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deilein de blâmer les ouvrages & les motifs de la
rature , nous ne manquerions pas, iî nous en
étions les maîtres, de douer des perfe&ions extérieures
les plus parfaites -, les êtres deftinés à
montrer aux hommes avec le plus d’avantage
poffible , les perfe&icns morales que'les Rois , les
Héros & les Juges doivent faire pratiquer , en en
donnant l’exemple.
Il eft d’autres beautés de convenance qui tiennent
encore aux idées de la Pantomime • du
Théâtre 8ç de la Peinture. On rencontre fouvent
des hommes & des femmes dont l’enfemble .& le
caractère de phylionomie ont quelque .chofe de
diftingué qui frappe, & d’après le s idées accef-
foires du Théâtre & de la Peinture , dont on con-
ferve un fouvenir vague, on. regarde les hommes
ou les femmes dont je veux parler , comme doués^
de certaines beautés de convenance admifes relativement
à différentes fcènes de la vie & à certaines
circonftances qu’on le rappelle. Cettefemme,
dit-on , ferôit une belle Iphigénie , une belle
Cléopâtre.y elle a la beauté d'une Madelaïne ,
d'une B a c c h a n t e c e l l e qui conviendrait au
p la ijir 3 à la langueur, au délire des pajjîons.
Ceux à qui s’offrent ces idées nuancées de beauté,
fiippofent les hommes ou les femmés qui les oc-
cafîonnent, dans des fîtuations relatives au cari
ét .'re particulier qui les diflinguent ; ou bien
jouant des rôles empruntés des' fujets qu’on
traite fouvent au Théâtre ou dans les atteliers,
& ce font principalement les ouvrages des Poètes
& des Artiftes qui donnent & entretiennent ces
idées acceffoires.
Cependant elles peuvent appartenir plus immédiatement
au fentiment , & les împreflions
du coeur produifent ou font remarquer des
beautés qui, bien que momentannées | méritent,
à trop jufie titre,, ce nom , pour que nous les
pallions fous filence. Une affe&ion fiîbite de fen-
fîbilité, ainfi que la plupart des affeéHons d’humanité
portées à une grande éiéyaticn, toutes les
affections nobles & eftimables 8c toutes les vertus
bienfaifantes produifent des beautés qui leur font
propres, fur-tout lorfqu’ellés font pures & fans
mélange d’intérêts qui les altèrent. Elles embel-
liffent la laideur & font difparoître , ou du moins
oublier quelques momens les difformités ; mais
ces beautés, comme je viens de le dire, ne font
que pailàgères ; elles reflemblent à la lumière du
foleil qui difîipe un moment les ombres, ou qui
vient embellir d’un éclat fugitif un ciel chargé
de nuages.
Il me refie à parler des beautés particulières
de chaqùe partie du corps humain.
Ces beautés ne tiennent la plupart aujourd’hui
qu’a la Poèfie & à l’imagination : elles offrent
parmi nous peu de -règles fixes & confiantes ,
piufieurs femblent abfolument arbitraires. Cependant
j’offrirai quelques obfervations , â cet égard,
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que je rendrai les plus concifes & les plus claires
qu’il me fera poffible;
La' beauté eft , comme je l’ai dit dans les
commenceméns de cet article, fondée principalement
fur des- proportions, ainfi que fut des
dimenfions ; & ces proportions & ces dimenfions
font relatives à nos beïoins. Ces t-lémens, qui
contiennent aux principaux membres, peuvent
s’adapter plus généralement encore- à différentes
parties du corps fufceptibles de plus ou moins de
perfedion.
J e vais à cette occafîon remettre ici fous les
yeux quelques principes que j’ai préfentés dans
un ouvrage relatif à la Peinture *. L e foin & le
befoin de notre confèr-vation font le principal but
&. l’objet le plus effentiel de nos mouvemens ;
par-là fe trouve établi un rapport de notre con-,
formation avec une grande partie de nos aCtioris.
Les mouvemens les plus effentiels & le,s plus
ordinaires à l’homme, font ceux par lefquels il fe
tourne en tout fens, pour découvrir ce qu’il fou-
haite ou ce qu’il craint, par lefquels il s’élève
pour fkifîr quelque objet élevé il plie fon corps ,
pour s’approcher de ce. qui eft au-deflous de fa
portée ; il fe tient en équilibre pour reprendre fes
forces & fe fixer où il lui eft néceffaire qu’il foit,
par lefquels enfin il fait ufàge de fes facultés pour
attaquer ou pour fe défendre; & il fê tranfporte
d’un lieu à un autre, avec lenteur s’il eft tranquille,
& en précipitant fa marche s’il defire ou
s’il appréhende. Tous cês mouvemens font d’autant
plus faciles à exécuter par l’homme à qui ils
font nécelîaires , que fa conformation générale &
particulière, e’eft-à-dire, que les proportions &
le s dimenfions fe trouvent plus adaptées à toutes
ces fonClions , à toutes ces actions, à tous les mouvemens
qu’elles .comportent, & que cette conformation
fera plus développée & plus parfaite,
Auffi le terme de beauté n’a-t-il jamais une
expreffion plus frappante, que lorfqu’on l’applique
à la jeuneftè,. parce que c’eft l’âge dans lequel
l'homme atteint au développement parfait des proportions
& de l’enfemble qui le rendent le plus
convenable qu’il lui eft poffible de l’être, à toutes
les a&ions qui lui font propres.
Remarquez h. jeuneftè, au moment où elle-eft
prête à atteindre le dernier degré de développement
des proportions & de l ’enfemble : cette jeu-
nefte , parfaitement conformée , -dont les mouvemens
faciles font par conféquent agréables, &
dont les mouvemens prompts & adroits lui font
par-là plus utiles. Voilà ce qui renferme les véritables
idées de la beauté.
■ Mais s’il arrive que les a Citons & les mouvemens
naturels que j’ai détaillés ci-deflus deviennent,
* T iré des R é fle x io ns fur la Peinture qui fuivenç le
P oëm e “ae l’A r c de peindre.
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parm'i des honnîtes raflèmblés & civilifCs , moins
u fi tes; qu’ils ne devroient naturellement l’être ;
dès-lors l’idée qu’ils auront de la beauté ne fera .
plus fi intimement liée, à cette relation des proportions
des membres avec leur ufàge primitif.
O r , plus un peuple approche de la moleftè,
plus cette relation des proportions du corps avec
les mouvemens Amples diminue; parce que l’indu
ftriè perfeClionnée fiipplée à une infinité de mouvemens
, & fait que ces mouvemens font moins
néceftaires ou-moins répétés.
Dans cette Nation que je .fuppofè, il fe trouve
ra , je crois, entre les liabitans de la capitale
& ceux des campagnes un peu éloignées fur-tout,
une différence affez remarquable.
Certains défauts de conformation feront moins,
apperçus parmi les citoyens, que parmi les pay-
fans, parce que l’art de cacher ces défauts eft
établi chez les premiers., &que l’induftrie parvient
à les déguifèr.
Les mouvemens des payfàns feront plus fré-.
quemment relatifs à leur conformation , qui en
éprouvera quelques modifications.
Les habitans de la campagne fe fervent peu,
en général, du mot de beauté ; mais ..ils diftin-
guent très-bien , ils louent & ils eftiment. La
force,' la foupleffè, l’agileté, par conféquent
l’efpèce d’idée de beauté ou de perfe&ion qu’ils
ont , tient encore chez éux à la conformation
relative aux a&ions qui font propres aux hommes.
Enfin, fi dans la Capitale & chez un peuple
civilife, on porte des vêtemens qui né laiffent
pas appercevoir les proportions & les emboîte-
meps. des membres ; fi les lîabillemens des femmes
ne laiffent apparens que la- tête, une petite
portion du fe in, des bras & les extrémités des
pieds, ce mot beauté ne fignifiera bientôt plus
que la meilleure conformation de la tête , du fein-,
du bras^& du pied.
O r , tous les'effets dont je viens de parler-,
font ordinairement la fuite de l’induftrie très-
perfeâionnée, du luxe & des conventions par le
luxe ; & conféquemment ceqü’on. entend par la
beauté, en éprouve de relatifs.
Les exercices , les divertiiïèmens tels que la
çhaftè, la danfe, les jeux d’adreffe, entretiennent
les idées de perfedion, par rapport aux hommes,
fur-tout lorfque la moleftè ne les exclut pas.
Les fpedacles aideroient peut-être à les con-
ferver , fi la nature n’y étoit pas trop fouvent altérée
par i’dffeétation & quelquefois par les conventions
les plus folles.
L ’idée primitive-de la beauté £e perdra-t-el'le
donc totalement dans les nations civilifées f Non,
Les Arts la confervent.i
L a Sculpture 8c la Peinture ont fervi aux Grecs
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à étudier, à connoître & à fixer la beauté des.
corps *. Ils ont eu ces idées plus développées ,
plus fenties & par conféquent plus évidentes que
nous ne les ayons, à caufe des jeux , des combats
& des exercices qui offroient à leurs yeux très-
fréquemment le rapport des proportions des parties,
avec l’ufage de ce 5 parties.
Les Grecs, deftinés à jouir & à décider des
Arts j étoient inftruits à fentir & à juger, en
meme-tems que leurs Artiftes L’ étoient à choifir
& à imiter.
Leurs ftatues font devenues des règles : on les
a copiées , on les a multipliées : les métaux & les
ma'rbres nous les ont confervées. L a Peinture s’efl:
réglée fur ces modèles de vérité. Nos Artiftes les
comparent encore tous les jours à la nature dévoilée
dans leurs atteliers, & c’eft. ainfi que , par
le miniftère des Arts, la méditation & l’étude
réfléchie' rendent’ aux hommes l’image de la
beauté ; tandis que le luxe & la corruption des
moeurs leur en ôte , en quelque façon, la réalité.
Pour revenir aêlueliement fur nos pas , je
ferai obferver que les détails des parties ne peuvent
avoir .à leur tour de beauté reconnue qu’au-
fant que leurs proportions & leurs dimenfions fe
rapportent à leurs ufagës ; ce qui rend premièrement
raifofi de ce que piufieurs parties du corps
humain n’ont pas de beautés bien décidées, ou
ne femblent en avoir que d’arbitraires.
Chez les Nations dont le climat, les moeurs
& les ufàges permettent aux individus de fe
montrer plus découverts que nous ne le fommes %
toutes les parties devroient avoir une beauté plus
unîverfeilement convenue ; mais chez ces Nations,
fi elles ne font pas éclairées, les notions générales,
les connoiffances méditées, les obfervations,
les Arts, enfin , & une infinité d’idées accefloires
qui en dérivent, n’exiftent point ou font très-
imparfaits. La Grèce, à laquelle on eft: ramene
fans celfe en traitant dès Arts , offroit, comme
je l’ai d it, la nudité des corps , fînon dans l’ufàge
ordinaire, au moins dans des exercices , des jeux
& des fpedacles qui fe reproduisent fans ceftè.
Les exercices & les jeu x , mettoient en mouvement
aux yeux du Public les parties, -pour accomplir
le mieux poffible différentes aétioris , ils
donnoient lieu de comparer les proportions & les
dimenfions dans leurs rapports avec les füccès de
ces avions , auxquelles la perfeêfion de ces rapports
contribuoient,
Auffi les Grecs ont-ils établi, .non-feulement:
la beauté générale du corps humain, mais la
* L a Véritable P o ë fie , «elle qui e ft conforme à»la nature t
celle qui réunît l’admiration des différens fiècles , contrib ue,
ainfi que la Sculpture & la T e in tu re , à conferver les idées
fimples ôç pfimiçiYes,