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il.ma paru évident qo’ il dérive immédiatement
de la pantomime.
La pantomime eft , comme je l ’ai fait obfer-
ver , le premier des langages & le premier
des artsy c’ eft la pantomime qui nous excite
& nous induit fans ceffe à donner une apparence
vifible & -mêmë durable »aux lignes
& aux traits -qu’ elle trace en l’air avec les
mains , les bras , les mouvemens du corps aux
moindres défignations qu’ elle-veut communiquer
8c tranfmettre.
Sans entrer ici dans une foule de preuves
de cette àffertion, mettons le leéteùr, peut-
être furpris de fa nouveauté,' fur la voie' des
faits qui peuvent lu i en prouver la vérité.
Qu’ qn le repréfente donc le fauvage ignorant
la langue d’ un homme qui aborde ion r iv a g e ,
& qui veut par des lignes, obtenir des notions
dont il a befoin. Le fauvage attentif
obferve; 8c s’il croit avoir compris & qu’il
veuille indiquer quelquê^difïance ou déligner
quelqu’ob je f, il forme avec les mains & tes bras
des lignesde route efpèce , qu’ il delîine, pour
aihli dire, dans le vague dé l’a ir , 8c à f’aide
defquellés if communique à l’étranger une idée
des formes, des diftances ou des dimenfions
caraélériftiques des objets & même des courbures
du chemin qu’ il a deffejn de déligner:
s’ il veut indiquer la mer, Tes bras étendus
forment en fe raprochant de lu i , dés courbés
luccelfi ves qui défignent-lés ondulations des flots:-
nous confervons toujours , dans quelqu’etat
de civilifation que nous foyons parvenus, dés
traces de cette génération de l’art du deflin.
Les artiftes peuvent à tout inftant être, furpris
deflinant pantomimement les objets qu’ils décrivent
ou dont ils s’occupent : les-pantomimes'
fameux perfectionnés par l’étude, ne méritent
une grande réputation, qu’autant qu’ ils delïinent
exactement & avec la plus grande juif elfe , par
leurs gèftes & leurs mouvemens, les objets
qu’ils veulent repréfenter.
C’ eft d’ après ces obfervations qu’il faut fe
rappeller le penchant ftimulant qui incite'
l ’homme à donner de la durée à ce qui eft
inftantané.
Les productions de, trois des lix arts libéraux
font paffagares, inftantanées,, & ne laiffent
aucune trace vifible 8c palpable de leur exif-
tence. Ces arts font la pantomime, les fons articulés
& lesfons modulés-,les productions des trois
autres font plus ou moins durables, 8c tombent
fous le fens de la vue & du toucher; ce font
la fculpture , la peinture & l’architeCture. Ja i
dît que l’homme était, naturellement 8c puif-
famment incité à donner, autant qu’ il lui étoit
.poffible , aux arts d’ une de 'ces claffes les qualités
diftinClivement propres à ceux de l’autre ,
c’ eft-à-dire, auxpfodùCtionsmomentanées, une
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durée» quelconque d’ e xiftance; & aux ouvra-
i g es durables, l ’ efprit que peut communiquée
aux autrès la rapidité avec laquelle plufieurs
font aulîl-tôt produits que conçus. I l eft naturel
à la curiofité de l ’efprit méditatif d e : dé^
mêler quelle pourroit être la caufe de ce penchant
fi fécond en efpéces de miracles , qui nous
frappent & nous étonnent tous les jours dans
les inventions dont lés hommes enrichiffent
les fciences & les arts.
Peut-être me pardonnera-t-on, par cètte
raübn, d’offrir des conjectures tirées d’ un
ouvrage auquel une foible fan té 8c d’autres
occupations ne m’ont pas permis de me livrer
entièrement. L’homme, je l’ai d it, eft nécef-
fairement excité à exprimer 8c à communiquer
à fes lémblables ceJ qu’ il éprouve au dedans
I de. lui pour obtenir les fecours qui lui font né-
ceffaires dans une infinité de circonftances ; il
cède avec plaifir au penchant plus doux, qui
l’ invite à imiter, même fans une nécefliréabfolue,
les objets qui lui plaifent ou qui i ’ intéreffent.
De ces divers principes naît enfin, ou plutôt
s’allume un defir inquiet & curieux de connoî-
tre , defir plus ou moins apparent , plus ou moins
aCtif, mais univeffel & effentiellement attaché
à notre nature phyfique 8c intellectuelle. Te ls
font les motifs de prefque toutes le s opérations
de l’ intelligence 8c de l’ induftrië dés hommes.
En effet, fi vous les obferv^z lojTqu’ils ne
font pas abrutis par la plus épaiffe ignorance,
ou anéantis par l’ excès des travaux, des béfoihs ,
déchirés par les dottieuts, ou totalément égarés
par le délire des pallions, vous appërcevrez
qu’ en toute occurrence, à toute occafion, ils
interrogent la nature , ou qu’ ils s’occupent de
l’ imiter. S’ ils l’ interrogent, ils font fur la voie
de toutes les fciences.
L’ idée feule de l’ imiter les met fur la route
de tous les arts.
Mais quelle eft à fon tour la caufe interne
& fourdement aCiivë de ce defir de tout
connoître & de ce penchant à tout imiter?
C’ eft un inftinCi univerfél qui follicite 'chacun
des hommes à furmonrer les contrariétés,
attachées indélébilement à fa nature. L’homme
tourmenté par le peu de proportion & d‘ëgalité
de fes fens entr’e u x , par lés imperfections
diverfes de fes organes, par les bornes de fes
facultés, eft continuellement preffé du défi?
de les rendre plus égales , mieux afforties ,
& plus parfaites. Borné dans la fenfibilité du
taCt, fournis dans l ’ufage de fa vue aux vicif-
fitudes de la lumière, paffif à l ’égard de fon
odorat; tâchant, mais en vain, de retenir des
fons fugitifs qu’un fouffle enlève & porte loin
de lui ; héfitant für l’impreffion, & plus erfepré
fur la nature des objets qu’ il fouftiet à fon goût?
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comparant fans ceffe fes facultés les unes^ àux
autres, ,-tpujours bleffé dans ces comparaifons
par une difcordance & des difproportions qui le
contrarient, le fatiguent 8c l’humilient, il s e fforce
d’ établir un accord, une égalité qui lui
paroifient le terme defa perfectibilité. Mais dans
cette entreprife, fi l’ intelligence & l’ induftrie
lui prêtent des fecours qui flattentfon efperancë,
elles ne lui en donnent jamais affez pour épuifer
fes defirs & fufpendre fes efforts.
En effet, non feulement les imperfections
dés fens dont je viens de parlér lui font éprouver
des contrariétés : mais combien fes intentions
méditées en renouvellent& en varient fans ceffe.
le nombre ? L*homnie veut mouvoir un corps,
fa force eft arrêtée par la pefantéur de la
matière ; il veut au moins l’ébranler, elle
réfifté fi l’induftrie ne le fecoure : fa volonté
prompte & exigeante ne trouve à employer
qu’une puiffance tardive 8c foible ; il apper-
çoit avec rapidité l’objet qu’ il ne peut atteindre
que lentement. Quelle difproportion entre
la vélocité dont s’élance fon^ regard 8c J z
langueur dont fe traîne fon aCtion Rentre 1 é-
tendue qu’ il embraffe par la penfée & l’ efpace
borné qu’ il occupe1. I l fe meut, fon intention
l ’a devancé; il fe dirige vers un bu,t avec, toute
la vîteffe dont il eft capable ; fes defirs qui
l’ont atteint fe précipitent déjà, vers un autre;
les objets dont la poffefiion le ,fla t te , fe dé-
truifent ; il y a attaché Ton afféCtion, ils s’é-
vanouiffent. Le defir fe reproduit aufli-tôt
qu’ il eft fatisfaiit; le plaifir difparoît à l’ inftant
qu’on le goûte. Sans ceffe, des^effets qui pref-
lent l’homme d’augmenter certaines^ facultés
pour les rendre égales à .d’atftres, de rendre
durable ce.qu’ il voit lui échapper &.fe perdre,
de prolonger des fouyenîrs, d’adoucir des
regrets., de rappeller des jouiffances ; par-tout
enfin des motifs qui excitent, qui nourriffent
le defir de connoître & , le penchant à imiter.
C’eft par l’ effet de ces inégalités indeftruCtibles,
de ces contrariétés toujours renaiffantes, que
les homijies tourmentés d’ une peine, u tile , _
ouvrent gar-tout & fans ceffe la carrière des
fciences & des arts.
Si l’on penfe que ces détails de la marche
naturelle deT’ intelligence humaine m’ont trop
entraîné , il faut fe rappeler que l’origine hif-
torique de la peinture , ne m’ ôffroit aucun
moyen de fuiyre 8c de faire connoître l’apparence
même de fes premiers pas -: effa/ons
de la rencontrer, èn découvrant, chemin fai-
fant, encore quelque raifon de . .la différence
que je trouve entre la marche de -la peinture
8c de 'la fcUÎpturè : on doit en Toupçonrîèr
quelqu’une ; car: ces deuxtarts 'étant1 fil-s d’ un
même pere ( l’ àrt du dëffin ) , on a dû s’ àt-
tendre, à les voir marcher ’également* Mais
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examinons fi la peinture ne conuendrôit-
pas quelques -uns de ces obftacles qui agif-
fent pour ainfi dire fourdement, fans qu on
s’ en apperçoive , & qui fufpendent & > al-
lentiffent néceffairement fes premiers pas 8c
fes premiers progrès. Pour c e la , rapprochons
l’ une de l’ autre les définitions 'de la peinture
& de la fculpture.
La fculpture eft l’art de rendre ou d imiter
des formes d’ objets vifibles 8c palpables par
des formes de matières quelconques, egalement
vifibles & palpables.
La peinture eft l’art d’ imiter des objets
vifibles avec le fecours de la .couleur, ou ,
pour être plus exadt, avec le fecours de. plufieurs
couleurs. On eft aifément frappé, pour
peu qu’ on réfléchiffe fur ces deux énoncés, d une
différence effentielle; car imiter des formes
vifibles & palpables par des formes qui tombent
pareillement fous les fens de la vue & du touch
e r, ç’eft une maniéré fimple d’ imiter, dans
laquelle on peut comparer l’imitation & . le
modèle, dans laque lle, à l’ aide du toucher,
on peut apprécier leur Çlus ou moins de conformité
, dans laquelle enfin - des mefures
peuve^nt être employées pour vérifier la conformité
des dimenfions; mais imiter -les objets
vifib les, palpables, au moyen dps couleurs
q u i, étendues fur des furfaces, n’offrent à la
main aucune forme palpable .c’ eft évidemment
un art moins fimple; l’un imité leSjform.es^ par
des formas, le re lie f par le ; re lio f; 1 autre
imite des formes par des apparences de formes;
& le relief par des illufions & des artifices
ingénieux qui manquent de -réalité. Ce n’ eft
pas tout ; car aufli-tôt que l’imitation effaie
d’employer les couleurs , elle rencontre une
fource inépuifable de difficultés que lui oppo-
fe Ta variation ou progreflive ou accidentelle
de la lumière, qui fe répand & fe varie fans ceffe
fur.tout les objets vifibles, ou y répand & y-varie
l ’ ombre qui n’eft que la privation de la lumière.
Je n’entrerai pas, 8c ce n’ eft pas le moment, dans
les détails que préfente cette fource trop féconde
d’obftacles.qui embarraffent les artiftes-peintres
les plus habiles jufques dans leurs plus grands
progrès, 8c je reviens à examiner à leur tour
les exemples que la nature a femblé vouloir
offrir,aux hommes pour nourrir leur émulation;
8c feryir même de ' modèle a leurs imitations.
Le peintre , c’ e f t -à -d ir e c e lu i qui employé
des couleurs, guidé par l’art du deffm, trouve, il
eft v r a i, les objets naturels colorés ; fon adreffé
& fon induftrie peuvent parvenir à compofer
avèc des teintures naturelles , formées du mélange
de terres folubles dans l’ eau:, ou bien dé
diffolutions de parties métalliques que la'nature
offre - abondamment-, le moyen d’afliiniler la
iruance de ces couleurs; par exemple, uà cellg
pdffû ij*