
y 8 <sr PAN inférieure à ce qu*il Çeroit capable de faire en 1
s’abandonnant à lui-même. I l en fera comme
de toutes les parties de l’a r t , dont on acquiert .
plus lentement la pratique par l’étiuie des bons
principes , que fi l’on fe contentoit de fe livrer à
un ta& naturel. Mais quand, après l’ obferva-
tion timide d’ une bonne méthode , on eft parvenu
à fe la rendre familière, elle fe confond
avec le fentiment, & devient , pour l’ efprit
qui l’a contrariée, une manière d’ être qui lui
eft propre. L’ame qui s’ eft modifiée avec la
règle elle-même 9 n’ a plus befoin d’ attention
pour la fuivre , & ne perd rien de fa force &
de fa liberté.
Suppofons cependant que l ’artifte puiffe fe paffer
de principes pour la partie que nous entreprenons
de traiter , 8c que la pratique , guidée
par un fentiment obtus , foit fuffifante aux be-
foins de fon art : il n’en fera pas moins vrai
que la théorie dont nous nous occupons ici
réunit des connoiflances nouvelles fur l ’homme,
& qu’ à ce titre elle ne peut être fans valeur pour
quiconque aime à réfléchir. Nous ne connoil-
fons la nature de l’ame que par les opérations *,
& n’ e ft-il pas vraifemblable que nous trouve
rions la folution d’un grand nombre de difficultés
, fi nous voulions obferver avec plus de
foin les expreflions variées de fes pallions, &:
2fcs mouvemens correfpondans que ces pallions
produifent dans le corps ?
Si l’ on obje&oit que ces mouvemens font
en fi grand nombre & fi variés qu’ il eft im-
poffible de les réduire à des règles fix e s , 8c
à une théorie lolide ,* nous avouerions que ,
de toutes nos perceptions , celles qui font
mixtes & compofées forment le plus grand
nombre mais nous n’ en croirions pas moins
qu’on peut indiquer une exprelfion déterminée
pour les plus fimples de ces perceptions , & que
de cette indication , réfulteroit une grande facilité
d’ exprimer auffi les perceptions mixtes.
En effet, comme elles font formées de plufieurs
perceptions fimples, la manière de les rendre
participeroit également de plufieurs expreflions
fimples elles-mêmes , & il ne femble pas im-
poflible de trouver certaines règles pour diriger
ces fortes de réunions d’une manière fûre
& invariable. Mais accordons qu’on ne puiffe
completter la théorie ,* feroit-ce une raifon de ne
la pas commencer? Ne pût-on raffembler que
quelques notions préliminaires, elles applani-
roient du moins la route à de nouvelles découvertes.
Une objeélion plus, forte er. apparence, c’ eft
q ue , dans l’ exprefïion de leurs lëntimens, les
nations le difringuent fouvent les unes des
autres par des différences frappantes, & que,
pour exprimer le même fentiment, elles font
quelquefois ulàge de moyens abfolument contraires
entr’ eux. Par exemple % les Européens,
P a n
pout témoigner l ’ eftime & le refpeél, découvrent
leur tête , tandis que les Orientaux la
tiennent couverte : les Européens fé contentent,
pour défigner le plus haut degré de vénération ,
d’ incliner la tête 8c de courber un peu le dos ;
rarement ils fléchiffent le genou ; les Orientaux
, en pareil c a s , cachent leur vifage , ou
' le profternent la face contre terre.
Je ne crois pas que l’ufage des Européens de
découvrir leur tête pour témoigner leur refpeéb
foit une expreffion diélée par la nature : il peut
devoir fon origine à des caufes oubliées : peut-
être à la coutume dès Romains, qui ne per-
mettoient à leurs efclaves de porter le chapeau
que lorfqu’ils étôient affranchis ; l’Européen r
en ôtant fon chapeau devant quelqu’ u n , lui
annonceroit qu’ il le refpeéte comme un ef-
clave refpeéle fon maître , & ce qui prouve-
roit que c’eft le véritable fens de ce gefte r
c’cft qu’ il ajoute en' même-temps , qu’il eft
le fe h ia v o , J e r v o , ferviteur de celui qu’ i l
falue.
Se voiler , fe couvrir le vifage , eft au.
contraire l’ expreflion naturelle du plus orofond
refpeél, de la plus haute vénération : c’eft
le figne de la honte qui fe cache ; c’ eft le
plus humble aveu du fentiment de fes propres
împcrfeélions comparées aux éminentes qualités
de celui avec qui l ’on fe trouvé. La pudeur,
la honte, la crainte font inlpirées par
la vénération , & l’Européen , plus froid que
les Orientaux , exprime ainfi qu’ eux ce dernier
fentiment, mais feulement avec moins de
force-, au lieu de fe couvrir la tête comme les
Orientaux, & de fe profternerle front contre
te r re , il fe contente d’ incliner le d o s , de
baiffer les y e u x , ou de ne les lever qu’ avec:
timidité.
Faites maintenant abftraélion des nuances
, caraélériftiques -, il refte également chez
l’homme de l’Europe ou de l’Orient, le figne
effentiel de la vénération qu’ il exprime, c’ eft-
à-dire le raccourciffement du corps. Cette ex-
preflion eft portée au plus haut dégré, quand
l’ homme fe profterne tout de fon long avec
le vifage contre terre,* elle eft la plus fo ib le ,
quand il fe borne à un fimple mouvement
de tête , ou lorfque l ’ inclinaifon du corps,,
qui ne fe fait même pas, eft feulement indiquée
par un gefte de la main qu’on incline
vers la terre. Je conclus donc que le rac-
courciffement de la perfonne eft le figne naturel
& effentiel du relpeét, puifqu’ i] eft gé-
I néral, & qu’ il fe trouve-chez tous les peuples,
fans diftinélion d’é ia t, de rang, de fexe & de
i caraélère , quoiqu’ avec des nuances fans nombre.
E ft -il aucun peuple , qui pour exprimer
l’ e ftime, le refpeâ: , la vénération, élève la
; tête & tâche d’ajouter à la hauteur du corps i
Si le caraélère général des nations caufe de*
P A N
variétés dans l’ expreflion des pafîicns, cotte expreffion
eft également modifiée par le caraélère
propre à chaque âge & à chaque fe x e , ainfi
que par les qualités individuelles de chaque
homme en particulier. Les déterminations ca-
raér.ériques de fa nature morale , 8c les propriétés
de la ftruflure 8c de l ’organifation de
fon corps, varient de mille manières fes fenti-
mens & leurs expreflions , fans cependant en
altérer l ’ effence. L’ un e f t , en tout, plus impétueux
, plus fo r t, plus léger ; l’autre plus
indolent, plus foible , plus lourd : tandis que
l ’un exprime déjà, l’autre e ft. encore immobile
: l’ impatience fait tourner en tout fens
le corps de celui-ci \ chez celui-là le mécontentement
, l’ indignation même, ne s’ annoncent
que par le jeu de la phyfionomie : ce qui fait
éclater d« rire le premier, ne fait qu’à peine
appercevoir le fourire fur les lèvres du fécond.
La même obfervation a lieu à l’égard des
états. Le ferrement de main , le baife r, l ’em-
braffade font trois manières d’affurer quelqu’un
de fon amitié. La première eft la plus foible,
parce qu’elle ne fait que reunir deux des extrémités
du corps ; la dernière eft la plus fo rte,
parce qu’elle rapproche entièrement les d eu x ,
individus , 8c femble ne faire qu’ un feul tout
de leurs deux corps. Les gens chez qui la
politefle eft devenue une" elpèce de ve rtu, &
qui l’ont réduite en art fe précipitent dans
les bras l’un de l’autre , lorfque la véritable
expreffion fe borneroit à faire quelques pas en
avant d’ un air ouvert 8c amical. L’habitant
dé la campagne, enfant chéri de la nature,
fait auffi embrafler ; mais il réferve cette dernière
expreffion de l ’amour pour les momens
de tranfport, comme, par exemple, lorfqu’ un
fils ', après une longue abfence, revient à la
niaifon paternelle : l’amitié ne lui commande
qu’un ferrement de main«* mais comme c’eft
l’ expreffion du coeur , elle eft pleine de force ,
d’énergie & de chaleur. Vous voyez qu’ encore
ici il nous refte un trait effentiel & général ,
lavoir le penchant ou la tendance à s’ unir ,
qui eft une fuite naturelle de l’amitié. Toute
la différence que mettent dans cette expreffion
les différentes clafles de la fociété , c’ eft le
degré & l ’intimité de l’union.
C’ eft fur ces traits eflentiels , généraux &
naturels, qu’ il faut établir les principes fondamentaux
de la théorie de la pantomime , en
faifant aUftraélion de tout ce qui eft individuel
ou local. Sans cette reftriélion la matière
feroit trop étendue -, d’ ailleurs ce rapprochement
des traits généraux fourniroit une con-
noiflance plus philofophique que celle qui ne
feroit fondée que fur des obfervations particulières
dont le réfultat ne feroit qu’une con-
P A N j S ?
noiflance hiftorique. Quant aux- obfervations
particulières, l’artifte peut faire dans la fociété
celles qui appartiennent à fon p ay s , & trouver
-les autres dans les récits des voyageurs 8c
des hiftoriens.
Pour rendre encore le travail plus facile ,
il eft à propos de claffer les différentes modifications
au corps. Elles fe partagent en
deux efpèces principales : celles qui font uniquement
fondées fur le mécaniûne du corps ,
comme par exemple , Parlaiflement des paupières
à l’approche du fbmmeil •, & celles q u i,
dépendant davantage de la coopération de l’ame,
nous fervent à juger de fes affeélions , de fes
defirs , comme caufes occafionnplles ou motrices.
I l feroit inutile & même ridicule d’ entrer
dans le détail des modifications de la première
efpèce : tout le monde fait que le fommeil
oblige à fermer les yeux , & c . Ç’ eft à l’artifte
lui-même à faire , fur la nature , les obfervations
de ce genre. Elle lui en offrira qui lui
pourront fuggérer de très-heureufes imitations.
Nous en allons citer un exemple fourni par
une aélrice, 8c l ’on ne peut dire que cet exemple
foit déplacé, puiique le peintre cherche
ainfi que le comédien à reprefenter la nature
fa vérité.
Si cette aéirice avoit négligé l’étude d’ob-
feryation , & ne s’étoit jamais trouvée à côté
du lit d’ un mourant, elle auroit perdu un des
traits les plus fins & les plus heureux. On a
remarqué que les perfonnes agonifantes ont
coutume de pincer & de tirer légèrement, avec
le bout des doigts , leurs vêremens ou les couvertures
de leur lit. Notre aéirice , au moment
où fon ame étoit fuppofée près de quitter le
corps , fit appercevoir tout-à-coup , mais feulement
dans les doigts de fon bras étendu , un
fort léger fpafme -, elle pinça fa robe , 8c Con
bras s’affàifla aufli-tôt. Cette comédienne don-
noit une leçon aux artiftes. Ils ne doivent pas
repréfenter la défaillance & le s approches de la
mort auffi effrayantes qu’ elles le font trop fou-
vent dans la nature ; à moins qu’ ils ne repré-
iëntent un coupable mourant dans l’agitation
des remords , ils doivent donner à leurs per-
fonnages un dernier foup ir, tel que chacun
voudroit l’avoir à fon dernier inftant. Alors
ils toucheront, au lieu défaire horreur.
Les modifications que caufent au corps les
opérations de l’ame n’ont pas leur fiége dans
une feule partie. L’ ame exerce fur tous les
mufcles un pouvoir égal , & , dans plufieurs
de fes affe&ions, elle agit fur tous en général.
Chaque membre, chaque mufcle parle dans la
figure du Laocoon.
Mais la partie la plus éloquente eft le v ifage
, & les parties les plus expreflives du vi*
E e e e i j