
où le fite foit au moins indiqué , où l’on recon-
noiffe déjà l’ effet général de la lumière large ou
refferrée, où les principales figures l’oient au
moins convenablement placées. Quand on fera
ainfi parvenu à le rendre compte de tout fon
l'a j e t , de les convenances , de fes acceffoires ,
on fera une dernière efquiffe qu’ on pourra regarder
comme le modèle du tableau projetté , &
qui femblera ne devoir fubir d’autres change-
mens que ceux qu’indiquera l’étude de la nature
pour chaque figure & pour les draperies.
De grands peintres , entre lefquels on compte
le Poulfin & Paul Veronèfe, modeloient en cire
les figures de leur fu je t, les grouppoient convenablement,,
& tournant enfuite autour de
cette compojîtion en r e lie f , ils en choififfoient
l’ afpeét le plus pittorefque. Cette méthode eft
encore utile pour établir avec certitude les
ombres & la lumière , pour s’aflurer que , dans
le tableau, tout fera conforme à la nature.
I l eft inutile d’avertir qu’ un feul fujet doit
être repréfenté dans un feul tableau. Aucun
peintre h ’ imitera fans doute Paul Véronèfe qui,
dans la partie droite d’ un de fes tableaux, a
repréfenté Jéfus-Chrift béniffant l’ eau dont il
va être baptifé par Saint-Jean, & dans la partie
gauche , Jéfus-Chrift tenté par le diable. Il faut
tans doute rejetter le ridicule de cette compojîtio
n fur ceux qui la demandèrent au peintre
de Vérone. On trouve aufli des exemples de du-
licité , & même de triplicité de fujets dans des
as-reliefs antiques. I l fa u t , pour que le fujet
foit tellement u n , que tout y appartienne , &
fi le peintre fe permet quelques épifodes, il faut
du moins qu’ ils y foient lie s , & qu’on recon-
noiffe, fi on les en détachoit, qu’ ils ne font
pas un tableau, mais feulement une partie fubor-
donnée d’ un tableau. Boileau a dit en critiquant
une tragédie de Quinaut : chaque acte en f a pièce
eft une pièce entière► On ne critiquerait pas
moins juftement un tableau dont chaque grouppe
ferait un tableau entier. Le Poufiin paraît avoir
mérité ce reproche dans fon tableau de la gué-
rifon du paralytique : le grouppe repréfentant
un vieillard qui donne l’ aumône a une femme,
eft entièrement étranger au fuje t, n’y eft aucunement
lié & n’ y fait pas même la plus légère
attention. On peut l’ en détacher & ce fera un
tableau entier. On a fait la même critique de
la célèbre transfiguration de Raphaël. La partie
fupérieure du tableau, & fa partie inférieure,
font deux fujets & deux tableaux diftërens ;
mais ce défaut eft bien compenfé par 1?extrême
beauté du tableau inférieur.
On ne peut donner un principe général fur l a ,
la place que doit occuper le principal grouppe ,
]a principale figure-, mais quelque place, que
l ’artifte juge à propos de lui donner, tout doit
rendre vers cette figure, tout doit y rappeller -,
l ’effet général, dont elle eft la caiife 8ç l’ob je t,
toutes lés parties enfin de l’ enfemble. Te lle eft
la feule loi rigoureufement obligatoire de la
compojîtion pittorefque. Si rien n’engage à
prendre un autre parti, la figure-principale doit
être au centre & plus élevée que les figures fu~
bordonnées qui l’ environnent. Ce n’ eft point
une rè g le , mais une convenance fujette à des
exceptions. Si un-peintre avoit à repréfenter, un
roi charitable , qui s’ incline pour panfer lui-
même un malade, pourroit-on le condamner
parce que fa figure principale ferait la moins
élevée de fa compojîtion , lorfque d’ailleurs tout
rappellerait à cette figure. Jéfus-Chrift ayant
un genou en terre & le corps incliné pour laver
les pieds des apôtres , ou pour écrire fur le
fable , eft toujours la principale figure , quoique
les autres fuient plus élevées & plus développées.
On n’établira ni le nombre de grouppes qui
doivent entrer dans un tableau , ni le nombre
défigurés qui doivent compofer chaque groüppe.
I l fuffira de dire que les différons grouppes
doivent être variés entr’ eux dans leurs formes,
dans leurs mouvemens, & même en général
dans le nombre des figures , parce que la nature
elle - même donne ordinairement l’exemple de
cette variété, & parce que l’artifte marquerait
peu de reffources s’ il étoit réduit à fe répéter
dans le même quadre. *
I l y apourles grouppes des préceptes d’école ,
qu’il faut connoître fans les recevoir comme
des loix. Ces règles ont leur mérite & leurs
avantages-, mais elles n’ont pas le droit d’ affer-
vir le génie , & doivent céder fouvent à d’%utres
convenances. « Un des principaux objets de la
» liaifon des grouppes , dit M. Dandré Bar don ,
» eft de conduire l’oeil du fpeélateur fur le héros
n du fujet. I l convient que’ cette opération fe
» faffe par une marche diagonale -, les procédés
» par lignes horizontales ou parallèles à la b or?-
» dure du tableau , produifent rarement des af-
». peéls pittorefques ».
On fent que cette marche diagonale, qui
conduit à la principale figure, tend à donner
à toute l’ordonnance pittorefque une forme pyramidale
qu’on a grand foin aufli de recommander
, & qu’on n’ eft pas non plus étroitement
aftreint d’obferv.er. Ajoutons qu’on doit la dégu
ifer même à l’inftant où o* l’obferve , enforte
que l’ordonnance ne devienne pas une pyra-
myde parfaite , & q u e l’ art dilïimulé femble un
effet de la nature.
En général on doit éviter que chaque grouppe,
ou le total de la çompojition décrive une figure
régulière, & trace une ligne horizontale ou perr
pendiculaifement au-deffus. d’ une autre -, que les
figures, les jambes , les. bras décrivent des
lignes parallèles * que la diftance foit parfaitement
égale entre les differentes figures ou entre
leurs p a r t ie s . que les membres femblaMes fe
trpuyent dans une . même pofition, ou préfeiuent
les mêmes raccourcis. I l faut chercher autant
qii’il eft poflible à faire paraître les belles parties
du corps. Si la compojîtion générale décrit un
demi-cercle , ou concave ,o u convexe , elle fe
développe mieux à l’oeil du fpeélateur , que fi
elle étoit tracée fur une ligne droite.
Ecoutons encore le profefleur que nous avons
déjà cité. «Un beau grouppe, ce font fes termes,
» doit reflembler à une grappe de raifin. I l eft
» la collection de plufieurs parties réunies par
» des liens pittorefques qui ne forment qu’un
» feul tout. I l doit avoir 1 a chaîne , c’ eft-à-dire,
» des objets qui s“échappent avec adreffe de la
» maffe du grouppe, oc fervent à le lier avec
» les grouppes voifins , ou avec d’autres figures
» qui l’agrandiffent. Tous les grouppes doivent
» avoir leur foutien; on nomme ainfi les grouppes
» fubordonnés qui font la balance , la pondéra-
» tion > l’ équilibre du tout enfemble, & qui
» concourent à faire valoir le grouppe ca-
» pital ».
I l faut convenir qu’ excepté le grand principe
de l’unité de fujet & d’ intérêt, toutes les règles
de compojîtion ne font que des confeils qu’il eft
bon de le rappeller fouvent, mais qu’on ne
s’aftreint pas à fuivre toujours. L’un des quatre
tableaux de Rubens, qui repréfentent la chère
des anges rebelles , n’offre ni une figure pyramidale
, ni une grappe de raifin. L’ enfemble
général donnerait plutôt l’ idée d’ un paquet d’ in-
teftins retenus au fommet par un lien invifible -,
c’ eft une des plus fougueufes conceptions du génie
pittorefque. I l y ade très-belles compojîtions
lur une ligne droite -, d’autres qui décrivent un
croiflant, enforte que les deux côtés de l’ordonnance
font beaucoup plus élevés que le centre -,
d’autres encore qui manquent d’équilibre & ne
chargent qu’ un des côtés du tableau.
Des figures nobles doivent être noblement
drappées : cela ne fignifie pas qu’ elles doivent
être richement vêtues. Les définis des riches
étoffes, l’éclat de l’or & des pierres précieufes
arrêtent trop l’ attention des fpeélateurs , qui
alors, comme dans la fociété , rifquent de faire'
moins d’attention aux perfonnes qu’aux habits.
Si le peintre d’hiftoire multiplie les ornémens
& les parures , pour montrer fon talent à repré-
fentej: ces objets , il devient peintre de genre.
Les fujets.de i’ hiftoire ancienne ne permettent
pas l’ emploi des riches étoffes, à moins que la
ïcène ne fe oalfe dans une Cour Afiatique : encore
voyons-nous que le-Poufiin a répandu dans
fon tableau d’Efther devant Afliiérus une ri-
chefîe bien différente de celle des étoffes.
Un précepte utile ferait de n’admettre dans
un tableau que .les grouppes qui font effentiel-
lement nécefiaues ay fu je t, & qu’autant de
grouppes qu’ il en faut pour concourir à l’ effet
de l’aétion. Je crois que le peintre qui fe diftin-
gueroit par une exquife pureté de defim, par
l’ exacHtude de l’ expreflion , & qui approcherait
le plus qu’ il eft poflible de la beauté , ne de-
vroitpas multiplier dansfes tableaux les grouppe«
& les figures. Comme fes figures nous attacheraient
fortement, il devrait nous 1 ailler le
moyen de favourer notre jouiffance en ne la
partageant que fur un petit nombre d’objets. S’ il
les multiplioit, fon art l’obligerait à en facri-
fier une partie pour n’ appeller le fpeélateur qu’au
principal grouppe , à la principale figure , & il
ne pourrait faire aucun facrifice fans nous ml-
pirer des regrets.
« La beauté étoit en fi grande eftime chez les
»anciens Grecs, dit Raphaël Mengs , qu’ ils ne
» regardoient comme digne d’être imité que ce
» que la nature leur offrait de plus beau : on
» peut dire que c’eft ce peuple qui a créé &
» perfectionné lé Beau ftyle. Le foin fingulier
» que leurs meilleurs artiftes donnèrent à cette
» partie leur fit négliger les grandes compoji-
» tions qui font la gloire de quelques artiftes
» modernes. Les tableaux de leurs plus célèbres
» maîtres étoienten général comppfés d’fin trè :-
» petit nombre défigurés, & leurs compojîtion r,
» quoique pleines de génie , ne contenoient pas
» un grand nombre d’ objets. Par les ouvrages
» qui nous refirent des Grecs il eft facile de
» s’appercevoir que , dans leurs grandes com-
» pojitions mêmes , ils s’ appliquoient plus à
» rendre parfaite chaque.'figure en particulier,
» qu’à en former un bon enfemble. Si les ar.-
» ciens peintres ne mettoient pas beaucoup de
» figures dans-leurs ouvrages, c ’eft qu’ ils fe r -
» toient qu’ un objet beau & parfait par lu:-
» même, n’ eft pas dans fon vrai jo u r , s’il n’eft
» pas avanrageufement placé. En effet la multi-
» pl ici té d’ objets nous empêche de jouir de la
» perfeétion du fujet principal ».
. » Mais quand au commencement du qua-
» .torzième fiècle, la Peinture commença, pour
» ainfi. dire , à renaître en Italie j les Peintres
» s’occupèrent à peindre des murs d’églife , des
» cimetières, des chapelles : ils repréfentoient
» les my Itères de la paflion , - ou d’autres fem-
» blables fujets. I l s’offrit donc un vafte champ
» pour rendre la Peinture plus abondante que
» parfaite -, & chez les modernes, cet Art a con«-
» fervé beaucoup de défauts de ces premiers.
» effais. Au fli, de nos jours, n’ eft-il pas né-
» cefiaife que l’ artifte cherche à fatisfàire,
» comme chez les Grecs, des hommes inftruits
» 8c des Philofophes. : I l fuffit ^de plaire aux
» yeux des gens riches , & d’ une multitude
» profil ère & ignorante. Delà vient que nos
'» Artiftes, au lieu de chercher àatîeindre à la
» perfeélion de l’ A r t , ont recours à l’abondance
» & à la facilité -, parce que ce lont les parties
» les plus propres à être appréciées par les^nia-
» teurs, pour qui la . plupart des ouvrages font
» deftinés’».