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c’eft connoître le devoir de l’àrtifte. qui fait qu’ il {
y a, même dans l’arc de faire le portrait, quelque j
chofe d’ idéal.
L’ouvrier en peinture de portraits qui charge
toutes les formes défeétueul'es de l’or ig ina l,
8c le fait reconnoître de loin à fes défauts , eft
ce qu’ on appelle fouvent dans le monde un
peintre qui ne flatte pas & qui attrappe les ref-
lbmblances : aux yeux des vrais connoifleurs,
fes ouvrages ne reflemblent réellement à rien.
( A rticle de M . L ev e sq u e . )
F L E U R S ( fubft. fém. plur. ) peindre les
fleurs , c’eft entreprendre d’ imiter l’ un des plus
agréables ouvrages de la nature. Elles femblent
créées pour charmer tous les yeux •, mais c’eft
au peintre fur-tout qu’ il appartient de rendre
le plus digne hommage à leurs beautés. Dans
le s autres objets qui font offerts aux regards
de l’ artifte , les teintes femblent moins pures,
les gradations moins fenfibles , les nuances plus
confondues ,• les tons moins précieux. On ne
peut guère comparer aux couleurs brillantes &
variées desfleurs , que l’émail nuancé dont brillent
certains oileaux , certains papillons qu’on
pourroit appeiler des fleurs animées, comme on
pourrait nommer un parterre de fleurs la palette
de la nature.
Que cette palette a d’avantages fur celle du
peintre ! Les teintes n’y font point arrangées
dans une gradation méthodique ; il n’eft point
pour les fleurs de couleurs ennemies. Toutes
croiflent enfemble fans fe nuire & s’approchent
fans fe craindre. Le défbrdre même leur fie d ,
& l’artifte qui les confidère avec étonnement,
reconnoît combien l ’art a befoin de fecours ,
de méditation & d’eftorts pour approcher des
beautés qui ne coûtent rien à la nature.
Cependant il s’ encourage à un combat inégal
, 8c les pinceaux à la main , il ofe entreprendre
d’imiter des perfections qui l’attachent
encore plus qu’elles ne l’intimident. Amant de
la beauté des fleurs , fa vive mais innocente
paffion lui fait efpérer de rendre durables des
charmes condamnés , comme tant d’autres , à ne
briller quelques inftans, que pour fe flétrir &
difparoître.
L’ artiftè entreprendra fans gloire cette conquête
fur le temps & la deftru&ion , s’il ne joint
pas à l’ intelligence de fon a r t ,_ à la délicatefle
du g oû t, la perfeétion du fa ir e le plus délicat. '
I l faut fur-tout qu’ il pafle la plus grande partie j
de fa vie à s’occuper de fes modèles;, mais plus
heureux que la plupart des autres imitateurs , '
i l ne trouve dans cette contemplation que des .
perfeétions différentes entr’ e lle s , 8c toujours il
trouve la grâce 8c la beauté.
Quel, genre de pe'-nture jouit d’un tel avanta
g e ’ L’hiftoire eft un mélange de faits dans
îefquejs les vices 8c les malheurs l’ emportent
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fur le bonheur & la vertu. La nature champêtre
offre plus de rochers & de fîtes incultes que de
vallons fertiles & de payfages arcadiens. V er -
net , dans fes rians tableaux , a plus fouvent
attaché fon imagination à des tempêtes qu’à des
calmes, à des naufrages qu’ à des navigations
heureufes. Les batailles font bien plus e xclu-
fivement encore les images de la barbarie ; &
l’étude du portrait ne préfente que rarement
pour jnodeles à ceux qui s’ y confacrent ces
grâces ingénues que l ’on compare aux fleu r s, 8c
qui font délicates 8c. touchantes comme elles.
Que les peintres à qui ce genre eft deftiné
fe félicitent de leur partage -, mais ce choix
d’occupation convient-il à tous ? On peut en
douter, parce qu’il ne permet pas de médiocres
fuccès. Lorfqu’on s’engage à peindre un des
chefs-d’ceuvres de la nature, on n’a pas imité *
fi l’ image n’ eft parfaite. 1 1 n’ eft point d’d-peu-
prês pour là grâce ; ce qui n’eft, pas elle , n*lft
rien.
I l ne fuffit pas de vouloir peindre 1 es fle u r s ;
il faut être appelle à ce*talent par des difpofi-
tions artielles | je dirai même par des qualités
morales q u i, fans être ablblument indif-
penfables , paroiflent au moins avoir favorifé
ceux des artiftes de ce genre qui les ontpofle-
dees. En effet leur hiftoire ou leurs ouvrages
font penfer qu’au coup-d’oeil le plus jufte qui
les rendoit deflinateurs précis & bons colorifres,
à la patience infatigable des détails , à la propreté
dans le travail qui conduit à la perfe&ion
du fa ire , dévoient être unis en eux une douceur
de caraétère, une ferénité d’ame 8c une
: égalité d’ humeur propre à rendre la précifion
toujours la même , la couleur toujours pure, la
j touche également, sûre 8c légère; C’ eft ainfi
qu’étoient doués, fans doute, les Séghers, les
Vérendael, les Mignon , & ce Raepel qui par-
tageoit fa vie entre le plaifir de contempler les
fleurs de fon jardin & celui de les peindre ,
8c ce Van-Huyfum que j’ai eu le plaifir de voir
& de connoître aux derniers termes d’une vieil-
lefle prolongée , cultivant encore fon talent &
confervant toujours le calme de fon ame & la
fraîcheur de fon coloris. C’ eft ainfi que marche
fur fes pas un artifte qui , naturalifé dans notre
école , ne nous permettra , dans fon genre , de
rien envier à la Hollande.
J ’aùrois dû ne pas oublier fans doute la célèbre
Mérian , & je pourrais lui comparer encore
une émule q u i , dans une claffe plus dif»
tinguée-, entraînée par un penchant auffi v if ,
douée de talens & de grâces, paffe les plus doux
inftans de fa vie ""à cultiver des rofes pour les
peindre , & à chérir un art qu’ elle fait aimer.
Après avoir parlé des artiftes -, il eft nécef-
faire d’ entrer dans quelques détails qui conviennent
à ceux qui veulent les imiter.
Lorfque les fient s, étsoient regardées comme
des
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des objets absolument inanimés, 6n pouyoit fé
contenter, en les peignant , d une imitation
froide de leurs formes & de leurs couleurs.
Mais aujourd’hui que ceux qui les obfervent
ont furpris en elles des impreflions prefqu’ in-
télligentes ; aujourd’hui qu’on en voit quelques-
unes fuir avec une forte de pudeur la main in-
diferette qui fe hafarde à les toucher, d’autres
fè pencher pour s’ imbiber des particules de l’air,
ou faire briller leurs charmes à l’éclat du jo u r,
ouvrir les beautés de leur fein a la lumière , ■
les refermer triftement quand elle les abandonne
, 8c charmef par le fommeil l’ennui de fon
abfence -, prefque toutes enfin s’unir par des
relations fympathiques, & n’ être pas étrangères
à quelques-unes des fenfations que la nature
accorde aux animaux -: 1 es fleurs exigent que
les imitations qu’on en fait donnent une idée
de mouvement, on oferait prefque diref d’ une
impreflion relative aux circonftances qui les
modifient.
Au re fte , Limitation des fleurs peut être
conlidérée fous deux afpeéis ; fous l’ un elle eft
étendue 8c appropriée à l’art : pris dans fon fy f-
tême le plus général ; fous l’autre elle fe renferme
en elle-même fans fe mêler avec celle
d’aucun objet étranger. Le premier genre d’ imitation
convient aux peintres d’hiftoire lorfqu’ ils
introduifent des fleurs dans leurs tableaux , 8c
le fécond aux peintres de fleurs proprement
dits..
Une manière la rg e, & plus fpirituelle que
rendue, peut rappeller l’ idée des fleurs fans
, faire d’elles un portrait détaillé & terminé. C’ eft
ce procédé qui convient au peintre d’hiftoire
8c qu’il doit fuivre , pour que la manière dont
il traite les fleurs fe rapproche de celle dont il
a traité les autres objets de fa compofition. Ce
principe eft fondé fur celui de l’unité , 8c fur
1-es convenances réciproques du fa ir e des différons
objets dans un même tableau. On doit
voir que tout y eft traité d’une même main ,
pour un même objet, & dans un même principe.
Des parties peintes avec les détails recherchés
de Gérard Do^y, ou telles que les
traite ordinairement le peintre de portrait,
manqueraient auffi bien ae convenance dans
un tableau d’hiftoire généralement peint d’ une
manière la rg e , que des fleurs 8c des fruits qui
y* feraient repréfemés avec le terminé précieux
de Van-Huyfum. Le principe d’ unité exige
dans ce genre qu’ un intérêt fentimental foie
l’objet prédominant auquel tout autre ■ objet le
rapporte & eft ftibordoriné. Comme.il ne ferait
pas poffible de rendre avec le détail & la précifion
que conviennent au peintre de fleurs tous
les objets qui doit offrir une grande çompofi-
t io n -, il faut que feux q u i, te prêtant à une
étude fixe 8c tranquille, feraient fùfceptîMes
d’ être rendus avec le fini le plu« précieux , fe
M tm x-A n s. Jome /,
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faerifient pour ainfi dire , 8c fe dévouent à n’ etre
que rappelles à l’ imagination , fans que leur
perfedipn particulière, l’ emporte.fur les objets,
de qui dépend l’intérêt principal. Ainfi le Pouf-
fm , dans fon tableau de l’ empire de F lo r e ,
ne s?eft pas avifé' de rendre les fleurs dans la
maitière de Seghers.
Cette partie du fyftême de l’a r t , connue &
féntie par tous ceux qui le pratiquent avec fu-
périorité 8c même feulement avec intelligence ,
eft une de belles qu’ il eft Je plus difficile da
faire comprendre aux perfonnes qui n’ont que
des connoiffances fupefficielles de la peinture.
I l eft cependant un moyen de la mettre a portée
de ceux qui ont du moins quelque connoiflance
des autres arts , 8c c’ eft en de femblables occa-
fions qu’il eft utile de les rapprocher. Qu’on
fe rappelle en effet quelquesr-unes des obferva-
tions que j’ ai prëfentées à l ’article A ccessoi res »
on fentira que , dans un poème , la defeription
extrêmement foignée & curieufement détaillée
d’un objet particulier peut paffer pour* un défaut,
ou du moins pour une inconvenance,
parce qu’elle arrête l’aCtion, où qu’ elle détourne
l’intérêt. Dans la mufique, lorfqu’ un
a i r , quelque parfait qu’ il fo it, n’appartient
qu’épjfodiquement au fond du fu je t, il eft re-,
garde comme un ornement ambitieux, 8c comme
un véritable défaut, s’ il attire trop exclufive-
ment l’attention & s’ il la détourne trop longtemps
de l’ objet principal. Dans l’architeéture ,
un frife trop ornée , quoiqu’exécutée avec toute
l’adreflë dont l’ art eft capable, déplaît fi elle
n’eft pas fubordonnée à l’ intention du mouvement,
8c au caractère général de l ’édifice cü
elle eft placée. Une des premières loix du goût y,
eft donc de bien décider la place que doit
occuper chacun des objets d’ une compofition
de les accorder, entr’eu^c dans la manière de
les traiter, 8c de fubordonner ceux qui doivent
naturellement céder à l’ objet qui doit tenir le
premier rang.
Quant au fpeélateur qui ne veut enrrer dans
aucune connoiflance rationnée de l’a r t , fi, par
exemple, dans un tableau d’Europe enlevée par
Jupiter caché fous la forma d’un taureau qu’ elle
a paré de. fleu r s , il ne s'attache qu’à defirer que
les rofes aient toute la fraîcheur qui leur eft
propre, que chaque feuille en foit rendue 2 vec
la plus fcrupuleufe précifion, &: que même elle
foit encore hume&ée par quelques gouttes de
rofée, que fervira de lu i parler d’intérêt, d*uniî-_^
té , d’ enfemble ? I l reviendra toujours à fa rofe,
: comme le moucheron pour tyui elle eft tout
dans l ’univers.
Je ne prétends pas cependant lui ôter ce bonheur
, je veux feulement qu’ ij en jouifle d’una-
manière plus convenable. C’ eft pour lui principalement
q.uatravaille le peintre aimable qui fai*
Q A