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ou le récit de quelque atrocité , on jette
l le corps en arrière , comme fi l’ objet qu’on
fe peint à l’ imagination étoit préfent ,
qu’on voulût s’ en éloigner. Un projet horrible
qu’ un homme forme lui-même , peut le faire
reculer avec effroi, quand il ne s’ e ft pas encore
familiarifé avec ce qu’ il a d’affreux.
Bien des perfonnes ont pu obferver que
c?eft un mouvement naturel de reculer quand
quelqu’ un raconte quelque chofe d’ incroyable.
Seroit-ce que l’ erreur étant un mal pour
l’efprit , on la fuit comme un objet effroyab
le , aufli-tdt qu’on la reconnoît? .
Une furprife très fo r te , même lorlqu’ elle
eft agréable , a quelque chofe qui tient de
l’effroi. Air.fi le premier mouvement eft de
reculer à l ’afpeél imprévu d’ un ami qu’ on
croyoit ou mort, ou dans un pays fort éloigné.
Les yeux s’ ouvrent plus qu’ à l’ ordinaire
, comme pour s’affurer que c’ eft bien
lui. Mais fouvent les bras s’avancent comme
pourfaifir8c embraffer l ’objet, en même temps
que le corps recule comme pour le fuir , &
tandis que l’ expreffion des yeux reflemble à
celle de la terreur, la bouche fourit & peint
la joie.
La colère donne de la force à toutes les parties'
extérieures du corps ; mais , elle arme
principalement celles qui font propres à attaquer
a faifir , à détruire. Gonflées par le fan g &
par les humeurs qui s’y portent en abondance
elles s’agitent d’ un mouvement convülfif ; les
yeux enflammés roulent dans leurs orbites 8c
lancent des regards étincelans ; -les mains ,
par des contrarions violentes , 8ç les. dents
par des grincemens effroyables , manifeftent
une efpèce de tumulte & d’ inquiétude intérieure.
C’eft ainfi que le fanglier furieux-fem-
-bie aiguifer fes défenfes , or que le taureau
laboure la terre de fes cornes , & jette en
l ’air des tourbillons de poufïière. Les veines fe
gonflent , fur tout autour du cou, aux tempes
& fur le front -, tout le vifage eft enflammé
par la furabondance du fàng qui s’ y porte
; mais cette rougeur livide ou pourprée ne
reflemble pas au coloris enchanteur de l’amour
: tous les mouvemens font violens, impétueux
; le pas eft pefant & irrégulier.
Si le chagrin de î’infulte l’emporte fur le
defir- impétueux de la vengeance , . le fan g
retourne au coeur , le feu des yeux s’éteint
une pâleur fubite décolore le v ifa g e , les bras
pendent le long du corps fans, force & fans
mouvement. I l le peut auffi que l’offenfe inattendue
caufe le faififfement de la furprife, &
donne une pâleur qui reflemble à celle de
l’effroi.
La colère, dans toute fa violence, rend l’homme
fi hideux, elle eft fi contraire à la belle
nature qui eft l’objet des imitations de l’arrifte,
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qu’ il doit éviter de la repréfenter , à moins
qu’ il n’y foit abfolument obligé par fôn fu i et :
mais à peine fe trouve-t-il jamais dans cette
obligation , s’ il eft également judicieux 8c
dans le choix de les lu je t s , 8c dans celui des
détails..
Nous avons parlé de la furprife affligeante;
l’expreflion de la furprife agréable eft bien
differente. L’homme faifi d’ une joie inattendue
ne fe fuffic pas à lui-même , & cherche à répandre
fon exiftance fur tout ce qui l’ environne
, à s’ unir à tout ce qui l’approche. I l
aime fa manière d’être aéluelle , au point
d’aimer tout ce qui exifte : il embrafle avec
tranfport fon ami , fon ennemi, fon v a le t , un
inconnu. Eft-ce une lettre qui caufe fa joie ?
I l la baife -, comme, dans la colère, on déchii
r é , on foule aux pieds la" lettre qui l’excite.
Des larmes concourent à l’expreffion de la
grande joie ; mais les yeux pleurent & la bouche
rit.
Si la joie de l’homme eft excitée par la ,fa tisfaélion
de fes qualités perfonnelles , l’e x -
preflion varie fuivant la différence des qualités
qui caufent cette fatisfaélion. Sa joie eft-elle
fondée fur les grâces de fa perfonne ? Il cherche
à développer ces grâces , il les confidère ,
il a le fourire de la fatuité. L’ eft-eiie fur la
finefle des moyens qu’ il a fu employer pour
venir à fon but ? Un fourire fugitif fe fera ap-
percevoir fur fes joues & autour de fes lèvres ;
fon oeil contraélé acquerra plus de feu ; fi
celui qu’ il a trompé eft préfent, il l’indiquera
furtivement de l’ index , & pour rendre le
confident de la rufe plus attentif à l’admirer,
il le frappera légèrement du coude. Son contentement
intérieur fe» fonde-t-il fur la fboé-
riorité de fon efprit , de fes talens ? I l mefure
par fa hauteur corporelle fes rapports avec
ceux fur lefquels il croit l ’ emporter : il lève
la tête avec fierté , & toute fa manière d’être
devient d’ autant plus concertée , d’autant plus
froide, que le fentiment de fon propre mérite
lui caufe plus de fatisfaélion. S’agit-il de naif-
fance , de rang , . de fortune , de toutes les
qualités enfin dont la jouiflance dépend de
l’ effet qu’elles produifent fur les autres ? Alors
lé maintien tranquille & concentré du véritable
orgueil dégénère en fafte & en vanité.
Il femble qu’on cherche à faire du bruit pour
fe faire remarquer. Ainfi les mpuvemens font
.grands , les jambes s’écartent l’une de l’autre
pour occuper plus de terrein , les geftès font
- libres & v é h ém s n s le s bras s’écartent volontiers
du corps , comme ils s’ en rapprochent
dans la modeftie ; la tête fe jette en
arrière.
j L’homme qui réfléchit , qui compofe , fe
félicite-t-il d’ une idée gracieufe ? I l fe carefle
I lé menton en fondant : d’ une idée fpirituelle ;
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il fe frappe le front : d’ une idée difficile A
trouver ; il fe frotte les mains il frappe fur
fa table. Dans foutes ces expreiïions , la gaite
anime le vifage ; la tête a l’élévation de 1 of-
^ Un fentiment contraire à celui de l’orgueil
eft la vénération. Dans la préfence de 1 objet
nui l’ infpire. non feulement les mulcles des
fburcils, de la bouche & des joues deviennent
moins fermes & s’ affaiflemj mais il en
eft de même de tout le corps; fur-tout de la
tê te , des bras & des genoux. Lorfque les
Orientaux croifent leurs bras fur la poitrine,
tandis qu’ ils inclinent le corps, fans doute
leur intention eft d’ indiquer, par c£ ge _ e u
recueillement'J la profondeur du fentiment
dont ils font affeftés: en ferrant fortement les
bras contre le corps, ils veulent defigner
la crainte q u i , de même que la honte , touche
de bien près à la vénération. La raifon
en eft facile à deviner : car fi 1 on compare, une
force étrangère avec fa propre foibleffe, on
' doit éprouver de la crainte , & 1 on ne peut
Ce défendre d’ un fentiment de honte, quand
on compare fes imperfeaions aux qualités d un
être plus parfait. . , « . . .
P a r l ’effet de des deux fentimens , celui qui
révéré doit tendre à fe tenir'loin de 1 objet
révéré : l’homfne rempli de vénération te croit
indigne de tout commerce intime avec 1 être
fupéneur qui lui en impofe ; il s’ en tient a une
certaine diftance, & cet efpace devient le
fymbole phïfique de; la différence morale qu il
met entre lui & la perfonne qu il refpeéle.
L’ homme orgueilleux au contraire s approche
de ceux qui l’ environnent au point de les gener,
de les froifler, de les heurter.
Dans Vamour, la tête eft langujflamment penchée
M i côté, les paupières fe rapprochent
plus qu’à l’ordinaire, l’oeil eft dirige vers 1 objet
feulement avec douceur; la bouche elt entrouverte,
la refpiration len te , & de - temps
en temps coupée par un profond loueur ; tout
le corps eft replié fur lui-même , les bras tombent
négligemment le long du corps. Ces fym-
ptomes, accompagnées d’ une expreflion de îan-
• gueur & de défaillance , font plus ou moins marqués
fuivant que la paflion eft plus ou moins vive.
|j| L e but de cette paflion eft l’ union des deux
amans. L’ amant timide fe contente de tendre
à cette union en touchant d’une main tremblante
le vêtement de l’ objet aimé. Plus hardi,
il ofe lui toucher un doigt, lui prendre la
ma in, l’embraffer, l’ entrelacer dans fes bras,
la prefler contre, fon çoeur , repofer fa tête fur
fur fon fein.
Le jeu du mépris eft la bouffiffure de 1 orgu
e il; mais, dans ce dernier fentiment; celui
qui l'éprouve eft plus occupé de fes propres
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feaions d’autrui. Les marques du mépris font
de détourner le corps & de fe préfenter de
côté, de lancer d’ un a.îr fier / un regard
rapide & quelquefois auffi jette négligemment
par deflus l’ épaule , comme fi l’objet n éroit pas
digne d’un examen plus attentif & plus férieux.
I l arrive fouvent qu’on y affocie l’ exprefhon
du dégoût par le nez froncé & la levre fupe-
rieure un peu élevée* Quand celui qu on nie-
prife paroit avoir une idée trop avantageufe de
lui-même, & vouloir oppofer la fierté au dédain,
l’oeil le mefure alors d’ un air railleur,
tandis que la tête fe penche un peu de cooe,
comme f i , de fa hauteur , on avoit de la
peine à appercevoir toute la petiteffe de cet
homme : les épaules s’élèvent; un ris dédaigneux
& mêlé de pitié annonce le contrafte que
l’on remarque entre la grandeur imaginaire de
l’objet méprifé 8c fa petiteffe réelle.
Le jeu de la honte varie fuivant les circenl-
tances. Quelquefois la honte arrête fur la place,
quelquefois elle fait prendre la fuite. Quelquefois
celui que l ’on couvre de honte cherche
à détruire par fa préfence & par une feinte
fierté l’opinion défavantageufe qu’on a conçue
de lui. Tantôt il accompagne de mouvemens
gauches & confus fes exeufes balbutiées ,• tantôt
par une attitude roide & immobile, accompagnée
d’ un filence morne •-& d’ un découragement
complet, il avoue fon impuiflance a fe
fouftraire à l’ affront mérité, t a honte rend
quelquefois abfolument immobile : on 'baille
les y e u x , on p lie , on chiffonne quelque partie
de fon vêtement ; on fe tourne de cote , pour
être plus certain de ne pas rencontrer les yeux
de celui dont on fuit les' regards , & le menton
fe colle fur la poitrine.
La fouffrance eft une affeâion inquiété &
active qui fe manifefte par la tenfion des mufr
c le s ; c’ eft une lutte intérieure de l’ame contre
une fenfation douloureufe ; c’ eft un effort pour
s’ en débarafler & la fuvmonter. Vabbattement
ou la mélancolie eft au contraire une affection
foible & paffive; c’ eft un relâchement
total des forces, une réfignation muette & tranquille
, fans réfiftance ni contre la caufe, ni
même contre le fentiment du mal. Ou la caufe
du mal eft fupérieure à nous, ou elle ne peur
plus être repouflee : ainfi nous ne voulons,
ou pour mieux d ire , nous ne pouvons pen—
fer à la vengeance. Le fentiment du mal a
déjà lafle notre réfiftance, épuife nos forces;
par conféquent il a déjà perdu de fa violence.
Le- premier fentiment de Niobé privée de fes
enfans, fut l’étourdiflement; le fécond, la fureur
de la douleur portée au fuprême degré ;
le troifiéme feulement fut Vabbattement ou la
mélancolie ; car les Dieux , émus de pitié, ne
la changèrent en rocher qu’ apres qu elle fut
de retour dans fa patrie. Les Poëtes, par cette, Ffff ij
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