
Tentent plus complettement l ’homme que le
tableau. En effet, les ftatues l’ offrent fous plus
d’a lp e â s , & fous des formes plus fenfibles ,
puilqu’elles font palpables.
La ftatue de la place des Viéioires, par cette*
raifon', expofe , d’ une manière plus fenfiblement
choquante , l’orgueil immodéré , & l’affeéta-
tion d’ une domination révoltante', qu’ un tableau
qui auroit été compofé dans le même caraétère.
Le véritable intérêt des Princes & des hommes
illtiftres à qui on élève des ftatues , fur-tout
fi elles font hifloriées, eft donc qu’ elles n’offrent
jamais d'allégories faftueufes ni offenfantes pour
•l’humanité.
C’ eft dans cet objet des Arts , que les grands
principes des convenances doivent diéler les règles
du véritable goût, du goût de tous les temps.
Si on les enfreint, on doit s’attendre qu’ il
arrivera un moment , o ù , ce qu’on regardoit
comme noble , grand , impofant, paroîtra ridicu
le , petit & choquant, & ce fera pour toujours.
On doit avouer que cette faute n’eft pas
entièrement celle des Princes : ils font peu
instruits des convenances univerfelles, foit )
morales, foit anielles.
Les portraits hifloriés, foit qu’ ils repréfen-
tent des princes, foit qu’ ils repréfentent des particuliers , deviennent ou des dérifions, ,
ou des critiques amères , lorfqu’ ils ne font pas
(impies , & que les accéffoires ne font pas appropriés
avec la plus grande fineffe de goût au
caractère qu’ ils doivent avoir, & aux loix de
la convenance, des bienféances & des conventions
utiles. -* ■
Les tableaux-portraits , confacrés à la gloire
ou à la vanité des Royaumes & des v ille s , ont
lieu relativement à certains évènemens qui
occafionnent des a&es publics ; efpèce de pantomimes
nobles -, dont les motifs font quelquefois
aufli louables que Inexécution en eft ridicule.
I l eft plus ordinaire, par toutes les raifons
que j’ ai expofées, que l’Arcifte confacre les
ridicules de l’ exécution, que le mérite de
l ’ intention.
Cet abus du genre étoit moins ordinaire
cependant, lorfque les peintres d’hiftoireétoient
chargés de ces fortes de grandes compofitions,
parce qiî’indéptendamment des connoiffances, &
de l’habitude plus' grande de difpofer un grand
nombre de figures , il jouiffoient d’ une certaine
confidération qui pouvoit les affranchir des volontés
des hommes puiffans par leurs places &
leur rang. Lorfque T itien, Rubens, Van-Dyck,
Raphaël peignoient le portrait hifiorié, quel original
en e ffet, auroit ofé leur impoferlaloi de
faire un tableau ridicule? Ces Artiftes fuivoient
donc plus univerfellement les convenances génér
é s & celles de l’ Art. La manière fa van te &
franche dont l’ Arcifte laififfoit le maintien, le
sar-aclère ; l’habileté avec laque lle , dans les |
portraits particuliers, il avouoit les défauts de
fes modèles , fans les exagérer; la vérité enfin
de la couleur , de l’effet, & la beauté du faire
donnoient à ces repréfentations , le mérite durable
dont elles font fufceptiblës.
D’a illeurs, un grand Peintre d’hiftoire ne
peignoit le plus fouvent que de grands personnages
, ou du moins des perfonnages diftin-
gués. S’il facrifioit de fon temps ou de fes
loifirs à des objets moins importans, il arriyoit
que l’ eftime qu’obtenoient fes ouvrages & la
gloire de fon nom refté dans la mémoire.des
hommes, & confacrë dans les colleétions,
prêtoient , aux fujets mêmes inférieurs, une
dignité que ces fujets n’avoient point par eux-
mêmes. Le particulier ignoré devoit vivre dans
la poftérité par le mérite de la vérité & par
le grand talent de l’Artifte.
Pour vous , jeunes Artiftes , c’ eft à votre âge
qu’on aime à hißorier des portraits , & ce penchant
naît affez fouvent de prétentions dans
votre talent, comme il naît : des prétentions
de la vanité dans ceux qui les exigent ; mais
fi vous cédez , ou à votre penchant, ou au defir
d’une jeune beauté , ne choififfez, pour fon
traveftiffement, ni. Vénus , ni Hébé, ni Flore.
3
Ces noms portent l’ imagination plus loin que
ne peut atteindre votre modèle. Ces coftumes
vous porteront vous-même à un idéa\ éloigné
de la reffemblance que vous aviez deffein de
faifir. I l vaut d’ailleurs bien mieux pour , le
modèle & pour l’Artifte , qu’on dife , en voyant
le portrait naturel & vrai d’unejeune perfonne:
» C’eft ainfi que dévoie être fans doute Vénus» •,
que de dire et fi Vénus n’avoit eu que' cette
» beauté, elle n’ auroît pas eu tant d’autels ».
( Article de M. /Pl a t e l e t ) .
HISTORIQUE. ( adj. ) On dit le genre
de Ÿhifloire , le genre hiflorique , la poëfie du
genre hiflorique. C’ eft cette poëfie q u i. fera
fur-tout l’objet de cet article.
On défigne en peinture , par le mot hif-
toire, ou genre hiflorique, l’art d’exprimer
avec élévation & avec choix les aélions des
Dieux?, & celles des hommes que leur célébrité
a placés au - deffus des nommes ordinaires.
Tous les genres.'de peinture, même les
plus communs, doivent parler aux yeux. Il en
eft d'un ftyle bas qui favent récréer, inftruire
Sc quelquefois émouvoir ; mais en ne nous
offrant que lâ repréfentation de fcènes , dont
les modèles peuvent fe montrer à nos yeux.
Cette dernière diftin&ion eft ce qui çaraété-
rilë fpécialement cé qu’on appelle les genres
proprement d its , & ce qui les fait ; différer
de ce qu'on nomme Vhißoire. Non-feulement
l ’imitation des fleurs, des fruits, & d’autres
objets inanimés, doivent être rangés dans la
d a fl*
clafle des genres, mais encore les fcènes cham- ,
pêtres ou domeftiques, les fujets de marine
ou de guerre font des genres, parce que la
compofuion n’ en eft pas poétique, que dans
l’ exécution tout y eft fait d’après des objets
communs, & que le refultat en eft de rendre
Amplement la nature.
Le devoir du peintre à'hifloire, eft d élever
l ’ame par la nobleffe du lu je t , & par la grandeur
du ftyle , & de préfenter à notre efprit
tout ce .qu’ il peut concevoir au de la meme de
ce qui eft pofitble. .
Ainfi point de tableaux dfhiftoire fans pqëfie.
C’eft de ce genre qu’ on a voulu parler , quand
on a d i t , que la peinture eft une poëfie
muette : muta poéfis dicitur ( Dufrefnoy , de
arte graphicâ) . . . •
On doit traiter Vhifloire en peinture comme
un fujet héroïque dans l’ art des vers :
Nilparvum, aut humili modo,
Nil mortale loquar. . . . . .
Ces mots d’Horace | fignifient en langage de
peinture : » je ne m’occuperai pas de fujets ;
» obfcurs & rampans ; & je-ferai des hom
» mes au-deffus de l’ homme meme * . A^infi
bien loin d’ aftreindre le peintre à’hifloire à la
fidélité d’un biographe ou d’ un hiftorien , on
doit exiger qu’ il traite les fujets a la manière
d’Homère , ou d’ Euripide.
Ce que nous pofons ici comme principe,
pourroit être regardé comme fyftême , fi nous
ne prouvions, par des exemples irrécufables ,
que la peinture d’hifloire lie peut avoir lieu
fans poëfie, que cette qualité feule lui donne
de la clarté, du mouvement, & en conftitue
le vrai caraétère.
Citons d’abord un tableau de la galerie où
Rubens a repréfenté divers traits de la vie de
Marie de Médicis. Cet artifte, vraiment peintre
d’hifloire , avoit à repréfenter la mort de Henri j
IV , & la régence donnée à la Reine. Avant
que de parler de fon ouvrage, fuppofons que
ce fujet foit propofee a un artifte qui ne con-
noiffe ni le sd roits , ni l’étendue de l’art. D’ abord
, il ne concevra pas qu’ on puiffe placer le
corps du Roi dans le même tableau , où fe
fait l’é leaion de la régente. Ajoutons à la
fuppofition que cependant on l’ exige de lui ;
alors, d’ un côté il fera voir Henri mort fur
pn l i t , entouré d’officiers de cour ; & de l’autre
, l’ affemblée d’ un confeil où préfidera la
Reine. Or , cette peinture fans unité d’ aétion ,
ne défignera ni le héros, ni le fujet de l’affemblée.
Voyons à préfent comment il falloit peindre
ce fuje t, pour le rendre intelligible & digne
des principaux, aéleurs. Le corps du Roi Henri
eft enlevé & porté au nombre des Dieux qu’on
Terne I. B eaux-Arts,
apperçoit dâns l’ olympe , par le Temps & par
Jupiter. En e ffe t; c’ eft par le Temps, que
toutes chofes font déterminées , c’ eft par le
maître des D ieu x , que les héros reçoivent la
récompenfe des grandes a&ions, & qu’ ils deviennent
immortels. La Gloire & la Renommée
, au milieu des trophées d’ armes que
Henri a laiffés fur la te rre , s’ affligent de fa
perte , & regrettent de n’avoir plus de fi hauts
faits à publier. Cette partie du tableau toute
morale, amene la régence donnée a Marie de
Médicis. Cette Reine en longs habits de d eu il,
accompagnée de la Prudence & de la Sageffe ,
reçoit des mains de la France la boule du
gouvernement. Les grands du royaume , fe
profternant autour de fon trône , paraiffent
L’ affurer de leur zèle & de leur fbumiflion.
On voit comment ce tableau, par la difpofi-
tion des figures qui le compofent, devient
clair & exprime divers événemens, fans cependant
divifer l’action. 9
Ce n’eft pas que nous prétendions que l ’a llégorie
foit effentielle dans une fcène pitto-
refque , pour la rendre poétique ; nous fommes
loin de cette penfée , & nous n’ avons apporte
en exemple, le tableau ‘de Rubens, que pour
montrer que fi la poëfie allégorique peut contribuer
à la clarté du fu je t , la poëfie fimple ,
celle qui n’ introduit pas d’ êtres purement méta-
phyfiques , doit à plus forte raifon , le rendre
en même temps , & plus piquant & plut facile
à comprendre.
Propofons un fujet où la poëfie. fimple
puiffe augmenter l’ intérêt d’ un fait hiflorique•
Ce fera fi l’on v e u t , le miracle de la manne,
nourriffant les Ifraëlites dans le défert.
Un efprit froid & litté ra l, fe contentera de
préfenter la figure de M oy fe , difant au peuple
d’ Ifraël. » Voilà le pain que le feigneur vous
» donne à manger. » Les Ifraëlites mangeront,
& feront occupés à recueillir (a manne pour
leur journée , car tout cela eft du texte. Mais
le Pouffin, qui a prouvé par tant d’ ouvrages
que le peintre doit-être poète , meme qnand
il s’ agit de rendre les vérités hifloriques , admet
, indépendamment des figures diélées par
l’ h iftorien, une fille faifant partager à fa
mère le lait de fon fein , nourriture que fon
enfant réclame avec larmes, comme un bien
qui n’ eft qu’à lui. Mais hélas c’étoit la feule
reffource qui reftoit à cette malheureufe fille
pour appaifer un peu la faim d’une mère cherie ,
puifqu’ elle n’avoit pas encore apperçu la chute
de la* manne. Pouffin, fait voir deux jeunes
gens qui fe difputent cette nourriture, en fe
battant : caraétère de la vivacité de leur â g e ,
& fur-tout d’ un appétit que l’on ne croit jar
mais pouvoir affouvir.
Ces deux grouppes, qui n’ont pas été fu g - 1 gérés par l’hiftorien, répandent fur le fujet
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