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mais cette même lumière, vue la nuit , f&ns être
comparée avec aucune autre, répand une lumière
légèrement douce , & le centre du
principe lumineux eft lui-même, à nos yeux
trompés par le défaut de comparaifon, d’ une
teinte fort approchante du blanc. Auffi c’eft de
cette manière que l’ont rendu les peintres rai-
lonnables qui nous ont donné des fcènes de nuit
éclairées par des lumières que l’ on nomme artificielles.
Ils ont eu raifon , fans doute , puif-
que l’art confille à rendre la nature telle qu’ elle
paroît à nos organes, & non telle qu’ elle eft
réellement.
Si l’on voit des tableaux de ce g enre , dont
la teinte générale foit rouge ; on peut être
afluré qu’elle a été imitée fur le n a tu r e lp a r
un peintre qu’ a trompé la comparaifon de la
couleur propre du jour, au milieu duquel il
faifoit fou tableau, '
C’eft pendant la nuit qu’il faut concevoir
les rablçaux çle n u it, en bien faifir l’effet, &
le pofféder au point de le rendre fans avoir fon
modèle devant les yeux.
L’ effet des flambeaux, des bougies 8c d’autres
feux exige tous les brillans de notre palette.
Hélas i pourront-ils encore fuffire à rendre l’éclat
de la nature ? Cependant nos efforts l’atteindront
plutôt que les lumières d’ un beau jour ,
auprès duquel un peintre, accoutumé à la comparaifon
, ne trouve dans fes couleurs que des
teintes lourdes , & infuffifantes même pour bien
apprécier le moindre degré d’ éclat que produi-
fent les lumières qui nous éclairent la nuit;
le peintre obfervateur étudie l’ effet des objets
dans les ombres, & juge par la foibleffe des
reflets qu’ ils reçoivent que le principe lumineux
n’a lui-même que peu de force.
Cette obfervation nous amène à une différence
de principes dans la fcience du clair-obfcur :
elle diftingue ceux qui appartiennent à un
tableau de nuit, & ceux qui doivent être ob-
fervés „dans une fcène éclairée d’ un beau jour :
dans ce dernier inftant, les ombres du devant
font les plus reflettées ; les formes & même
les couleurs s’y diftinguent le mieux : au lieu
que dans l ’autre, tout eft nuit même fur les
premiers plans, dans les parties qui ne reçoivent
pas les rayons direâs de la lumière ;
de -là , la difficulté de multiplier les plans, &
4e jremÿre une grande profondeur.
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Nous avons, cité dans l’article myfière, quelü
ques ouvrages où les effets de la lumière des
flambeaux font rendus avec intérêts : mais ici
ce font des, vaftes fcènes de nuit , où les
grands maîtres ont développé leur fciençe 8c
leur goût qu’ il faut apporter en exemple, fans
parler de, Vander-Néer, & de plufieurs’ autres
Flamans ou Hollandois qui ont poflédé la fcience
de .ces effets : c’eft le magnifique & im-
menfe tableau , où l’on voit la garde Hol-
landoife faifant la patrouille pendant la nuit
dans Amfterdam, ouvrage-renommé, & capital
de Rembrandt ; c’ eft le tableau de Rubens où Marie
Medicis profite des ténèbres pour fuivre à
la lumière des flambeaux le Duc d’Epernon , fon
libérateur, lorfqu’elle le fauve de fa prifon à
Blois : c’ eft cette tempête unie aux horreurs
de la nuit , où Paris Bordone a fçu mettre
un fi. grand intérêt dans le tableau qu’il a fait
à VénMe , pour l’Ecole faint Marc ; ce font
enfin les produélions des BafTan, des Claude
Lorrain, des Valentin & de tous les grands
maîtres, dans lefquelles on peut voir les
étonnans effets dont les lumières de la nuit
font fufceptibles, quand le favoir, & l’art du
coloris fe réunifient à l’ intérêt du fujet, & aux
élans d’ une imagination vraiement poè’tique.
Nous n’avons pas à craindre, fans doute , que
nos lecteurs confondent les peintres qui ont
tiré parti de leurs connoiffances dans les effets
des diverfes lumières qui éclairent les nuits
pour en faire des ouvrages dignes des fuffrages
de la poftérité, avec ces petits efprits qui n’ont
fait fervir le piquant desftâumières au milieu
des ténèbres, que pour donner quelque intérêt
à leurs tableaux, privés d’ailleurs de n e r f, de
grâces & de génie. Ces effets n’ont été pour
les peintres de cette dernière claffe qu’ une rèf-
fource pour cacher fous les ombres la foibleffe
de leur talent dans toutes fes parties de l’art :
aufîi le véritable appréciateur du mérite ne leur
accordera qu’une très-foible eftime : & cela
nous rappelle un mo: fpirituel de notre fameux
Jouvenet. On lui demanda, au fortir d’une
Affemblée de l’Académie de Peinture , ce qui
s’y étoit paffé; (o n avoit reçu un peintre fur
un tableau fo ib le , repréfentant une femme en
bufte, tenant une lumière pendant la nuit.)
« Nous venons, d it-il, de recevoir un Aca-
» démicien pour un bout de chandélle, ( A f -
# ticle de M. R o b in . ) »
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O du Giotto. « C’eft une de ces fortes d’ hif- | » toires qui ne fignifient pas grand chofe, &
>» dont cependant les auteurs font quelquefois
» grand bruit. Vous fâurez donc que l’ envoyé du
» pape ( Benoît IX ) ayant vu à Sienne & à Flo-
» rence tous les peintres les plus fameux, s’ adreffa
» enfin auGiotto ( pour les ouvrages dont le pon-
» tife avoit deffein d’orner l’églife de faint
»P ie r re ) . Après lui avoir témoigné l’intention
» du pape, il lui demanda quelques deffins pour
» les lui montrer, avec ceux qu’il avoit déjà des
» autres peintres. Giotto, qui étoit extrêmement
» adroit à deffmer, fe fit donner auffitôt du papier,
» & avec un pinceau, fans le fecours d’ aucun autre
» infiniment, il traça un c ercle , & en fouriant
» il le mit entre les mains de ce gentilhomme.
» Ces envoyé , croyant qu’ il fe moquôit, lui ré-
» partit que ce n’étoitpas ce qu’ il demandoit, &
» qu’ il fouhaitoit un autre deffin. Mais Giotto ,
» lui répliqua que celui-la fuffifoit, qu’il 1 en—
» voyât hardiment avec ceux des autres peintres,
» & que le pape en connoîtroit bien la diffé-
» rence : ce que le gentilhomme fit , voyant
» qu’ il ne pouvoit rien obtenir davantage
» 0 r on dit que ce cercle étoit fi également
» tracé & fi parfait dans fa figu re , qu’ il parut
» une chofo admirable quand on fut de quelle
» forte il avoit été fa it, & ce fut par-la que
» le pape & ceux do fa cour comprirent affez
» combien Giotto étoit plus habile que tous
» le s autres peintres dont on lui envoyoit les
» deffins. Voilà l’hiftoire de VO du Giotto,
» qui donna lieu auffi-tôt à ce proverbe
« Tu fe ip ià tondo cheVOdi Giotto, pourfigni-
» fier un homme groffier & un efprit qui n’eft
» pas fort fubtil.
» I l femble par-là que le plus grand favoir
» de tous ce$ anciens peintres exiftât dans la ||
»Subtilité & la délicateffe de leurs traité; car
» ce fut par des lignes très fubtiles & très
» déliées, qu’Apeïle & Protogène difputèrent 7) à qui l’ emporterait l’ un fur l’autre, & Proto-
» gène né céda à Apelle que quand celui-ci
» eut coupé avec une troifième ligne plus déli-
» cate les deux qu’ ils avoient déjà tracées l’une
»Sur l’ autre. À vous dire le v r a i, ni VO
» du Giotto , pi ces lignes d’ A pelle & de
Protogène ‘ne; font point capables de nous
» donner une haute idée de leur favoir. ( Fe-
libien. ) lA l '■ ‘
Qn reconnoît, dans le pa.ffage que nous
p e*ux-A&s. Tome I ,
venons de c ite r , le langage d’ un homme qus
connoît les arts, & qui ne rapporte pas avec
admiration ce qui n’ eft admirable qu’ aux yeux
de l ’ ignorance. Tout ce que prouve le c erde
tracé fans compas par le Giotto, c’ eft qu’ il
avoit la main très fû re , 8c qu’il pouvoit tracer
un beau contour avec fermeté s’ il avoit ce beau,
contour dans la tê te , ou s’ il (avoit le choifir
dans la nature: il reftoit donc a favoir, &
c’étoit le principal, s’ il avoit la tete ainfi meublée
& Vil étoit capable d’un pareil choix ; à
ces conditions , la fermeté de fa main dëvenoit
une qualité eftimable. L’Officier du pape raifon-
noit donc mieux que ce pontife & toute fa
cour, quand il demandoit au peintre un autre
deffin.
Quand le Pouffin traçoitd’unemain tremblante
le beau tableau du déluge; quand Jouvenet
paralytique peignoit de la main gauche fon
Magnificat, ni l’ un ni l’ autre de ces artiftes
n’auroic tracé un cercle fans compas, & tous
deux firent des ouvrages bien lupérieurs à
ceux du Giotto. l’ Adreffe de la main peut
aider un artifte , mais le véritable principe de
fon talent eft dans fon efprit. C’ eft abbaiffer
les arts, c’ eft n’en avoir pas lefentiment, que
d’élever trop haut la partie purement manuelle'.
( L. )
OBJET ( fubft. mafe. ) Ce mot lignifie la
fin qu’on fe propofe. Dans ce- fens, le premier
objet des arts qui tiennent au deffin eft d’ int-
truire en plaifant à l’efprit parle fens de la vue.
Cet objet important eft fouvent offert au
preînier des genres, celui de. l ’hiftoire. Une
a&ion noble, grande, vertueufe, mife fous les
veux des ” fpeélateurs, peut les engager à
l’ imiter. Cet Objet n’ eft pas même étranger à
des genres inférieurs. Un payfage bien représenté
peut infpirer ces goûts fimples & purs que
'‘ fait naître l’afped d e là campagne; le portrait
d’ un homme qui s’ eft rendu précieux par fes
talens, fes vertus, excite à marcher fur fes
traces.
l’ Art donne guffi des inftru&ions qui no
font pas morales, mais dont on ne peut contefter
l’utilité. I l fait connoître des lieux , des animaux,
des végétaux qu’on n’ eft point à portée
de voir. I l fert. ainfi le guerrier , l’ architeéle,
l ’anatomiftej l’érudit, le naturalifte.
Souvent, il en faut ç^ayenir, l’art n’ a d’autre
Ç c c e