
4 $6 I N 8 laiffarit fur la fcène qu’ un homme d5un talent
peu diftingué.
C’ eft ainfi que de cette foule prefqu’înnom-
brable d’élèves - que forment en cinquante
^ns toutes les académies de l’Europe, a peine
s’ en - voit il; -deux -.dont les noms puiflènt pa'f-
_'fer avec éclat dans -le fiècle: fuivant. I l eft
bon de remarquer que ces'élus fe font im-
mortalifés, parce qu’ ils ont eu un ftyle très-
diftina du refte de l’école , parce qu’écartés
de la route battue , moins efclaves des opinions
admifes , ils :ont fuivi l’impulfion de
leur génie , ou encore parce qu’ils, ont étudié;
l’art d’ une manière approfondie. i
Mais revenons: fur la méthode adoptée depuis
plus d’ un fiècle •, nous croyons qu’ elle, a
de grands iijconvéniens *. d’ abord , parce qu’on
en fait Y éducation de tous ceux qui doivent^
;. exercer > les a r t s , 8c qu’on la rend.univerfellej
à tous les genres & a tous les efprits. Em
fécond lieu., elle eft - tres-viciéufe, en. J*e
’ qu’elle éloigne de .cette précifion de cette!
jufteffe d’ imitation,- qui eft. le j feiil ^chemin
nar lequel- on puiffe;-parvenir à: l’excellen^ej
. du demn. que. le:peintre recherche auffi fpe-
cialement que le.fculpteur. *
En e ffe t , on envoyé les jeunes étudians
copier un modèle pofé pendant deux heures,;
dans une attitude fouvent pénible. Que re-;
fu lte -t-il. de ce travail l ou ,i l’élève copie' avecj
la plus grande'fidélité poflîble ce, qu?il. v o it ,
& alors il s’habitue à une.fouleLd’incorreaions'.
que .montre la nature ;humaine.,. .quel tïu e f'"|
fort qu’on ait fait-pour la bien choifir , 8c à
des finfembUs incertains, quel que foit } e peu
‘ de vacillation du patient modèle : ou l’élève,
prend ,.un, paçti., décidé.fur l’attitude, dont il;
ne rend que l’à-peu-pres, & .iur ,les formes-
qu’ il , ne /copie qu’ en fuivant des fyftemés. :
' Pour ce .dernier, la ; route e ft plus, courte,, 8c <
le s produé^ions pourront bientôt avoir 1 air
du mérite; Quoiqu’ il en fo it , les uns &
autres..ont pour but unique, celui de bién
'fa ire ce qu’on nomme un académie-
5 Cependant le peintre d’hiftoire . ou le Sculpteur
ne doit pas étudier comme le peintre.qui
le deftine au genre familier, ou comme celui
qui n’ a befoin de connoître la figure humaine
que comme un accefloire a fes -marines., ou a
Tes payfages. : ; ,
On devrait; encore avoir égard aux inclinations
particulières des jeunes gens dansTe
choix des inflru&ions qu’on leur donne. Par
exemple , fi un élève annonçoit une grande dif-
polîtion à devenir colorifte , ce ferait rifquer
de détruire cette difpofition , que de le détourner
des*, études qui pourraient favori-
fer fon penchant , pour le ;fix er conftamment
'fur le travail. qui conduit à la févérjté dés
formes : par alors avec, la très-grande. tifagf*
I N S
tittide qu’il pût jamais fentir ce mérite', on
l ’arrêterait dans la route où la nature .lui pro-
mèttoit du fuccès. Celui dont l’imagination
leroit fantafque, & qui promettroit le talent
que les Italiens nomment la fa n t a jia , mot
que nous ne rendons que très-imparfaitement
par ceux de g o û t, de ,caprice & c , cet élève
d i s - je , perdroit de vue.le. genre dans lequel
feul il pourroit réuflir , (I on vouloit le contraindre
à ne produire que par ces loix févè-
res & calculées que le Sueur, Pouflin 8c d’autres
grands - hommes nous di&ent dans leurs
ouvrages.
C’ eft ainfi qu’on n’ eût jamais .eu d’ Albane,
ni de .«Sacchi, fi ont eût. voulu leur faire
prendre le , ftyle de R ib e ra , ou de Michel-
Ange ; ni de Géorgion , ni de Baffan , fi on
eût exigé d’ eux la fineffe, la précifion & la
.^légèreté du Guide ; c’ eft ainfi enfin que ja mais.
Benedette Caftiglione, Paul Véronéfe , ne
•.fé fuffest abandonnés à leurs, inventions origin
a l^ ,, fi on eûjt . voulu {b.uniett-re leurs com-
.pofitions à. la J marche, réfléchie de celles du
Dominiquin x & de Raphaël.
Qu’on ne dile pas que la force impériëufe
du naturel, fait vaincre toute la réfiftance qu’on -
voudrait dui oppofer, pairce qu’en effet, il eft
, des exemples de quelques élèves qui ont brîfé
les ^barrières fatales qu’on vouloit oppofer à
leur goût particulier ; le nombre en eft infiniment
petit.--Dans les arts,, comme dans la
nature ,. les fru its dépendent des femencesi,
èc ce n\eft qu’ en donnant à chaque terrein
^Remploi qui lui eft propre , qu’ on peut s’ attendre,
à une r;écolte favorable,
Mais revenons au travail, d’après le modèle
v iv an t, auquel on fofee tous les jeunes peintre
s ou fculpteurs, dès leur entrée dans la çar-
,rière. Nous Le regardons comme contrairé à
cette . .corre&ion , à laquelle on prétend les
faire parvenir. En e ffe t, .quel eft le feul
moyen de l’acquérir ? N’ eft-ce pas d’habituejr
la vue à être ju jle , afin d’exprimer les objets
; avec exa&itude ’ Or , comment bien v o ir , &
comment copier fidèlement, fi le modèle eft
mobile ? Comment, fi au bout d’ un très-court
efpace , le modèle, par le -mouvement feul de
la refpiration, .offre des changemens réels»,
l’élève .pourra-t-il, vérifier la jufteffe d’un en- fzm b le , qu’ il aura eu le rare talent de placer
avec une vivacité inexprimable ?,
Mais fuppofons ces places conformes ail
premier moment de la pofe-, comment copiera
t-il le trait avec jufteffe, d’après un obr
jet dont la mobilité le fait changer à c l i que
inftant. I l faudra donc, que fon deflih
foit terminé -de mémoire 8c d’ après les exem*
-jples .que fes maîtres ou fes aînés lui ^ ont
ÿoqnes. Cependant eje mérite pratique s’acquiçrtô
on l’affaiionne mêm« d’ une certaine, fermeté
d’ exécution.
IN S d’ exécution. Mais eft-ce par un exercice de
defïtn arbitraire qu’on parviendra à être defli-
nateur pur 8c e x a ft? N o n , on s’éloigne au
contraire pour jamais du chemin des vérités,
8c on n’ y rentrera p lus, fi ce n’eft par -un
retour violent fur une marche fi erronnée.,
• Une preuve de la vérité de notre affertion ,
c’eft qu’on a vu des élèves de la première
force, dans ce genre de deffins faits devant
le modèle , , n’ être pas en état de rendre , je
ne dis pas feulement une main ou une tête ,
mais l’objet le plus fimple, -avec cette jufteffe
, cette précifion en quoi confifte l’art de
defliner exaftement, =
Latour , peintre de portraits , qui étoit
allez précis dans fes enfembles, confeilloit aux
commençans de deffiner des pots à Veau, des
chandeliers 8c c. long-temps avant que de copier
les êtres animés. Ne reduifons pas, fi l’on veut,
les étudians, à des meubles de ménage ; mais
confeillons- leur pour objet de leur travail ,
ces plâtres moulés fur l ’antique, ou fur d au- j
très belles fculptures, qu’en terme d’attëlier ;
on appelle bojfes, expreflion elliptique , qui
fignifiefculptures de ronde-bojfe. Quels fruits
ne réfultera-t-il pas de les copier avec perfé-
vérance? D’abord, leur immobilité donnera-
la facilité de vérifier à plufieurs reprifes la
copie qu’on aura faite , d'où naîtra le talent
de faire avec jufteffe. En fécond lieu on y
apprendra les proportions les/ plus parfaites
du corps humain. Enfin ces modèles accoutumeront
à la netteté & à la fimplicité des
formes , l’oeil des jeunes élèves toujours dé-
tpurné du beau choix par les miférables détails
d’ une nature imparfaite & fouffrante ; • détails
qui lui cachent ces formes folides, ces traits
déterminés daris -lefquels feuls réfident les
organes du mouvement. Ce favoir eft , comme
nous l’ avons dit au mot hifloire , d’ une ffé-
ceflité abfolue pour le grand ftyle.
On objeélera peut-être qu’ un élève longtemps
occupé à copier des objets immobiles^
ne pourra jamais faire profit de la nature en
mouvement; C’ eft ici que Yinjlruclion d’ un
maître attentif eft importante. 11 faut qu’ il habitue
fon difciple à faifir Ÿenfemble de l’objet
de fon imitation avec le plus de célérité poflîble
, fans cependant contraindre le caraétère
particulier de fon efprit. Car , ( & ceci eft une
obfervation importante ) plus il fera enclin au
plaifir enchanteur de la précifion, moins dans
les commencemens il la faifira avec promptitude,
8c ce ne fera que par de longs & rigoureux
examens, par des retours continuels fur fon
tra v a il, qu’ il deviendra prompt & e xad tout
à-la-fois.
•Ajoutons à ces raifonnemens , qui ne manqueront
pas de trouver de routiniers contradicteurs,
des témoignages irrécufiibl«« pout les gens
b eau x -A n s. '1 onig J .
I N S 4*7' dé bon goût. Léonard de Vinci , Pérügin ,
Michel - Ange , Raphaël, André Mantegna ,
J. Belin , Jean Coufin , enfin tous les chefs
d’écoles, à q u i , fans la plus rebutante ignorance
, on ne peut refufer les premiers rangs
dans le mérite du v ra i, ont vécu dans des temps
où les êtres inanimés ont dû faire -les premiers
objets de leurs études. S’ ils ont copié-le modèle
v iv a n t , c’ eft quand ils ont voulu 8c qu’ils ont
été en état de le faire ; il n’ y avoit pas de
lieu public établi pour ce travail. Cependant,
fans cette précieufe reffource pour les progrès, ils
font devenus les uns exaéts , les autres fublimes
def&nateurs. Concluons fur ce point q u e , fans
une grande inflruclioji, fans une fuffifante habitude
de defliner, on ne doit pas fe livrer à
copier le modèlë vivant.
Si le maître rencontroit un élève fpirituel,
ardent, mais incapable de cette patience que
demande l ’étude de la correftion, il ne faudrait
pas en défefpérer ni le contraindre à
l’étude que nous venons de preferire. De Piles
dit que l’ efprit du peintre eft libertin de fa
nature : ce qui veut dire qu’ il aime la liberté.
C’ e f t , en effet, en le laiffant agir librement-,
fouvent même , fans lui indiquer aucun plan ,
qu’on peut le mieux épier & découvrir fes
véritables difpcfitions pour parvenir enfuite à
les féconder. Le jeune peintre paroît-il fentir
-le coloris, il fuffira de l’ inftruire des principes,
difons mieux, dè les lui faire découvrir dans
la nature , & d’ans cette partie, principalement,
de l’écarter des écueils auxquèîs expofent les
fyftêmes , les conventions de la mode , & fur-
tout la manie d’une méthode exclufive. En effet,
qui peut borner l’étendue des teintes à donner
dans les diftérens tableaux ? La nature ne mont
r e - t - e l l e pas une diverfité infinie dans les
divers genres de lumières qui éclairent les objets
, dans la variété que produifent les climats,
les fices , les faiions, les inftans du jour, 8cc.
A l’étude de ces" fublimes différences , la
bonne infthïâlion joint celle des moyens que
l’art peut employer avec le plus de (olidité &
de fuccès. C’ eft ainfi que , par des exemples
bien cîioifis & qui ont eu l’ approbation dès
fiècles, on laiffe les talens s’affeoir, fe fonder
8c s’élever fur les bafes du- goût & des organes
particuliers de chaque difciple.
En eft-il un qui , dans fes compofitions,
montre des idées neuves & de la facilité à
inventer.’ I l fuffit également de lui montrer ces
principes immuables que préfente la nature
quand elle nous offre des mouvemens de plans,
de lumières, & de diftributions qui excitent
l’ intérêt univerfel. Par ces idées générales , on
n’aura point à craindre que fes conceptions
foient égales pour tous les fujets ; au contraire ,
elles'•en prendront les formes diverfes, & il
aura l ’avantage bien précieux 8c bien rare d\ x-
M m m