont pris quelques leçons
à Rome. Par quel caractère diftinguera-t-on
que Boucher appartient à la même Ecole que
le Pouffin , le Sueur-& lèfBrun ?
I l n’ eft fouvent guère moins difficile de dif-
ftinguer le ftyle particulier de chaque A r t ifte ,
parce que plufieûrs ont varié leur ftyle fui-
vant les fujets qu’ ils avoient à traiter, parce
que tous ont changé de ftyle à différens âges.
L a première manière d’ un artifte eft celle de
fon maître , 8c fouvent il eft à cette époque très-
difficile de diftinguer les ouvrages du maître 8c
de l’ élève : il fe forme enfuite' une manière qui
lui appartient : quelquefois il s’ en degoute-Sc
en prend une différente ; il en change prefque
toujours avec l’âge. I l devient plus froid , plus
'timide-, il négligé l’étude & travaille de pratique
-, il fe fait une manoeuvre plus expéditive
parce qu’il eft plus employé, & diminue de
talent en même-temps qu’il augmente de- réputation.
Enfin il y a des artiftes qui ne manquent pas
d’habileté , mais qui n’ont pas un talent qui
leur foit propre. La nature ne les a deftinés qu’à
être de bons imitateurs : ils compofent avec l’ ef-
prit d’ un autre , colorent avec les yeux d’ un
autre, travaillent en quelque forte avec la main
d’un autre. Penfée , touche , coloris, difpofi-
tion , maniement de pinceau, rien n’ eft à eux.
Us deviennent un double du maître qu’ ils ont
pris pour modèle, & font capables de trompér
fouvent même de bons connoifleurs. On ne prendra
pas leurs ouvrages pour les chef-d’oeuvres des
artiftes qu’ ils ont imités -, mais on croira qu’ils
font de leur main. Leur fortune ira même plus
loin. Comme un propriétaire veut toujours que
le tableau qu’il poffède foit le plus beau du
maître dont il porte le nom, l’ imitateur l’emportera
dajis quelques efprits fur l’artifte qu’il a
imité, & l’oeuvre du finge fera préférée à celle
de l’homme.
Les artiftes & les bons connoifleurs peuvent
être quelquefois embarrafles dans leurs juge-
mens par d’ excellentes copies. Voye^ Copie.
( Article de M. L ev e sq u e . )
CONNOÏSSEUR ( fubft. mafc. ) n’ eft pas la
même chofe qu'amateur. Connoijfeur en fait
d’ouvrages de peinture ou des autres arts qui ont
le deflin pour bafe, renferme moins l’ idée d’ un
goût décidé pour l’a r t , qu’un dîfceraement cer-?
tain pour en juger. On n’ eft jamais parfait con-
noijfeur en peinture fans être peintre -, il s’ en faut
même de beaucoup que tous les peintres foient
bons connoijjeurs. I l y en a d’affez, ignorans
pour voir la nature comme ils la fo n t, ou pour
croire qu’ il ne faut pas la faire comme ils la
voyent. ( Article de Pancienne Encyclopédie').
Ne pourroit-on pas répondre à l’ auteur de
cet arti.cle que l’ artifte n’ eft pas obligé de rendre
la nature comme il la v o it , parce qu’ il ne
l’ eft pas de faire ce qui eft impofïible. Voye£
l’ article Conventions , & fur-tout l’addition â
cet article extraite, des oeuvres de Mengs : au-
refte , il faut avouer que tous les artiftes ne
font pas parfaits connoijjeurs, d’abord parce
que l’art a une fi grande étendue qu’ il eft bien
difficile à un feul nomme d'en embrafler toutes
les parties , & enfuite parce que beaucoup d’ar-
tiftes ont un,goût exclufif, oc qu’ ils ne lavent
pas reeonnoître le beau.qui ne s’ accorde point
avec leur goût. ( Article de M. L e v e s q u e ) .
CONSEILS fur les ouvrages de peinture.
Rien de plus inconteftable théoriquement
que la néçelïité de demander des confeils, îorfr
qu’on travaille à des ouvrages qui font deftinés
à plaire -, demandez donc des confeils , recevez
| des avis , profitez-en. Voilà des préceptes que
tout le monde fa it, que tous les hommes fe ropètent
les uns aux autres -. mais bien des difficultés
fe repréfentent a ceux qui veulent les
mettre en pratique. . /
S’ il exiftoit une clafle de juges doues a une
intelligence étendue, & libres de préventions ,
de préjugés, d’affeétions perfonnelles, les auteurs
8c les artiftes n’auroient aucun prétexte pour
refufer de fe foumettre à leur jugement, $f|||§
recevoir d’ eux les avis dont ils ont tons befoin-, *
alors ces avis fe trouveroient incpnteftablement
bons, 8c ceux qui ne s’y foumettroient pas fe-
roient inexcufables. Mais ces confeillers parfaits
n’exiftent guères -, ils font même fi rares q u e ,
fur-tout relativement à certains a r ts , on peut
généralement les regarder comme des êtres de
railon. Mille gens font toujours prêts à donner
leur avis , même quand on ne les leur demande
pas. On n’ en rencontre pas moins qui offrent d’ en
donner à tous ceux qui en demandent 5 mais ce
qu’on trouve dans tous cês hommes fi prodigués
de confeils, c’ eft communément ou peu de lumière
ou peu de fincérité, 8c fur-tout le défaut
de cette réunion de connoiffances fi néceflaire
à ceux qui exercent les arts , lorfqu’ ils conful-
tent dans le deffein d’être éclairés.
I l faut obferver que chacun des Béaux-Arts
exige de ceux qui veulent juger de fes pro-
duétions , des connoiffances generales & particulières
;, car les Arts ont des élémens communs
& des élémens propres à chacun d’ eux :
il y e n a même dont, fur-toutr les élémens particuliers
ne font guère 'connus que de ceux
qui les-exercent, & le font même imparfaitement
de plufieurs d’ entre, eux. Comment donc
efpérer de trouver des confeillers utiles parmi
ceux qui ne les exercent pas? C’ eft cependant
cette clafle ïmmenfe qui aime le plus à être
confultée. Quels feront ceux que confulteront
l ’Architede & le Compofiteur de, Mufique ?
Quels feront ceux que confulteront avec confiance
& réfignation le Sculpteur & le Peintre?
Cette queftion ferait moins embarraffarite à
l’égard des ouvrages d’ efprit 8c de goût ,
parce que dans ces ouvrages, le méchanifme
étant beaucoup plus connu , le nombre de ceux
à qui l’on peut demander confeil, 8c dont on
peut en efpérer d’ utiles, eft beaucoup plus grand.
Ainfi le Poète & l ’Orateur peuvent foumettre
leurs produdions à un plus grand nonibre de
perfonnes que le Peintre 8c le Statuaire , &
recueillir par ce moyen des avis plus utiles.
Mais les Artiftes n’auront-ils donc aucuns
moyens de recueillir des avis & d’obtenir des
confeils profitables? Qu’ ils fe gardent bien de
le penfer. S’ ils fon* de bonne f o i , s’ ils défirent
fincèrement d’ être éclairés par de fages a v is ,
ils trouveront des moyens d’en obtenir, en
employant une forte d’art pour fe les procu-
curer. Je crois utile, de les mettre fur la voie
en leur foumettant mes idées fur cet objet.
Je penfe que ce n’ eft guère que p ar tie lle -'
ment qu’ ils pourront fe procurer les confeils les
plus utiles. La clafle dont l ’Artifte doit les e fpérer
, eft. celle dont il fait partie. Mais les
inconvéniens qu’ il y trouvera le plus fréquemment
, font le défaut de fincérité des Artiftes
qu’ il confultera, & le défaut de lumières affez
etendues pour réunir des idées bien réfléchies
fur toutes les parties de l’Art. Les artiftes qui
afpirent à être admis dans les fociétés académiques,
« ’éprouvent que trop fouvent le défaut
de fincérité dont je parle. Trop fouvent les
afpirans qui montrent leurs ouvrages à plufieurs
artiftes, avant de les expofer au jugement
définitif par la voie du ferutin académique
, font trompés par «ne réticence qui
leur eft funefte. Ceux qui fe la permettent,
loin de s’ en faire un fcrupule , la regardent
ordinairement comme une politeffe non-feale-
ment excufable, mais autorifée par l’ufage &
par la crainte de bleffer l’ amour-propre.
Pour vaincre cet obftacle, il faut demander
avec un empreffement & une franchi fe dont
on ne puiffe douter, des confeils fur la partie
de fon ouvrage dont l’artifte qu’on confulte
• doit être le phi s inftruit. Par exemple , fi c’eft
un artifte dont la fupériorité confifte dans la
■ correction , le confultant, en le preflant de lui
donner fpécialement fon avis fur cette partie ;
doit efpérer de lui plus de fincérité -, parce que
■ flattant fon amour-propre par un endroit fen-
fible , i l l ’ engage à une attention particulière
dont le réfultat eft prefque toujours un conf
e i l ou un jugement de bonne foi. D’a illeurs,
■ l’homme , dont la fupériorité eft bien reconnue
j dans une partie, craint moins d’ humilier celui
qui le confulte , en lui montrant les fautes qu’ il
peut avoir commifes contre cette même partie.
Il n’ eft pas d’Artiftes qui réunifient au même
degré toutes les parties d’ un art auffi étendu que
la peinture -, mais il eft auffi peu d’Artiftes dif-
tingués, qui n’ aient de la fupériorité dans
quelqu’ une des parties qui conftituent fon art.
Si vous defirez donc fincèrement des confeils
8c des ob fer varions profitables , ne demandez'
pas au colorifte ce qu’ il penfe de la corre&ion
de vos figures , au deffinateur ce qu’ il penfe
de la corapofition ou de l’ effet mais demandez
à cnacun d’eux ce qu’il penfe en examinant
vôtre ouvrage ÿ de la partie qu’il connoit
& pratique le mieux.
Ce feroit cependant un manque de bienféance
de fe borner uniquement a cette demande , parce
que le fîlence fur les autres parties pourroit
faire penfer, ou qu’on eft trop fatisfait de
foi - même, ou qu’on ne croit pas celui que
l’on confulte affèz habile fiour defirer fes avis ;
mais attachez - vous, comme je l’ai d i t , à la
partie dans laquelle il peu£ vous éclairer le plus
véritablement $ & en lui foumettant auffi les