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bres, que ne l’eft la partie d’en b as, parce qtié
cîlle-ci eft à portée de recevoir les reflets du
pave & du terrein , dont l’effet diminue à mefiire
qu’il s’éloigne de fa caufe, & fait place à des
maffes qui montent en bruniflânt toujours* Souvenez
vous bien de ce dernier point d’intelligence ;
car il eft d’un ufage univerfel. En le fiiivant,
votre figure paroîtra être réellement debout : en
en la négligeant, elle aura fouvent l’air de tomber
à la renverle. Ce défaut eft bien plus commun
qu’on ne le croit, & même alTez peu ap-
percu. Adreiïez-vous fouvent à la nature, vous
ne tomberez jamais dans ces inconvéniens.
C ’eft encore l’exacte contemplation de la nature
, qui y o u s apprendra de ne point faire porter
à. vos figures, foit fur le terrein, ou fur quel-
qu’autre corps , de grandes ombres de même longueur
, & toujours auffi brunes fur leur fin qu’à
leur commencement ; car pour la longueur des
ombres , vous Tentez qu’elle fe doit regler par
le point d’où l’on fait partir la lumière. Si le
jour vient de haut, l’ombre doit être courte:
fi la lumière eft baffe, l’ombre doit être allongée.
C ’eft une attention qu’il faut avoir plus particulièrement
dans les fiijets dont la fcène eft en
plein air, & qui indiquent déterminément certaines
parties du jour. L a lumière du midi, fe doit ea-
radérifer par les ombres courtes , celle du matin
ou du lo ir , par les ombres longues ; & quant
au ton trop é g a l, que plufîeurs leur donnent d’un
bout à l’autre , vous verrez dans la nature qu’elles
ne font très-fortes que contre ce qui eft pofe à
terre : qu’immédiatement après, elles commencent
à fe dégrader, ce qu’elles continuent de
faire infenfiblement & jufqu’au bout, à caufe
de la lueur qui règne par-tout où il fait jour.
Principe qui a lieu à l’égard de tous les corps
qui portent des ombres , avec une diftin&ion cependant
, que cette dégradation eft beaucoup
moins marquée dans les ombres qui font éclairées
par le foleil.
Toutes ces chofes, encore une fois , veulent
être vues dans la nature , pour être Tendues avec
cette jufteffe qu’on aime tant à trouver dans un
bon ouvrage. Elles ne peuvent être fuppléés par
la pratique, quelque rompu qu’on y fo it, que
fort imparfaitement. Vous le voyez dans certains
payfages qu’on reconnoît aifement avoir été faits
d’apres nature, mais où les figures font comme
poftiches , parce que le Peintre les y a ajoutées
dans fon cabinet. Si en peignant ces terraffes,
il avoit eu l’attention de les placer & de les
voir deflùs, il leur auroit donné leur ton jufte,
& à leurs ombres la force & la longueur marquées
par la nature. On a beau faire , je ne c e f
lerai de le repéter , la rémini feenee ne donne
jamais ces vérités exades , qui font la perfedion
de l’Art; on ne la peut attendre que d’un examen
continuel de la nature : fi l’on vouloit bien
ï attaçhçr à l ’épier foignçufement dans tous fès ef-
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fe ts , Fon feroit des choies furprenantes, & d’une
vérité à tromper.
Je finirai par dire un mot d’une autre pratique
, que M. de l’Argilière regardoit comme
très - défedueufe, c’eft celle que plufîeurs Maîtres
de fon temps fixivoient, pour mettre en-
femble des objets qui dans leurs tableaux dévoient
occuper différens plans, & faire oppofition les
uns contre les autres. Ce qu’il trouvoit à redire
dans la façon de faire de ces Maîtres , étoit qu’en
leur voyant prendre le modèle, pour peindre
d’après , les figures qu’ils vouloient mettre, foit
fur leur premier plan, ou fur le fécond , ou même
fur le troifième, ils le pofoient toujours devant
eux à la même diftance.
L e premier inconvénient qui arrivoit de là ,
étoit qu’ils voyoient toujours leur modèle éclairé du
même ton ; mais ils remédioient à c e la , en le
colorant par efiime , fiiivant l’idée qu’ils avoient
de la gradation qu’ils vouloient donner à leurs
tableaux, ou pour mieux dire, ils croyoient y
remédier. Car il eft aifé de concevoir que cette
eftime n’étoit pas toujours aflèz jufte, pour n’être
pas fiijette à mécompte. Quand cela arrivoit ,
& qu’une figure, placée dans l’éloignement, fe
trouvoit trop ardente de coloris, ou trop gri-
f e , fiiivant le préjugé où l’on étoit, l’on difo t
de fàng-froid : je vais éteindre vais réveiller un peu cette figuruen pe&u ,c oomu mjee
c’étoit ordinairement par le premier de ces deux
défauts qu’elle péchoit pour avoir été vue de
trop près, on fe mettoit à la falir par quelque
teinte grisâtre; dont on la glaçoit: cela fa it ,
on étoit content de fo i, & l’on fe perfiiadoit de
l’avoir mife dans fon vrai ton ; mais ceux dont
les yeux étoient accoutumés à comparer la couleur
des objets par rapport à leurs diftances, &
à chercher cette couleur dans la nature, étoient
fort loin d’en juger de même. Ils ne fe fouvenoient
point d’avoir vu dans la nature de ces mauvaifes
couleurs grifes ou violettes, qu’ils voyoient employer
ainfi pour enfoncer les objets du tableau.
Ils fe rappelloient au contraire ces couleurs fuyantes
, fi douces , fi agréables, fi participantes de
l’air ; couleurs qui ne fe peuvent décrire &
qu’on ne peut bien apprendre à connoître que par
cette étude de comparaifon à laquelle vous voyez
que mon fujet me ramène toujours ; & comment
faire cette étude dans le cas dont il s’agit ici ?
Rien de plus aifé. C’eft en pofant deux modèles à
une diftance convenable pour évaluer au jufte la
véritable couleur de l’un & de l’autre , & en vous
accoutumant de voir les autres objets de la nature
dans le même efprit. Et voilà le grand fecret de
cette perfpedive aérienne, qui n’eft pas moins
eflentielle pour la perfection de notre A r t , que
ne F eft la perfpeétive qui ne regarde que le trait.
L e fécond inconvénient qui naît de cette pratique
, eft que cette manière de voir le modèle à
diftance pareille, à quelque plan que fbit deffinée
ïa figure qu’on peint d’après, donne lieu à un
travail trop égal & trop prononcé par-tout ; leloi-
gnement des objets en efface à nos yeux tous les
petits détails, & cet effet ne le caraétérife guère
moins que l’affoibliffement de la couleur. Or en
imitant le naturel , de trop près, il n’eft pref-
que pas pofîible de lui donner cet air vague &
flou que lui donne le volume d’air qui eft entre
nous & lui, quand nous le voyons de loin. C’eft
donc encore une raifon, qui décide que pour le
bien voir, il ne faut pas trop l’approcher.
Que de chofes n’y auroit-il pas à dire encore
fiir cette matière, fi l’on vouloit la fuivre dans
toutes fés parties ! Mais il eft tems que je^ m arrête.
Je crains même d’avoir trop abufe déjà
de la patience de cette illuftre Compagnie ,
en parlant devant elle fi longuement de chofes
qu’elle fait mieux que moi ; mais je compte fur
fés bontés. Elle m’en a donné des marques fï touchantes,
que je me regarderois comme un ingrat
fi je penfois autrement. Je fuis sûr avec cela
qu’elle prendra en bonne part ce que mon amour
pour l’avancement de nos jeunes gens m’a fait
faire ici. Elle ne les aime pas moins que moi.
Elle les regarde comme fés plus chères efpérances
& les objets de fés plus tendres foins. Elle ne
leur demande , pour tout retour, que la docilité
& l’application néceffaire pour en faire des hommes
d’un mérite diftingué, dignes des grâces que
notre augufte proteâeur répand avec tant d’abondance
fur eux. Jeunelfe qui m’écoutez , donnez-
nous la fatisfaâion de nous prouver votre parfaite
reconnoiflànce par vos fiiccès.
R É P O N S E
A U P R É C É D E N T D I S C O U R S .
P a r M C o y p e t , Direfteur de V Académie,
MONSIEUR,
L’ouvxage que vous venez de me communiquer,
fait connoître en vous trois chofes également
eftimables & très-difficiles à rencontrer,
même féparément. Nous fommes frappés de la
folidité de vos principes ; nous ne pouvons afïéz
louer la générofité avec laquelle vous nous faites
part de vos plus profondes méditations ; & vous
avez attendri par ce féntiment de reconnoiffance
fi digne & fi rare, qui vous porte à renvoyer à
votre illuftre Maître, tout l’honneur que dans ce
moment, vous devez au moins’ partager avec lui.
Pour profiter, Monfieur , comme vous avez
fa it , des leçons de cet excellent homme, il ne
fuffifoît pas de la docilité avec laquelle vous les
écoutiez ; il falloit, pour en connoître tout le prix,
ce goût & cette conception vive & fac ile, que le
ciel n’accorde pas à tous. Il falloit enfin etre ne
pour devenir un jour ce que vous etes.
J e le redis encore, Monfieur , votre Diflerta-
tion eft à la fois l’ouvrage d’un Peintre confomme
dans fon A r t , d’un Académicien zélé, de qui plus
eft encore, d’un galant homme. Elle inftruit non-
féulement nos Eleves des moyens qu’ils doivent
employer , pour mériter de nous fucceder un
jour; mais auffi de ce qu’ils auront a faire , s ils
veulent reconnoître les foins que nous prenons
pour leur avancement.
J e plaindrols celui d’entr’eux qui vous auroit
écouté, fans être échauffé du defir de mettre en
pratique ce que vous venez de dire fur notre Art ,
& je le mépriferois fi , vous ayant entendu parler
du célébré M. de Largiliere, il ne fentoit pas à
quel point nous nous Honorons nous-mêmes , en
publiant ce que nous devons à ceux qui nous ont
formés.
Nous efpérons, Monfieur , que vous ne vous
en tiendrez pas là & que vous voudrez bien mettre
en ordre d’autres idées qui font éparfes dans votre
porte-feuille. Vous n’avez plus à vous défendre
fur le peu d’habitude où vous êtes de coucher
vos idées par écrit. Vous venez de nous prouver
que Defpréaux a eu grande raifon de dire dans
fon Art Poétique:
» Ce que .l’on conçoit bien, s’énonce clairement,
» Et les mots pour le dire, arrivent aifement. »
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E X T R A I T D E S R E C I S T R E S
de l’Académ ie R oyale de Teinture & de
Sculpture•
Aujourd’hui 7 Ju in , l’Académie s’étant affèm-
blée pour les Conférences , M. Oudry , P ro fe f
feur, les a ouvertes par la le&ure d’une Difler-
tation fur la manière d’étudier la couleur, en
comparant les objets les uns aux autres.
Cet Ouvrage, qui renferme d’excellens principes
fur la partie du Coloris & fur celle de l’intelligence
des maffes, a été goûté unanimement par
la Compagnie, qui en a remercié l’Auteur par
un Difcours que M. Coypel lui a adrefie, lequel
fera couché fiir le Regiftre à la fuite de la préfente
délibération.