
47 <f L I G
fe croit aflez habile pour réparer fes fauté? par j
des beautés fupérieurcs. Un orgueil, aulïi hautement
déclaré , ne difpofe pas le fpeélateur à
l ’ indulgence. ( L . )
L IG N E , ( fubft. fém. ) Ce mot n’ appartient
à l ’ a r t, qu’autant que l’ art emprunte le fecours de
la Géométrie.
La Ligne qui termine un objet , fe nomme
•trait , contour. Gn dit , dans le langage de
l ’a r t , trait de plume , de crayon , de pinceau,
touche , hachure , & non pas ligne»
L IG N E <TAppelles. Pline rapporte que ce
Pe in tre , quelqu’occupé qu’ il pût être d’ ailleurs,
ne pafloit aucun jour fans tirer quelque ligne :
Fuit alioquin perpétua confuetudo numquam
tam occupâtam diem agerCdi, ut non , lineam
dueendo , exerceret artem. Winckelmann croit
que ce partage ne lignifie pas qu’ il ne latfloit
pafler aucun jour fans peindre ", mais que chaque
jour il étudioit fon art , en deflinant d’ apres
nature , ou d’ après les grands maîtres qui l’a-
voient précédé : mais ce n’ eft point de cela qu’ il
s’ agit dans cet article.
Nous voulons parler de la manière dont, fui-
vant Pline Appelles fit cunnoître fa vifite à
Protogènes • voici le partage littéralement tra-'
■ duit par M. Falconet.
cc On fait ce qui fe pafla entre lui ( Apelles )
» & Protogènes. Celui-ci demeuroit à Rhodes ;
» Apelles y étant abordé , avide de connoître, i
» par fes ouvrages , un homme qu’ il ne connoil-
» foit que par fa réputation , alla d’ abord a fon
» attelier. Protogènes étoit abl’ent ; mais une
» v ie ille gardoit feule un fort grand panneau,
» difpofé fur le ch evalé t, pour être peint. Elle
» lui dit <jue Pro^ogenes étoit fo rti, & lui de- j
» manda fon nom. Le voici , dit Apelles , &
t> prenant un pinceau , il conduifit avec de la
» couleur, fur le champ du tableau , une ligne ;
» d’ une extrême ténuité. ( drreptoquepenicillo,
sy lineam ex colore duxit fummoe tenuitatis per
y> tabulant.') Protogenes de retour , la vieille
» lui dit ce qui s’étoit paffé. On rapporte que
» - l ’ A r i f t e , ayant d’ abord obfervé la fubtilité
» du t ra it, dit que c’étoit Apelles qui étoit venu;
w que nul autre n’ étoit capable de rien fai e
j> d’ auflî parfait; & que lui-même en conduifit
» un encore plus délié , avec 6ne autre couleur :
» ( ipfumqüe -àlio colore tenuithem lineam in ilia
» ipfa duxijje ) , & dit à la vieille q u e f i cet
x, homme revenoit, elle lui fit voir cette ligne ,
» en ajoutant que c’étOit là Celui qu’ il chérchoit.
» La chofe arriva : Apelles re v in t, & honteux
» de fe voir furpafle ; il refendit les deux lignes
» avec une troifieme couleur , ne lairtànr plus
» rien à faire à la fubtilité. ( vin ci erubefeens ,
» tertio colore lineas Jecuit , nullum relinquens
» amplius fubtilitatrlocum }. Protogenes s’a-
L I G
» vouant vaincu , courut en diligence au porc
» chercher fon hôte. On a iugé à propos de
» conferver à la poftérité cette planche qui fie
» l’admiration de tout le monde , mais particu-
» fièrement des artiftes.il eft certain qu’elle fut
» confumée dans le dernier incendie du palais
» de Cefa r, au Mont Palatin. Je l’ avois aupa-
» ravant confidérée avec avidité, quoiqu’ elle ne
» contînt,dans fa plus fpacieulè largeur, que des
» I gnés qui échappoient à la v u e , & qu’ elle pa-
» rût comme vuide au milieu d’excellens ouvra-
» ges d’ un grand nombre d’artiftes.( N ih ila liu d
» continentem quam lineas vifum effiigientes, in-
» ter egregia multorum opéra inani Jimilem. » )•
Pline a vu lui même le tableau ou plutôt le
panneau. Le fait s’étoit confervé avec l’ouvrage ,
dont il pouvoit feul fournir l’ explication , 8c
s’étoit tranfmis d’ âge en âge : ce leroit une critique
téméraire que de vouloir le révoquer en
doute aujourd’hui.
I l peut d’abord fembîer frivole , & il eft en
effet précieux , puifqu’ il nous éclaire fur l’hiftoire
de l’art au temps d’Appelles. On voit que
fa difpute avec Protogenes n’étoit qu’ un combat
d’adreffe : c’étoit ün défi à qui traceroit .le trait
le plus fu b til, & celui qui fit un trait aflez fin
pour qu’il fût impoflible de le refendre , fut
déclaré vainqueur. Les deux rivaux s’admirèrent
mutuellement, & fe reconnureut mutuellement
pour de grands maîtres , fans avoir d’autre bafe
de leur jugement que l ’ extrême finefle de pinceau
qu’ ils pofledoient tous deu x , 8c que tous
deux regardoient fans doute , comme une partie
très-importante d e 'l’art.
Que devons-nous inférer de ce fait ? Que du
temps d’Apelles & de Protogenes, on faifoit
autant de cas de la finefle du pinceau , qu’on
en eftime aujourd’hui la largeur ; que les peintres
de cet âge , qui pofledoient fans doute les
grandes parties de l’a r t , qui leur étoient communes
avec les fculpteurs , étoient fecs , durs
& mefquins dans la/partiev du métier, & qu’en-
fin leur manoeuvre devoit avoir beaucoup de
rapport avec celle de nos peintres gothiques.
C’étoit avec le pinceau le plus fin , c’étoit avec
les traits les plus fubtils , qu’ils rendoient certaines
parties que , depuis la perfeétion du métier
, on exprime bien mieux par martes ou par
touches. Auui ne trouve-t-on dans Pline aucune
expreflion qui réponde à celle qu’emplovent les
Hiftoriens de fa r t moderne en Italie , lorfqu’ ils
appellent une barbe bien peinte unabellamac-
chia , (une belle tache). Jamais dans P lin e ,
on ne trouve aucun terme qui réponde à celui
de largeur de pinceau , de faire large , de
large exécution ; & lorfqu il loue des Peintres
pour avoir bien rendu les cheveux & les poils,
je ne fefois pas éloigné de croire qu’ il entend
que ces peintres rendoient toute la finefle des
cheveux, & que > d’un pinceau fu b til, ils en
v L I G
comotoient en quelque forte tous les poils. Les
contemporains d’Apelles étoient donc grands de
deffm & d’ expreflion, mais petits d’ exécution.
C’eft ce que prouve le terme de fept années
entières qu’employa Protogenes à faire un tableau
d’ une feule figure. I l eft vrai qu Apelles
lui rëprochoit ce fini exce ffif; mais les artiltes
tiennent toujours plus ou moins a leur fie c le ,
& tout ce qu’ ils peuvent fa ire , c’ eft d’ outrer
ce qui eft en ufage. Le fini exceflif de Protogenes
femble prouver qu’ un fini froid etoit d u-
fage de fon temps. I l fut enfin regardé comme
l’un des plus grands peintres de Ion fiècle : la
manière n’avoit donc rien dont on fût tres-
choqué.. 1 _
On admiroit encore les lignes d Apelles oc
de Protogenes du temps de Pline : faut-il en
conclure que , du temps de Pline , on faifoit
confifter dans l’ extrême finefle du pinceau le
plus, grand mérite de la peinture ? Je ne crois
pas cette conféquence néceflaire. Il luffit que ces
lignes euflent été admirées du temps d’Alexandre,
pour qu’ elles le fuflent encore du public du
temps de Vefpafien. Pline étoit du nombre des
admirateurs ,• mais on fait qu’ il n’étoit pas grand
connoifleur, & il pouvoit bien partager l’admiration
publique , fans favoir bien précifement
pourquoi il admiroit. C^étoit un amateur , &
les amateurs font fort fujets a fe pafler , en
quelque forte , l’admiration de main en main.
L ’O du Gioto n’étoit qu’un tour d’ adrefle ,
comme la ligne d’Apelles , 8c fi cet O exiftoit
■ encore, & qu’ il fût expoft dans une^ vente ,
je fuis sûr qu’il feroit pouffé a un très - haut
prix. Les connoiffeurs favent cependant aujourd’hui
ce qu’ ils doivent penfer de l’O du Gioto.
De Piles , dans fes Vies des peintres , a
changé les lignes d’Apelles & de Protogenes
en des contours fins & correéts : c’ eft altérer
l’Hiftoire ; c’ eft traveftir une hiftoire ancienne
par un coltume moderne. Pline feul nous a'
confervé le fait ; il l’ a expliqué clairement ;
c’ eft donc lui qu’ il faut fu iv re , 8c puifqu’ il eft
clair , il ne' faut pas l’ interpréter.^ En le permettant
d’altérer ainfi les anciens événemens,
on ne pourroit en tirer que de faux réfuliats.
Un ami de Voltaire alla le v o ir , & ne le
trouvant pas , il laifla quelques vers lur fon bureau
; voici la réponfe. que fit Voltaire :
On m’a conté , l’ on m’a menti peut-être,
Qu’Apelle un jour vint, entre cinq & fix ,
Confabuler fon cher ami Zeuxis,
E t , ne trouvant perfonne en fon taudis,
F it , fans billet, fa vifite connoître.
Sur un Tableau par Zeuxis commencé,
Un trait hardi fut favammenr tracé ;
Zeuxis connut fon maître & fon modèle.
Ne fuis Zeuxis; mais chez moi j’ai trouvé
Un trait ftappé par la main d’un Àpclle.
L I G 477
L’hiftoire eft changée , ce qui n’ eft pas une
faute dans un badinage poétique ; mais elle a la
vraifemblance qu’ exigent nos idées-aéluelles fur
l ’art. I l eft certain qu’ une touche favamment
prononcée fur un tableau , pourroit faire juger
qu’ elle eft de la main d’un grand maître. ( Art*,
de M . L evesq u e. )
L IGN E de beauté. Les anciens ont connu le
beau , & nous en ont laifle les plus parfaits
modèles. Raphaël & d’autres modernes fe font
montrés heureux imitateurs des anciens : mais
rien ne nous apprend que les artiftes de la
Grece aient cherché une certaine ligne, qui
fervît de démonftration au caractère de la beauté.
On ne nous dit pas que Raphaël ait trouvé
cette ligne , & l’ait démontrée à fes élèves.
Enfin , on ne trouve rien de cette ligne dans
les écrits de Léonard de V in c i , quoique cet
habile peintre foit entré dans de fort grands
détails lur fon art. On ne s’ en eft occupé que
dans le temps même où l’on commençoit à ,
s’éloigner de l’ imitation du beau ; & je ne '
crois pas que cette imagination frivole fût ca^
pable d’y ramener.
Je ne connois pas l’ouvrage de Parent qui
femble en avoir parlé le premier , 8c qui faifoit
confifter la beauté dans une ligne e lliptique,
ce qui ne me paroît pas en donner une idée
fort claire. Hogarth , fameux peintre anglois ,
que le genre dont il s’ oçcupoit, 8c que nous
appelions caricature , ne devoit pas familiarifer
avec la beauté, voulut cependant prouver que
la ligne de beauté étoit ondoyante , & il la
compara à la lettre S. En conféquence de fon
principe , il crut prouver que l’araignée ,
n’ayant rien d’ondoyant dans fes formes , ne
| pouvoit être belle. On auroit pu fe fervir de
fon principe même , pour lui répondre que l’araignée
eft belle , parce qu’ elle a dans les
formes quelque chofe d’ondoyant. M. Falcone t,
très-fupérieur à cette futile recherche , a fait
fentir en partant le ridicule de la ligne inventée
par Hogarth , pour exprimer la beauté , & a
tracé lui-même une ligne qui lui fembloit préférable
, 8c qui tend à la rondeur & au méplat.
On a aufli voulu trouver l’image de la beauté
dans la ligne flamboyante, c’eft-à- dire , dans
celle que décrit la flamme qui s’ élève. Mengs ,
à qui le tour de fon efprit faifoit aimer tout ce
qui avoit l ’air métaphyfique , a trop parlé dans
fes ouvrages de la ligne ferpentine , ce qui a
fouvent répandu de l’ obfcurité dans fes préceptes.
La ligne ferpentine répond à l’ S. de Ho-
gs *th s 8c l’ on ne voit pas ce qu’ elle a de commun
avec beauté, dont tous les mouvemens
doivent décrire les lignes les plus douces.
Ce qu’on peut établir de plus v r a i , c’ eft qu’ il
n’y a point de ligne de beauté, & que la beauté
fe forme de la fuccefîion 8c de l’accord d’ u»