*2 « P A Y des études de ce genre tout l’avantage qu’ elles
peuvent procurer, il faut fans trop accorder à
la mémoire, fe hâter de les colorer dès qu’on
en a la commodité.
Le payfagijle doit étudier la nature en toute
fajfon, parce qu’il n’ en eft aucune dont il ne
puiflè avoir beioin de repréfenter les effets.
De Piles a terminé fon article du payfage
par des obfervatiohs générales, dont la plupart
ne doivent pas être négligées.
» Plus les feuilles des arbres font près de la
» terre , plus elles font grandes & vertes ,
» parce qu’ elles font plus à portée de recevoir
» abondamment la fève qui les nourrit. Les
» branches fupérieures- commencent les pre-
» mières à prendre le roux ou le jaune qui
» les colore dans l’arrière faifon. I l n’ en eft
» pas de même des plantes dont les tiges fe
» renouvellent tous les an s , & . dont les feuil-
» les fe fuivent dans un intervalle de temps
» a (Te z peu coniidérable : la nature étant occupée
» à en produire de nouvelles pour garnir la
» tige à mefure qu’e lle s’élève , abandonne peu
» à peu celles qui font en bas , qui ayant
» accompli les premières leur temps & leur
» office , périffent aufli les premières. C’ eft un
» effet qui eft plus fenfible en certaines plan-
» tes , & moins dans d’autres.
» Le defTous de toutes les feuilles eff d’ un
» verd plus clair que le deffus & tire prefque
3» toujours fur l’argentin. Ainfi les feuilles qui
» font agitées d’ un grand v en t, doivent être
» diftinguées des autres par cette couleur. Si
» on les voit par defTous lorfqu’ elles font péné-
» trées de la lumière du fo le il, leur tranfparent
» offre un verd de la plus belle vivacité.
I l peut arriver qu’une même couleur régne
dans tout un pa yfag e, comme un même verd dans
le printemps , un même jaune dans l’ automne ,
ce qui donne au tableau l’apparence d’ un ca-
mayeu : mais on peut interrompre cette monotonie
en introduifant dans la compofition des
e au x , des fabriques, & c .
» L’arbre n’ a point de proportions arrêtées;
» une grande partie de fa beauté eonfifte dans
» le contraire de fes branches , dans la diftrî-
» bution inégale de fes touffes , enfin , dans
» une certaine bizarrerie qui femble un jeu
» de la nature. Ce jeu fera bien connu du
» peintre qui aura bien étudié le Titien & le
» Carrache. On peut d ire , à la louange du pre-
» mie r, qu’il a ^ frayé le chemin le plus fur ,
» puifqu’ il a fui'vi exactement la nature dans
» fa diverfité avec un goût exquis, un coloris
x> précieux & une imitation très fidelle. »
De Piles n’a point parlé d’ une obfervation
que le Titien a faite fur la 'nature, qu’il a
tranfportée dans l’art , & qui eft très utile à
Pharmonie. C’ eft que les tiges des arbres en
fbrtant de la terre en confervent quelque tentas
P A Y la couleur, & ne prennent celle qui leur eft
propre que par dégrés infenfibles & à mefure
qu’ elles s’éloignent du fol. Si les arbres s’élèvent
fur une terrafle , le pied de leur tige
eft blanchi par la pouflière de cette terrafle
même : s’ ils fortent d’un lieu femé de verdure ,
cette verdure enveloppe leur p ied , il en naît
dans leur écorce , ou du moins cette écorce en
reçoit les reflets. Si cet effet n’ eft pas conf-
tant, il fe préfente du moins aflbz fouvent dans
fa nature, pour que l’ artifte puifle le reproduire
toutes les fois qu’ il le juge agréable ou né-
ceflaire.
Ajoutons ici ce qu’on lit fur le p a y fa g e dans
Vidée du peintre pa rfait. » Comme ce genre de
» peinture contient en racourci tous les autres,
» le peintre qui l’ exerce doit avoir une con-
» noiflance universelle des parties de fon art ;
» fi ce n’eft pas dans un fi grand détail que
» ceux qui peignent ordinairement l’hifloire,
» dumoins fpéculativement & en général. S’il
» ne termine pas tous les objets en particulier
» qui eompofent fon tableau ou qui accompa-
» gnent fon p a y fag e , il eft obligé du moins
» d’en fpécifier vivement le goût & le carac-
» tère , & de donner d’ autant plus d’efprit à
» l’on ouvrage qu’il fera moins fini.
» Je ne prétends pas néanmoins exclure de
» ce talent i ’sxaéiitude du travail : au contrai-
» re , plus il fera recherché , & plus il fera
» précieux. Mais quelque terminé que foit un
» p a y fa g e , fi la comparaifon des objets ne les
» fait valoir , & ne conferve leur caraftère ,
» fi les fîtes n’yjfont pas bien choifis, ou n’y font
» pas fuppléés par une belle intelligence de clair“ » obfcuY, fi les touches n’y font pas fpirituelles,
» fi l’on ne rend pas les lieux animés par des
» gures , par des animaux , ou par d’autres
» objets qui font pour l’ ordinaire en mouve-
» ment, & fi l’on ne joint pas au bon goût de
» couleur & aux fenfations ordinaires la vé*
» rité & la naïveté de la nature, le tableau
» n’ aura jamais d’entrée ni dans l’ eftime ni
» dans le cabinet des véritables connoifleurs.
» I l faut , dit M. Cochin , en -étudiant le
» payfage , apporter de la réflexion & du rai-
» fonnement par rapport à fes formes. I l faut
» remarquer, dans chaque efpèce d’arbres
» comment les branches s’élèvent, fi elles naif-
» lent deux-à-deux ou fuccefïivement, qu’elle
» eft la forme de fes mafles ou bouquets ; en-
» fin la manière dont fe terminent fes extrê-
n mités. Par exemple , le bouquet du chêne
» forme comme une forte d’étoile élargie; ceux
» de l’orme font allongés & les extrémités s’é-
» chappent en baguettes ornées de petites
» feuilles ; le cyprès produit des bouquets à-
» peu - près quarrés-longs en hauteur ; le cedre
» fe termine comme des aigrettes , & c . Si le » peintre voyage , il doit remarques furtout
P E A
î> les efpèces d’ arbres pittorefques que l’on
» trouve rarement dans fon pays. Ainfi l’artifte
» François obfervera les pins, les cyprès qui ne.
». font pas communs en France. I l en obfer- j
» vera la couleur de diverfes diftances. De
».toutes ces chofes , il faut faire des notes
» avec des croquis pour s’ en pouvoir reflou-
» venir dans tous les temps & ne jamais fe
» fier à fa mémoire : les idées s’ effacent bien
» facilement, fi rien ne les fixe.
P E
P E A U ( fubftj féminin ) ce mot eft d’ufage
pour le deffin & la fculpture , & on d i t ,
les mouvement & les p lis de la peau fo n t bien
rendus......: ce n*eftpas ajfe\ d ’être fa v a n t deffinateur,
i l fa u t encore fa ir e fen tir la p e a u , & c .
La première de ces locutions feroit fufcep-
tîble d’ une longue difcufliom Nous allons
tâcher d’être concis , & de dire cependant
tout ce qui eft eflentiel fur cette matière. Les
artiftes n’ ont pas toujours étudié lés principes
qui doivent déterminer l’ emploi des détails
de la peau * ou leur exclufion, Delà font ve nues
des manières abfblues, qui dans les uns
ont produit des ouvrages pleins- de molefle ,
& dans les autres de la fécherefle & une ex -
srême dureté.
Cependant les artiftes antiques ont écrit
clairement cesj>rincipes dans ces chef-d’oeuvre's
qui nous ont été confervés ; & Tes bons ob-
fervateurs ont bien vu que ces anciens maîtres
n’ont pas introduit de détails dans les
ftatues de leurs divinités, ni dans celles qui
étoient deflinéesà.être placées à une aflez grande
diftance des fpe&ateurs.
Examinons d’ abord le motif de leur procédé
dans la repréfenration des figures divines.
On conviendra que les petites rides , les mou-
vemens fugitifs de la peau, toutes fes
inégalités accidentelles ou individuelles amoin-
driflent l’ expreflion des mufcles, feuls organes
des mouvemens du corps humain.
Les formes que donne la peau font accidentelles
quand elles naiflent ou de l ’abondance
des graifles ou de l ’ infiltration de la lymphe,
ou enfin de la lâcheté de la fibre qui fait
produire des plis dans la vieilïèffe y elles font
individuelles par les habitodes groflieres de nos
membres, ou par la qualitéépaifle , molle ou
dure de fon tiflu. Les formes des mufcles au
contraires font nécéflaires, parfaites & Invariables
dans l’état de perfection. Alors la peau
iv’ eft plus qu’une enveloppe douce, fin e , q u i,
fans matières intermédiaires, fuit toutes les formes
des mufcles & ne iaiffe échapper dé leur
netteté & de leurs aétions que ce qu’ils ont
$ e trop ctur dans leurs infertions & de trop
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roîde dans la figure des tendons qui les ter*
minent. La peau adoucit infiniment les imprefi*
fions des glandes,, des girofles veines & des
aponévrofés dont les détails n’offrent rien d’utile
aux mouvements , & qui n’ ayant rien de
fixe de ré fol u , produifent des partages incertains
, pauvres & fouVent même rebutâns.
Les Dieux repréfentés par l’ art dans les formes
convenables, ont dû être étudiés dans le
nature humaine prrfe au moment de fa: vigueur , -
& dans la beauté' corporelle que donne une
éducation aélive. Les ftatues antiques n’ y admettent
donc rien qui ne foit u tile , choifi &
diftirigué-, d’où eft venu le fty le qu’on nomme
fublimèi
Quant au motif qui .a pii déterminer les
anciens à ne mettre que les grandes mafles
des formes dans les figures éloignées de la
vue , il découle tout naturellement ; io , de
l’ effet de la vifion à laquelle les détails échappent
à une grande diftance': 2.0 , de ce que
les minuties amoliflent les formes, dé ce qu’ elles
nuifefit à leur unité, & de ce qu’ elles donnent
à l’ouvrage le caraftère de la foiblefle & de
l ’ indécifion.
Mais gardons nous de conclure à la vue
de ces figures exemptes des détails de la peau
que lçs anciens ignoroient l’art de les exprimer.
I l fuffîç pour nous convaincre de leur
excellence dans le rendu des rides & des plis,
de confidérer un certain nombre de leurs plus
belles têtes , la figurje de ;Seneque , & fur-
tout celle du Laôcoon pere où tous les partages
d’ujie peau agitée par le gonflement des v e ines
, la crifpation des mufcles cutanés, & la
contra&ion violente des tendons , fe fofit
fentir de la maniéré la plus légère , la plus
moëlleufe, & en même tems la plus précife.
D’ après les éclairciflemens auxquels ce fujct
intéreffant nous a conduits , il eft aifé de juget**
dans quels cas , & à quel degré on doit fa ir e
fen tir la peau , & cela me conduit à examiner
la fécondé nianiere d’ employer ce terme : fa ir e
trop fen tir la peau eft le défaut où tombe
l’ignorance de certains deffinateurs ou fculp-
teurs qui ne fachant pas lire fous la peau y
la caüfe des mouvemens, ne font affe&és que
des détails que préfente cette enve5oppe ; d’où
il réfulte , comme je l’ ai dit , un ouvrage
mou, dont le défaut ne peut être- jamais racheté
par la maniéré d’opérer la plus ragou-
tante , pour me fervir de l’expreflion confar-
crée à ce mérite d’exécution.
N e p a s fa ir e ajfe^ fen tir la peau , eft le
défaut de ces favans myologiftes , q u i, trop
confians an leurs connoiflances , ne copient
pas aflei la nature, fk n’opérent que d’après
le réfultat de leurs études anatomiques: Nous
les comparerons, dans un genre a la vérité
t-rès-fupérieur, à ces froids grammairiens cyj *