
I l eft facile de fuivre en cela les traces de
Raphaël ; mais on ne doit- trouver la même
indulgence qu’on eut pour lui qu’ en montrant
les memes-talens.
En déiîgnant celui des plaifirs qui égare le
plus ordinairement les jeunes Artifte s, je ne
difconviendrai pas que les études 8c les pratiques
néceffaires à la peinture ne rendent plus
difficiles , les efforts qu’ il faut employer pour y
réjifter. J ’irois même ( fi la morale de ceux qui
traitent d'inftru&ions, ne devoir pas êtçe fé - ‘
vère) jufqu’à avouer que quelquefois la cha.-
leur d’une paffion fi naturelle aux hommes, &
q u i, chez les peintres, eft attifée par l ’ufage
habituel qu’ ils font de l'imagination , peut leur
donner une aâ ivité & une émulation qu’ ils
n’ auroient pas fans e lle . Le coeur fupplée à l’ef-
p r it, & lui donne tout l’ intérêt dont il eft
fufceptible. Le defir des grands fuccès peut être
éveillé pa'r l’amour chez les Artiftes, comme
parmi les guerriers ; mais l'effet bien plus commun
des déréglemens où les, Artiftes font plus
fujets à être entraînés que d’autres, eft la perte
de la fanté 9 fouvent une mort prématurée, ou
des maux qui éteignent.le talent, en éteignant
les forces, & qui énervent le génie, en avi-
liffant l’ame; je ne parlerai pas des autres dif-
fipations, bien plus condamnables, parce qu’ elles
font plus étrangères au talent ; mais j’ajouterai
( fans avoir une grande efpérance de perfuader
ceux qui auraient befoin de l’ être) qu’ il n’eft
aucun plaifir, à plus forte raifon aucune dif-
fîpation , qui dédommage des jouiffances que
procurent l’ exercice heureux des talens, & le
bonheur que font goûter leurs fuccès. ( Article
de AI. Wâ t e l e t . )
N E R F , ( fubft. maf. ) . Quoique ce mot ,
dans le fens propre, appartienne a l’anatomie
& à la phyfiologie , il a été tranfporté par
métaphore dans la langue des belles-lettres &
des arts. On dit d’ un écrivain ou d’un4 artifte ,
qu’ il a du n e rf y que fes ouvrages ont du nerf',
& ce mot fignifie alors de la force , de la fermeté
, autres expreflions métaphoriques -, car
pour défignèr des qualités intelleéluelles , on
eft obligé Remprunter, des expreflions à celle?
qui tombent fous les fons.
Nous n’ajouterons rien fur le mot n e rf Irions
nous çonfeiller d’avoir du n e rf à un artifte
formé par la nature pour fe diftinguer par ùrte
aimable moljeffe ? Voudrons-nous qu’ à notre
voix le peintre des innocens plaifirs devienne
celui des combats 7 Les grands fuccès ne font
promis qu’ à Fhomme qui donne à fes travaux
l'empreinte de fon .caraâère. Le Guide n’auroit
pas été même un artifte médiocre , s?il s’étoit
propofé d’avoir le n e rf de Lanfranc ; & pour
citer des noms encore plus illu ftres, la nature
^ygit prefcrit à Michel-Ange de çâra&ériler.
fes ouvrages par l'excès même du n e rf, & elle
avoit prodigué à Raphaël le taraélère de douceur
qui convient aux fubftances célefles. Boileau
n’a pas moins dit pour les artiftes que
pour les poëtes :
C ra ign e z d’un v ain plaifir le s trompeufes am orc e s,
E t consultez io n g tem s votre efpric Sc vos forces,
( A rticle de M . L e v e sq u e . )
N E T T E T É . ( fubft. fem. ) La nettete , bien
plus que la vivacité d'efprit , eft effentielle
aux artiftes. E lle les conduit à la netteté de
conception par laquelle ils voyent intelleéltiel-
lement leur fujetr avec la véritable expreflion
qu’ il doit avoir , 8c dépouillé de tout ce q u i,
comme étranger, ne pourrait qu’y mettre do
l’embarras. Quand le Sujet eft nettement conçu
, il eft facile de le compofer, de l’ ordonner
avec netteté, enfoi;te que le fpeélateur en
faifira fans peine l’ enfemble & les parties :
Se lon que n otre idée eft plus ou moins ôb fcu re,
L ’exprefiron la fu it ou moins nette, ou plus pure
C e que l’on c on çoit bien , s’ énonce clairement.
La nettete' doit préfider à toute l'exécution.
Les differentes figures, les différens acceffoires
doivent , il eft vrai 9 le céder les uns aux
autres, & quelquefois même être facrifiés &
fa lis , comme on s’ exprime dans le langage des.
arts; mais dans cette opération même d e fa lir ,
il faut encore obferver un refte de netteté qui
empêche le fpeâateur de tomber dans l’ inaé-
cifion fur les objets du tableau. Les. couleurs
doivent être fondues ; mais la netteté conferve
encore ici fon empire : elle empêche les couleurs
d'êrre tourmentées , 8c les teintes d'être
brouillées. ( Article de M . L e ve sq u e , )
N E T TO Y E R . ( verb. a£t. ) Nettoyer des tableaux.
Cet art appartient à la pratique, 8c l’on
en traitera dans le D i&ionnaire qui y feraconfa-
cré. I l fuffit aux leéieurs qui fe bornent à la théorie
des arts , de trouver ici que le nettoiement
des tableaux ne peut être exerçé fans danger
par des gens qui h'ont qu'une pratique groflière j
qu’en croyant ôter les Saletés d'un ouvrage ,
un nettoyeur fans intelligence, enlèvé fouvent
des glacis & des teintes qui en formoient l’accord,
fi même il ne porte pas plus loin la def-
truclion, & qu'enfin un amateur imprudent peut
être puni de fon mauvais choix par la perte
d’un ouvrage précieux. J ’ai vu à Paris un aveugle
qui s'annonçoit pour nettoyer les tableaux;
il n’ y aurait eu que des aveugles qui euffent
pu lui en confier.
- N EU F . ( ad}. ) . I l fignifie nouvellement f a i t ,
8c , dans ce fens, nous n’avons rien à dire fur
ce mot, fi ce n'eft qu'il manque quelquefois
à un tableau neuf un charme, une perfe&ion
qu'il recevra du temps. Comme un tableau ,
regardé d'une certaine diftance , reçoit un fini
plus parfait de l’ interpofition de Pair qui^ en
rond toutes les teintes, de même le vernis général
dont le couvrira la vétufte, lui donnera
une fonte & un accord qu’ il n’a pu prendre
fur le chevalet. Mais cela fuppofe que l’ artifte
a bien connii les fubftances dont il a fait
ufage , & qu’ il a prévu ,les effets que le temps
produirait fur elles car s il a employé des
teintes dont les unes s'éteignent & s'évaporent
, tandis que les autres pouffent au noir,
le temps détruira l’ accord qu’ il avoit donné à
fon ouvrage. , ,
Mais on entend fouvent par le mot neuf, ce
qui étonne par la nouveauté , la fingularite de
l'invention, de la penfée ,s de l’ execution.^ On»
peut dire , en prenant ce mot en cette acception,
que l’envie de produire du neuf a perdu bien
des gens de lettres , & bien des artiftes. Pour
ne reffembler à aucun de fes prédéceffeurs ,
on ne reffemble plus à la nature qu'ils ont
tâché d'imiter-, à la. vérité qu'ils ont tache d atteindre
, & ce qu’on produit eft n e u f , parce
que perl'onne encore n'avoit eu l'audace de rien
produire de fi bizarre. On croit fe diftinguer,
parce qu’on a le front de mettre au jo u r , ce
que les efprits. fages avoient mille fois rejette.
I l n'eft point d'homme qui n’ait apporté en
naiffant fon cara&ère particulier ; fa maniéré
de penfer, de fentir, de v o ir , d’exécuter, lui
eft perfonnelle, comme les traits de fon v i-
fage : tout bon artifte qui fera lui-même , 8c
qui n'aura d autre but que d’ être v r a i , ne manquera
donc jamais d'offrir du n eu f dans fes
ouvrages. Une belle figure, une expreflion bien
fentie , une penfée qui n’aüra d’aùtre éclat que
celui de fa Simplicité, la vérité enfin imprimée
dans tout un ouvrage , voilà ce qui fera neuf
au moment où il fera créé par l'artifte y &
qui le fora plufieurs fiècles après que l’artifte
ne fera plus. Mais s’ il veut être neuf en pro-
duifant des conceptions extraordinaires , en
tourmentant fes figures 8c fes compofitions, en
outrant fes expreflions , en recherchant des
effets bifares, en fe piquant d’un coloris Singulier,
on applaudira peut-être quelques temps
à fes efforts mal entendus ; mais tôt ou tard on
fe vengera de fa charlatanerie, en le mettant
même au-deffous de la place, qu'il mériterait
d’obtenir. ( Article de M. L ev e sq u e . )
NOBLE ( adj. ) & NOBLESSE. ( fubft. fem. )
Lé titra de noble eft parmi nous l’ effet &
la fuite d'une convention ancienne ou d’une
-inftituiion nouvelle*
On fe trouve- noble par fon origine, ou bien
par la volonté du prince. Ces conventions
n'ont pu paffer dans les A r t s , qui ont adopté
les mots* noble 8c noblejfe, 8c qui ne connoif-
fent cependant de diftinétion que celle du mérite
: le fils ou le defcendant d’ un célèbre
Artifte eft mis dans la claffe la plus roturière ,
lorfque le talent fe trouve dégradé dans fes
ouvrages. Cette juftice exaéle eft fondée fans
doute fur l ’indépendance inaltérable de la penfée
, fur le droit Sacré de la raifon, & fur la
décîfion libre des yeux & du fentiment.
Que n’eft-il poflible de faire paffer une par- .
tie au moins de cette juftice dans nos Sociétés
? La claffe des no bles, qui .ne perdra de
fes droits que par l’ extrême multiplicité à laquelle
elle tend, ferait moins nombreufe , mais
plus refpe&ée.
Pour en revenir au mot de cet a rtic le, ou
plutôt au Sens qu’on lui donne dans les Arts ;
quelles font donc les raifons à la faveur desquelles
il y a été adopté?
Si nous examinons ce qui cara&érife la noblejfe
d’ un genre de peinture, ou .ce qui autorité
à appel 1er certains fujets no ble s, c’ eft
que ce genre, ou ces fujets renferment, ou
Imitent des avions dans lefquelles brillent les
vertus Sublimes, les qualités héroïques, les
fentimens qui honorent l’humanité. L’hiftoire
eft donc, par cette raifon, le plus noble des
genres, 8c les fujets hiftoriques qui représentent
des-traits de magnanimité, de générofité,
d’ humanité diftingués, font des fujets nobles•
D'une autre part, copime nous nous repré-
fentons le plus brdinairement les héros & les
grands hommes, fous les apparences relatives
à leurs vertus & à leurs qualités; nous Sommes
portés à penfer que les hommes , dont la ftruc^-
Iture offre des formes diftinguées par leur per-
feélion, font deftinés à faire des a&ions recommandables,
& nous nommons par induction
, figuies nobles celles dont les apparences
approchent de cette perfaÛion.
Lorfqu'il s’agit de représenter avec un ca-
raélère de noblejfe des figures de femmes ; l ’ idée
devient plus v a gu e , parce que la plupart
des aéiions qui appartiennent aux héros, ne
conviennent point à un fexe généralement doux
8c foible. .Nous Suppléons alors au vague de
l'idée parles proportions d’ une taille au-deffus
de la moyenne , par un maintien grave ,*8c enfin
■ par le cara&ère de la phyfionomie que nous
rendons belle d'une beauté férieufe, impofante ,
fans trop d’orgue il, & dont la perfeélion confifte
Surtout dans la-régularité des traits, parce que
la régularité appartient à l ’ordre , & que l ’ordre
infpire le refpeft.
On dit dans les lettres , comme dans les
Arts du deflin, un* cxprejfîon noble* On dit