
fe preffent l’ une contre l’ autre, l’ inférieure fur-
monte celle de dcffus., laiffe les coins de la
bouche un peu entrouverts & forme un ris
cruel & dédaigneux.
C h a p i t r e X X I I I . U extrême défefpoir.
Comme cette paffion eft extrême , les mouve-
mens le font aulli. Le front fe ride du haut en
bas ; les fourcils s’ abaiffent fur les yéux & fe
preffent du côté du nez ; l’oeil eft en feu &
plein de lang -, la prunelle égarée , & cachée
fous le lourcil , eft étincellante & fans arrêt,
les paupières font enflées & livides , les narines
greffes , ouvertes & élevées ; le bout du nez
abaiffé ; les mufcles, tendons , veines enflés &
tendus, le haut des joues gros marqué & ferré
a l’ endroit de la mâchoire. La bouche retirée
en arrière'eft plus ouverte par les côtés
que par le milieu. La levre inférieure eft groffe
& renverfée. L’homme défelpéré grince des
dents , écume , fe mord : fes levres font l iv ides
, comme tout le refte de fon vifage ; il a
les cheveux droits 8e hériffés.
La ragez des mouvemens femblables à ceux
du défefpoir, mais ils femblent encore plus vio-
lens ; car le vifage devient prefque tout noir
& couvert d’une fueur froide : les cheveux fe
hériffent, les yeux s’égarent, & font dans un
mouvement contraire l’un à l’autre. La prunelle
fe tire tantôt du côté du nez , & tantôt fe
retire à l’angle de l’oeil du côté des oreilles :
toutes les parties du vifage font extrêmement
marquées & gonflées.
Chapitre X X IV . Ha compaffion. L ’attention
vive aux malheur d’ autrui, qu’on nomme
cpmpaflion , fait abaiffer les fbuçcils vers le
milieu du front ,* la prunelle eft fixe du côté
de l’ objet. Les narines un peu élevées du côté
du nez font pliffer les joues. La bouche s’ ouvre;
la 1 evre fupérieure s’ élève & s’avance. Tous les
mufcles & toutes les parties du vifage s’ incli-
nent & fe tournent vers l’objet qui caufe cette
paffion.
Voila une partie des mouvemens extérieurs
que l’on remarque fur le vifage : mais , comme
nous avons dit au commencement de ce dif-
cours , que les autres parties du corps peuvent
fervir à l’ exprefïion , il eft bon d’ en dire
quelque chofe.
Si Vadmiration n’apporte pa? un grand changement
dans les traits du vifage , elle produit
àufli très peu d’agitation dans les autres parties
dp corps , & le prenjier mouvement peut fe
rçpréfenter par une perfonne droite , ayant les
deux mains ouvertes , les bras approchant un
peu du corps , les pieds l’un contre l’autre. &
dans une même pontion.
Mais dans Ÿeflime, le corps fera un peu cour -
b ç , les épaules tant foit peu élevées, les bras
ployés & gênant le corps , les mains ouverte»
& s’ approchant l ’une contre l ’autre , 8c les.
genoux pliés.
Dans la vénération , le corps fera encore
plus courbé que dans l’ eftime i les bras 8e les
mains feront prefque jo ints, les genoux iront
en terre , & toutes les parties du corps marqueront
un profond refpeél.
Mais en l’ aéliori qui marque la f o i , le corps
neut être tout à fait incliné , les bras ployés
& joignant le corps, les mains croifées l’ une
fur l’autre , & toute l’ aélion marquant une profonde
humilité.
Le raviffement ou exjlafe peut faire paraître
le-corps renverfé en arrière K les bras élevé s,
les mains ouvertes , & toute l’ aélion marquant
un tranfport de joie.
Dans le mépris 8e l'averfion le corps peut fe
retirer en a rriè re ,Te s bras feront dans l’ aélion
de repouffer l’objet pour lequel on a de l’aver-
fion -, ils peuvent auffife retirer en arrière : le*
pieds & les mains feront la même chofe.
Mais dans l'horreur , les mouvemens doivent
être bien plus violens que dans l’ averlïon ; car
le corps paraîtra fort retiré de l’ objet qui caufe
de l’horreur ; les mains feront ouvertes & les
doigts écartés , les bras fort ferrés contre le
corps & les jambes dans l’ aélion de courir.
Hz fray eu r a bien quelque chofe de ces mouvemens
; mais ils paraîtront plus grands & plus
étendus ; car les bras fe raidiront en av an t, les
jambes feront dans l’aélion de fuir de toutes
leurs forces, & toutes les parties du corps paraîtront
dans le défordre*
Toutes les autres paffions peuvent, fuivant
leur nature, imprimer des aétions au corps ;
mais il y en a dont ces aélions ne font prefque
pas fenfibl e s , comme Y amour 9 Yefpéranee 8e la
jo ie \ car ces pallions ne produifent pas de grands
mouvemens.
l a trijlejfe ne produit qu’un battement de
coeur, Se cet abbattément fe remarque en
i toute les parties du ctfirps. & du vifage.
La crainte peut avoir quelques mouvements
pareils a la frayeur. Quand elle n’ eft caufée
que par l’ appréhenfion de perdre quelque chofe,
ou qu’ il n’ arrive quelque mal, cette paffion
peut occafionner au corps des mouvemens qui
feront marqués par les épaules preffées , les bras
lèrrés contre le corps, les mains de même 9
les autres parties ramaffées enfemble & ployéês ,
comme pour exprimer un tremblement.
Le defir peut fe marquer par les bras étendus
vers l’objet que l’on defire, tout le corps
peut s’ incliner de ce c ô té -là , & toute* les
parties paraîtront dans un mouvenaetit incertain
& inquiet.
Mais en la colere , tous les mouvemens font
grands & fort violens, toutes les parties font
agitées ; les mufcle* doivent êtjre fort appa-
I
rens, plus gros & plus enflé* qu’à l’ ordinaire,
le s veines tendues 8e les nerfs de même.
Dans le défefpoir, toutes le* parties du
corps font prefque en même état que dans la
colere,* mais elles doivent paraître plus de-
fordonnées : caron peut reprefentor un hommè
qui s'arrache les cheveux , fe mord les bras ,
fe déchire tout le corps, court & fe précipite.
‘
I l y aurait encore d’autres chofes a remarquer
, fi ’ l’on vouloit exprimer toutes les paf-
fions en détail, & donner une idee de toutes
les circonftanées qui peuvent les accompagner.
'Ju g em en t de W IN C K E L M A N N fu r le
* cara&ère des pafsions de L L JB K U N .
« L ’expreflion égarée a été réduite en théorie,
» dit Winckelmann, dans le traité des
» p o ffons de Charles Le Brun, ouvrage qu’on
» met entre les mains des jeunes gens qui le
» deftineht. à l’art ; non feulement' les delfins
» qui accompagnent ce traité donnent aux
» phyfionomies le dernier degré des • afteélions,
» de l’ame , mais encore il y a des .têtes oil
»Tespaffions font pouffés jufqu’ala rage.On croit
» enlëignerl’ exprefïïon de la même manière que
» Diogene enfeignoit à vivre : je fa is , di-
» foit ce cynique, comme les muficiens qui
» donnent le ton haut pour indiquer le ton
» vrai. Mais l’ ardente jeuneffe a plus de pen-
>, chant à faifir l’ extrême que le milieu ,* il lui
» fera difficile, en fuivant cette méthode, d’ at- \
» traper le ton véritable . . . . le jeune difïina-
» teur goûte aulli peu les préceptes du calme
» & du repos , que la jeuneffe en général goûte
» ceux de la fageffe & de la vertu ».
A cette critique févere , adoptée ou peut-
être. infpirée par Mengs, on peut répondre
ue Le Brun voulant démontrer 1© caraélere
es pa ffions, devoit les faire connoître dans
leur emt le plus doux & dans leurs derniers
excès. 11 aurait dû feulement obferver dans
fon difeours, pour ne pas égarer les jeunes
àrtiftes , que ces excès dévoient être fort rarement
l’objet de l’ imitation de l’art ,* qu’ il
falloit tout au plus en faire ufage dans la re-
préfentation des perfonnages les plus vils , qui
fe livrent fans frein à tous les mouvemeus de
la nature, tels que des efclaves , des bourreaux
, des gens de la lie du peuple. Mais
ce que lé- Brun n’a point écrit dans fon
difeours, il l’a écrit dans fes ouvrages de
l’ a r t , & c’ eft là qu’il faut chercher l’ efprit
de fa do&rine. On ne verra pas qu’ il y ait donné
le degré' extrême des paffions à les figures
principales ; il le réfervoit, quand il jugeoit
néceffaire de l’ employer, aux perfonnages qu’ il
livrait à là haine 8e à\ix mépris des fpëéta-
tçurs. I l ne craîgnoit pas d’altérer leur beaut.é
'hcuuà’-AùS' Tome J.
par des j?q/jr/o«jconvulfives, parce qu’ il voulait
les rendre ,odieux ou méprifables.
E x t r a it du traité de peinture de M. D an d r é
B a rd on ,fu r les paffions.
Tout ce qui caufe à l’ame quelque paffioit
communique au vifage une forme caraâérifti-
que. Cette forme eft relative à l’altération des
mufcles qui fe renflent & fe rétréciffent, s’ irritent
ou fe relâchent , fuivant la quantité d’ el-
prits animaux qu’ ils reçoivent. L e s différentes
paffions peuvent fe rapporter à quatre princi-!
pales : paffions tranquilles ; paffions agréables ;
paffions trifles (y douloureufes ; paffions v io -
lentes & terribles.
Dans les premières, qui font formées par do-
douces imprelïions, les parties du vifage relient
dans leur alfiette naturelle & ne fouft’rent aucune
altération .* tout doit annoncer la paixl dont
l’ame joint. . ,
Dans ls s paffions agréables, toutes les parties
du vifage s’ élèvent, fe portent vers le cerveau ,
fiége de l’ imagination qui eft délicieufemenc
affeélé.
Dans les paffions trifles , la langueur mec
tous les mufcles de la face dans une inaélion
qui en émouffe l’efprit & la vivacité. Si la douleur
s’y mêle, c’ eft par le tourment des fourcils
qu’elle s’énonce.
Enfin les paffions violentes & terribles ty ran-
nifent le corps & l’ e lp r it, inclinent les parties
du màfque , & les affaiffent du cote du coeur
navré dé'déplaifir.
Avant que d’expofer le détail des formes convenables
à ces quatre fituations , dévoilons une
remarque qui renferme un des plus grands
principes de l ’ expreffion. C’ eft dans les yeux ,
8e particulièrement dans les divers mouvemens
des fourcils , que les paffions fe caraélérifent,
& qu’elles paroiffent d’ une manière plus fen^
fible, _
Le mouvement qui élève le lourcil fans violence
exprime les paffions les plus douces ;
celui qui l’incline forcément , repréfente les
plus féroces.
On diftingue deux fortes d’élévations du
fourcil. S’éléve-t-il par fon milieu ? I l marque
les fentimens agréables. E l è v e - t - i l fa pointe
vers le front ? I l défigne la trifteffe & la douleur.
Alors il abaiffe tellement fon milieu ,
qu’ il cache quelquefois une partie de la prunelle.
C’ eft dans la férénité ou dans les tour-
mens du fourcil que fe lifent les fymptômes
du plaifir ou du chagrin. On peut en dire prefque
de même des divers mouvemens de la
bouche.
Quelques exemples confirmeront ce que nous
.. venons d’ annoncer.
Dans les paffions tranquilles , telles que
H h h-h.