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Comme il eft utile que le fa-jet foit généralement
connu , il n’ eft pas moins néceflaire qu’ il
foit rendu d’une maniéré diftin&e , {impie 8c
v r a ie , afin que l’attention du fpe&ateur ne fe
trouve ni embarraflee ni divifee. Lorfqu’on entend
faire le récit d’un événement , on fe Forme
auüi-tôt dans l’ efprit une idée de l’ a&ion & de
Vexpreflion des perfonnages dont il eft queftion.
Le talent de repréfenter ce tableau idéal fur la
toile eft ce qu’ en peinture on appelle invention.
Comme dans la conception de ces fortes de
peintures idéales qui forment ? invention, l’efprit
n’ entre pas dans tous les détails minutieux des
draperies , des acceffoires & du lo c a l, de même
le peintre, pour repréfenter' cette invention par
le s moyens de fon a rt,' doit rendre tous ceux
de ces acceffoires qui font néceffaires au fujet ,
de manière qu’ ils ne frappent pas plus les
fpeftateurs, qu’ ils n’ont frappe fon imagination
quand il a conçu le fujet dans fa penfée.
Je conviens qu’en entrant dans les circonf-
t^nces & les particularités d’ un fa it , on donne
fouvent un air de vérité au tableau, & q ue ,
par conféquent, on en rend l’ intérêt plus grand
pour le fpeélateur. On nè peut donc pas rejetter
tout-à-fait ces détails ; mais fi quelque partie
de l’art demande de l’ intelligence & de l’ attent
io n ,.c ’ eft fans doute la manière d’ employer
ces petits détails qui tiennent aux circonftances
du fu je t, & q u i, fuivant le choix & l’ emploi
bons ou mauvais qu’on en peut fa ire , deviennent
néceffaires à 1 la vérité de l’ hiftoire ,vou
nuifibles à la grandeur du fujet que l ’on traite.
I l refte toujours vrai que l’ erreur la plus ordinaire
& la plus dangereufe eft de trop's’occuper
des détails : ainfi je penfe que c’ eft au
défaut dans lequel on tombe le plus fouvent,
qu’ on doit porter le plus d’ attention. L’ idée générale
eft ce qui conftitue la beauté réelle :
tous les petits détails , quelque parfaits qu’ ils
puiffent être dans leur efpèce , doivent donc
être facrifiés fans regret aux grandes parties.
L ’artifte qui a du talent ne fongera pas quelles
(ont les chofes qu’ il peut employer fans encourir
la cenfure ; il ne croira pas qu’ il fuffit à fa
juftificarion de montrer qu’ elles peuvent fe
trouver dans fon ouvrage : mais il convaincra
le fpectateur qu’ elles doivent néceffairement s’ y
trouver, & qu'en les omettant, le tableau de-
riendroit imparfait & d é f e c t u e u x . Dans le portrait
même , la grâce , & , j’ ofe le dire , la
reffemblance, confiftept plus à feifir l’air gé-_
néral de la phyfionomiè , qu’à imiter avec feru-
pule chaque linéament particulier.
I l faut, fans doute, que les figures fe trouvent
placées fur un plan , & fouvent qu’ elles
foient drapées ; il faut qu’ il y ait un fond, des
• jours, des ombres -, mais aucune de ces parties
ne doit paroître avoir fixé l’attention de l’ar-
t if t e : U e f t même effentiel qu’elles foient
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ménagées de manière qu’elles n’attachent pas
celle du fpeélateùr ( i ) . En faifant l’analyfe d’ un
tableau , on connoît aflèz' les difficultés que
l’ artifte a dû vaincre , 8c l’art, avec lequel il a
difpoic le fond , les draperies 8c les maffes de
lumièré; & l’ on fait que, de cettefage entente,
dépendent j en grande partie , la grâce & l’effet
de l ’ouvrage : mais cet art eft fi bien caché,
même à l’oeil exercé, qu’on ne le remarque que
par une attention particulière , & qu’ aucune do
ces parties ne fixe celle du fpe&ateur, & ne
refte dans fa mémoire à moins qu’il ne fe foit
propofé de faire de l’ouvrage une analyfe détaillée.
Le grand but de l’ art eft de frapper l’imagination.
Il faut, par conféquent, que le peintre
ne faffe aucune parade des moyens qu’ il met en
oeuvre pour y parvenir, & que le fpectateur en
éprouve feulement le réfultat. L’artifte ordinaire
veut que l ’on jjonnoiffe toutes les peines qu’ il
s’ eft données, & prend autant de foin à faire
valoir les parties fubordonnées de fon tra v a il,
que l’artifte doué d’ un grand, génie en met à les
cacher. Dans les ouvrages médiccres ^tout annonce
l’art & la prétention y ce qui fait que
les fpeaateùrs les quittent la bouche pleine
d’éloges & l’ efprit vuide d’ idées.
I l ne fuffit pas que , dans Vinvention, l’ar-
.tifte fâche maîtrifer & tenir à leur jufte degré
toutes les parties inférieures de fon fujet •, il
faut qu’il ait encore le talent de s’écarter quelquefois
de la vérité hifto ique , s’ il veut donner
de la grandiofité à fon travail.
On peut voir, par les-cartons de Raphaël, ©e
que le grand ftyle exige de l ’aryftè pour con-.
cevoir & exécuter fes l’ujets d’ une manière poë-
' tique , en ne fe bornant pas avec une ferupu-
leufe .exactitude à la vérité. Dans tous les tableaux
où cet admirable maî.re â repréfencé des
apôtres, il.leu r a donné toute la grandiofité,
toute la nobleffe que comporte la nature humaine
(2.) ’• cependant l’Ecriture nous apprend
qu’ ils n’avoienc point cet air refpeâable, 8c
1 faint Paul dit lui-même qu’ il avoit l’air commun.
Alexandre, on le fa it , étoit petit; cependant
le peintre n’ eft pas obligé de le repréfenter ainfi.
Agéfilas étoit de moyenne flature, &.d e plus
fert eftropié & de mauvaife mine; mais on n’ eft
Ç i ) C ’ èft-a-dire qu’ il- faut que le (peffateur croie que,
tour cela eft comme i ’ doit être ab folument, & comme il
étoit dans la lcène. v éritable , J ans que fon attention fo it
détournée par aucune idée des recherches de l’arr.
( 2 ) I l nie femble qu’ en comparant les ^ouvrages de R a phaël
entre eux , on ne trouvera pas qu’i l ait donné au x
apôtres toute la nobleffe que comporte la nature h um a in e ,
mais feulement toute celle qui peut fe rencontrer dans des
hommes dut peuple. J e crois qu’il avoir dans la penfée un
J .autre genre d e nobleffe i donner aux héros. ( Note du
Rédacteur. )
J O U
J O U 4 <*y
fO tenu de le faire paroître avec roua ces
défauts dans un ouvrage dont >1 eft 1
Principal. Je donne, fuivant l’ ufage, à cette
cartiePde l’ art le nom d’ hiftoriquc , quoiqu
faille plutôt lui donner celur .de'
comme elle l’ eft en effet; car ce n e ft§ »W g
dénaturer un fa it, mais feulententpitendr .une
liberté poétique. Le peintre doit fuPPle® r a“ *
défauts de fon art. I l ne peut pas dire >
un hiftorien, que fon faintavoit mauvaifrmine
mais qu’il avoit de grandes vertus; que fou
neurTqu’ il peut repréfenter la grandeur mo-
" C’eft pat le m° y en -tableau produit fon premi4eerS e iff°eUt,l TS-c c’ geqfgt 4d’ 1» -
près cet effet que le'ïoeftateur qui fe promette
Lns une galerie s’arrête ou continue fa maiche,
pour que le tableau frappe, au-premier coup- 5’oe;iq le fpeétateur par fon enfemble , on doi
évTteVavèc Ibin tonales petits acc.dens de
lumière 8c la trop grande variété des teintes .
llTaut répandre fur tout 1’ ouvrage. une certaine
“ •tistp une certaine {implicite ; & c eft a
quoi^e ^coloris*1 uniforme & Farge contribuera
b T e C°foin que le peintre d’hiftoire doit mettre
à éviter les1 détails des couleurs, 1 faut auffi
t u ’I Fe porte à ne point dégrader fes concep-
Sons en mettant dans les draperies unsi varié e
»ffeftée d’étoffes & de deffins ; car cette b izarrerie
s’ emploie plus ordinairement au pluriel qu au
fingulier.
tiént du ftyle meiquin. Raphaël eft ]
encore le plus grand maître dans, cette partie,.,
La multiplicité des figures eft encore un vice
dans ce genre. I l eft impoffible qu un tableau
compofé xl’ un trop grand nombre de
produire l’effet d’ un feul tout parfait & cet
effet eft néceffaire à la grandiofité.. Quoiqu il
foit v ra i, en géométrie,; que plufieurs petites
chofes forment un grand tou t, ce a n a pas lieu
en fait dégoût. Le fublime remplit tout-d uncoup
l’ imag.nation d’ une grande idee ; ce n eft
qu’ un feul6 élan de l’ efprit. C M. R eynolds ,
quatrième difcours.}
J o
- JO U R , c fubft. mafe. ) . Ce mot, dans l’art
de peinture-, eft fynonyme.de lumière,
( i ) E n t r e le s célèbres p erfonu ag es .de i an t iq u it é , i l en
e ft un a qu i l'a rtifte n e pourroit do nn er la b e a u t - ; c e l t
Socrate . S o n portrait eft tellement co n n u , que le fpeftateur
n e pourroir fe prêter à l’-illuûo'nfi l’o n h afardoit c e lui
préfenter ce philofophe fous des traits majeftueux. Q u oiqu il
n e nous re lie pas d e portraits antiques d h fo p e l id e e ,
p eu t-être fau ffe , de fa difformité eft de venue fi gen e ra le ,
qu’e lle do it former fon caraftè re extérieur dans u u ouvrage
d e l’ art. ( Note du Rédaéteur. )
On d i t , les jours font difpofcs avec intelligence
dans cé tableau. I l f a u t , pour parvenir
à [ harmonie , tjue différens jours ne difputcnt
p a s avec la lumière principale.
On v o it , par ces exemples, que dans l’art
de peindre, le mot jo u r eft le même que le
mot lumière, & l’ un & l’ autre de ces termes
a principalement rapport à ce qu on nomme
clair-obfcur.
On dit encore dans un fens re latif à 1 a r t ,
choijîr un jour fa vorab le pour peindre; un jour
favorable au modèle d’après lequel on peint ;
enfin un jour fa vorab le au tableau qu on ex-,
pofe a u x yeux.
I l s’a g it , dans ces différens fens, d’ une lumière
naturelle on artificielle qui éclaire a,'an-
tageufement pour, l’artifte, ou pour le Cpectaeur,
l’ouvrage qu’on dèffine ou qu’ on peint, ou celui
qu'on expofe aux regards.
Le choix des jou rs eft important. Les ardftes
connoiffent combien un /ont favorable eft
avantageux à leurs travaux & à l ’ effet de leurs
ouvrages.
L o jo u r que l’on tire du midi a des propriétés
qui le diftinguent infiniment du jo u r que donne
l’al'pecl du nord. Celui-ci, plus égal fans doute,
n’ eft pas expofé aux variétés , quelquefois incommodes
pour le travail de l’ a r tifte , que
produit le fol c i l ;' mais il eft trifte & ne prête
pas aux couleurs des çotps & aux reflets, ces
tons brillans & chauds qui donnent du charme
à la peinture.
Quant au jou r favorable ou défavorable aux
ouvrages qu’on expofe aux yeux des fpecla-eurs,
les jours qui viennent en face des tableaux
-gênent ceux qui les regardent, & ne font pas
avantageux aux ouvrages peints à i huile. I l
■ eft difficile de trouver un point de vue qui faffe
' difparoître le luifant que portent aux yeux la
couleur & le vernis. Un feul jo u r qui éclairé
de côté , en gliffant fur les tableaux qu on regarde,
e ft'c e lui qu’on doit préférer; mais lorfqu’on
confirait un-lieu deftiné à expofer des
tableaux qu’ on veut préfenter dans \e jo u r \e
plus favorable , on remplit fon but aufii parfaitement
qu’ il eft poffible en faifant defeendre
la lumière par le plafond ou par les parties, fu-
périeures.
L’ aiiaHtage. pour les ouvrages de peintura
ainfi- éclairés eft fi grand, q ue , s’ il étoit généralement
Connu, on regarderait cet objet
’ comme le plus effentiel dans la difpôfnion d une
| galerie ou; des cabinets deftinés à faire jouir
'd e tous les charmes que peut offrir la peins
1 ture. - , _