
d’autres dont le nom & quelques conférences qui
nous refient, foffifent pour combattre des raifon-
nemens faux ou des plaifanteries déplacées.
Mais , quoiqu’on ne développe pas ici tout ce
qui a rapport à cet’ objet digne d’être traité particulièrement
, la néceflité d'une première éducation
eft trop évidente pour être conteftée. Je dois
donc la mettre au rang "des dons faits à mon
Artijle , & la lui délirer telle qu’il puifle le plaire
& meme le délalFer en s’inftruifant par la leéture, &
en écrivant lur Ion Art. J e veux qu’il enrichiire
ion imagination, en la nourriflant des ouvrages
originaux, où fe trouvent dépofées les vérités &
les fables, loutiens de nos Arts. Je délire qu’il
apprenne dans les livres moraux à connoître les
hommes & leurs pallions, que fes travaux féden-
taires ne lui permettent pas d’étudier & de foivre
d’aüfii près que peuvent le faire des Philofophes
oblervateurs.
C’eft ainlî que je le rapprocheroîs des Artijles
célèbres de la Grèce , qui n’étoient admis à exercer
la Peinture & la Sculpture , qu’autant qu’ils
étoient libres , infiruits, exempts de toute impref-
lion lèrvile & de tout efprit mercantile. Si mes
fouhaits , à cet égard , ne peuvent être entièrement
réalifés , que mon adepte le fafie au moins
l ’illulîon de le croire defiiné à confàcrer principalement
& aufli librement qu’il lui fera poflible
l ’es travaux, aux Héros & a la Patrie !
H peut atteindre à ces idées , malgré nos préjugés,
& nos moeurs, parce que la noblelïè de
l’ame efi attachée aux Arts libéraux , & que,
malgré tout obfiacle , ils élèvent habituellement
ceux que la Nature y a defiinés, au-deffus des
idées vulgaires.
D’ailleurs , il nous refte quelques chefs-d’oeuvre
des fiècles ou ces Beaux-Arts étoient le plus
honorés. L e s idées de la Grèce & de l’Italie circulent
encore dans les atteliers & dans les Écoles,
comme un élément lalutaire qui les vivifie.
Aufii les premières récompenfès que doit obtenir
mon A r t ijle , feront l’effet de cette influence fur
d’heureufes difpofitions ; bientôt animé par l’émulation
, je le vois mériter , en accumulant les prix
graduels , de fa ire , fous les aufpices du Gouvernement
dont il fixe les regards, ce pèlerinage in-
téreflànt, auquel fe vouent tous ceux qui veulent
atteindre la perfection des Arts,
Mais ce n’efi qu’au terme où les facultés Intel-
ligentes marcheront d’accord avec la facilité de
deftiner & de peindre, qu’il verra couronner fos
defirs & fes efpérances. J e veux que foffifamment
muni de connoiffances théoriques , de leétures utiles
, d’habitude de voir & de fentif, il fe foit plus
d’une fois écrié : » O Italie, ô Rome, lieux defirés
» par tous ceux qu’embrafol’amour des Arts, lieux
» où fe trouve encore aujourd’hui cette chaîne
» d’or attachée à la Grèce, étendue jufqu’à l’Italie,
» & de-la dans nos climats , où les chaînons ufés
» menacent de nous échapper ! Quand ferai-je
» digne de vous parcourir I Quand pourrai-je
» recueillir à mon tour quelqu’un de ee$ fruits
ï> précieux qui communiquent l’immortalité ? cc
Après- ces exclamations, s’il obtient enfin le
prix decifif, & ii l’obtiendra dans l’âge le plus
propre à en profiter, c’eft à quiconque eft initié
dans les Arts à fè peindre fbn r avidement. Tout
ce qui pourroit l’attacher à fon pays eft oublié ,
tous liens femblent rompus : ii n’a plus d’autre foin,
d autre occupation que les apprêts de fbn voyage.
L e jo u r , la nuit, dans les rêves, il fe croit déjà
parvenu au but de fes defirs : il eft à Rome ; il
court fe profterner devant Apollon au Belvédère ,
devant Raphaël au Vatican. Tandis qu’il cède à
ces premiers tranfports, mon embarras eft de déterminer
la méthode qu’il va fiiivre , pour mettre
a profit, le mieux qu’il eft pofïible , le temps fi
rapide , & peut-être trop court qui lui eft accordé
pour ce voyage. Donnera-t-il la préférence à 1 obfervation inaétive & à la méditation ? Se
laiflera-t-il entraîner à copier fans cefle pour remporter
, lorfqu’il les quittera, le portrait de toutes
les beautés dont il jouit & qu’il craint déjà de
perdre. Dans cette incertitude, qu’il redoute encore
plus de laifîèr échapper des inftans qui ne reviens
dront jamais. L e temps n’eft pas indéterminé,
comme lui. Il marche , il vole fans s’arrêter j
mais c’eft au fàge fupérieur qu’une des plus heu*
reufès de nos inftitutions place dans la Capitale
des A r ts , pour furveiller les dernières & déçi-»
fives études de nos Artijles, à le décider. Heu*
reux fecours, fi dans l’âge de l’efforvefoence , on
et° it capable d’en bien apprécier l’avantage !
Mon Élève fentira le befoin d’avoir un guide. Il
refpe&era les convenances inféparables d’une fu-
bordination neceftâire. Il fe confidérèra d’avance
lui-même dans une place qu’il doit mériter. Il fe
foumettra à ¥ A rtijle vétéran que l’âge & le mérite
lui donnent pour fupérieur, parce qu’il vôudra
qu’un jour on condefcende à fes foins filutaires.
J e le vois donc convenablement fournis à ce fupérieur
, qui connoît, en fe rappellant fes premiers
temps, avec quelle prudence on doit ménager dans
les jeunes A rtijle s, ce que l’effervefoence, nécefo
faire au talent, ajoute à celle de l’âge. Celui-ci, à
fon tour, éclairera fes Élèves par des raifonnemens
& des démonfiratioiis, c’eft-à-dire, par des con-
feils & des exemples. Il fe montrera à eux comme
un père & un ami, titres préférables à ceux d$
maître & de fupérieur.
C’eft donç lui q u i, d’après le caractère , les
connoiffances acquifes , les difpofitions & les pen*
chans qu’il reconnoît à mon A rtijle , le fuivra ,
comme Mentor foivoit Télémaque dans Ces erreurs
& dans les travaux. Son indulgence excufora queh
ques foibleflès, dont on ne doit pas tirer \in trop
prompt ni trop rigoureux préfàge. Sa prudence
obfervera des travaux quelquefois rallentis par
des méditations , quelquefois obfcurcis par le découragement
a & qui quelquefois aufti. font exalte*
jufqu à l’excès par quelque réuflïte. Pour modérer
l ’amour-propre de fes enfans d’adoption, ilfau ra
fixer avec adreffe leurs regards fur les chefs-
d’oeuvre des grands Maîtres ; E relevera le courage
abattu, par des critiques juftes & encourageantes
fur des ouvrages moins parfaits. Enfin, il
préviendra, par des attentions & des foins réfléchis
, la nonchalance à laquelle entraînent la température
du climat & de légers egaremens qui,
trop fouvent, en font la fuite ; car il ne faut pas
perdre de vue que la jeunefle , for-tout celle dont
les travaux éveillent les fens & animent fans cefle
l ’imagination, a plus de rifques à courir que toute
autre, & plus de mérite à les éviter. C’eft ainfî
que les confeils, la méditation , les études entremêlées
donneront à mon jeune novice dans le
temps de fos épreuves, les lumières qui doivent
l’éclairer for fa véritable vocation. Mais je la i
foppofé véritablement appelle, & je le vois , par
cette raifon même , redouter le moment fixe pour
fon retour. Déjà prévenu de ce terme fa tal, il eft
porté à croire que le Génie cofmopolite de fa
nature trouve par-tout une patrie , & que celle
d’un Peintre ne doit être que le pays ou fbn talent
peut fe perfectionner davantage, & fe trouver
employé à de plus nobles travaux. De nouvelles
exclamations expriment fos regrets de
quitter la Capitale des Arts. Il defîreroit s’y fixer
pour toujours ; mais il écoute les confoils , le
devoir 8c la raifon. Enfin, l’honneur qu’il va re- j
cueillir , & ce qu’il doit à des parens qui attendent
cette Técompenfe des fâcrifices qu’ils ont faits
pour lui le déterminent ; mais fes regrets ne peuvent
être adoucis dans fa route que par les projets
.qu’il fait déjà de revenir au premier moment
de liberté , dans ce pays fortuné , où , entouré
d’une nature favorable & de tant^ de chefs-
d’oeuvre, il ne vivra que pour la^ Peinture , ou ,
dans un calme, dans une efpèce d’ifolement fi délicieux
pour ceux qui s’abandonnent à la paflion
des Arts , il réparera le temps qu’il croit n’avoir
pas allez., bien employé. Deux fois dans ma vie
témoin de ce bonheur que goûtent à Rome nos
jeunes Adeptes, je n’oublierai jamais les momens
délicieux que j’ai partagés avec eux.
Mais je retiendrais trop long-temps mes lecteurs
qui la plupart ne peuvent avoir le même
intérêt que nous à ces détails, & qui ne^ peuvent
s’en faire une jufte idée , fi je m’arrêtois à toutes
les fortes de jouiffance qu’a éprouvé mon Ar-
zijle à la fleur de fon âge 8c de fon talent. Je l’ai
préparé , comme on l’a v u , à ne s’abandonner
qu’à celles qui ne peuvent endormir ou égarer
fon talent. Aufti je le ramène dans fâ patrie au
temps où il peut dignement s’acquitter de la re-
connoifîànce qu’il lui doit & payer fon tribut a la
gloire nationale.
Qu’il foroit heureux fi pour remplir fos juftes
devoirs & des fontîmens fi louables , plein de
cette ferveur pure qu’on n’a qu’à cet â g e , il trouvolt
à fon arrivée quelque grand oüvrage à entreprendre
; fi déjà connu & apprécié de fes anciens
maîtres & de fes fupérieurs, par les eflâis
qu’il leur a envoyés & par l’eftime qu’on a conçue
de lu i , il fe trouvoit chargé d’orner de peintures
une coupole, une galerie, quelque plafond
où il s’eftbreeroit de lutter contre le Dominiquin ,
le Corrége, le Cortone ; de décorer un temple
de juftice , un hôtel-de-ville * une fuite d’appar-
te mens dans les palais de nos Rois ; c’eft alors
qu’il défieroit au combat les grand s A rtijles dont
la gloire, toujours préfonte à fà penfoe, le fatigue
, comme l’efprit qui s’emparoit des Prophètes
pour leur faire prononcer des vérités éloquentes
& foblimes. Si ces voeux qu’il forme & que je
fais avec lui étoient remplis , fi les grandes Municipalités
de nos Provinces , fi ces ordres Monaf-
tiques, autrefois fi utiles à la culture des terres
& qui pourroient l’être au fbutien de nos Arts ,
lui préparoient de grandes entreprifes, qu’avec
ardeur on le verroit Ce refufor aux charmes de
la Capitale, s’enfermer dans les cloîtres , s’y choisir
pour fociété , fans, crainte de fe faire de rivaux
, de nombreux É lèv es, qui, grâces au ca-
radère & à l’importance des ouvrages , feroient en
état de moiiïonner peut-être plutôt qu’il ne l’a fa it,
les fruits de l’Italie ! C’eft alors que j’efpérerois
de voir renaître les beaux jours de nos Arts ; cac
ce font les grandes entreprifes qui font éclorre
les grandes id ées, qui obligent l’imagination à
s’étendre par Fafcendant même des dimenfions
phyfiques , à fe multiplier , en faifant agir un
grand nombre de coopérateurs, en les approchant
de foi pour fon propre intérêt , en hâtant leur
talent par l’inftruétion & les exemples. On ne
verroit plus aufli fouvent ¥ Artijle s’ifoler dans un
cabinet retiré, pour s’occuper d’ouvrages qu’il
peut exécuter foui.
Combien alors il eft éloigné de cette fituation
heureufo dont j’ai parlé , mais ce malheur ne
dépend pas de lui. L e réfroidiflèment général du
goût pour les grands genres & les grands ouvrages
, (on ne peut trop le répéter , ) eft ce qui
menace véritablement nos Arts , & ce qui nuit le
plus aux fuccès & au bonheur de nos A rtijle s.
Si quelques-uns de ces Artijles en doutoient,
qu’ils comparent leur vie & leurs petits travaux
ifolés avec la vie oftenfiblement laborieufo &
communicative de Raphaël, des Carrache, de
Rubens ; qu’on fo rappelle ces chefs d’É c o le ,
fortant de leurs atteliers, entourés & foivis par
une foule -de difoiples, qui participoient à leurs
travaux, fans leur en ôter la gloire ; qu’on Ce repréfente
ces grands dans l’ordre du talent, portant
leurs pas avec leur honorable cortège, ou
vers les monumens de Rome, ou dans les campagnes
, pour y admirer les beautés de l’Art & de
la Nature. Reportons enfoite nos yeux for la
plupart de nos Artijles. Voyons-Ies fortir fouis
de leurs atteliers, qu’ils laiftènt en proie à un«