
juger la queftion. L’ Europe femblë avoir jugé
en faveur des Ita lien s, 8c ce jugement mérite
d’autant plus d’attention , qu’elle a touü-
a-la fois adopte généralement notre langue & nos
pièces de théâtre , & profcrit généralement notre
mufique. S’ eft-elle trompée^ ou non? c’è'ft ce que
notre poftérité décidera. I l me paroît feulement
que la diftinâion fi commune entre là mufique
Françoife & l’ Ita lie n n e e f t frivole ou fauffe.
U .n’y a qu’ un genre de mufique : c’ eft la
bonne. A-t-on jamais parlé de la peinture
françoife & de la Peinture italienne ? La nature
eft la même par-tout ; ainfi les arts qui
1 imitent, doivent aufli être par-tout femblables.
Comme il y a en Peinture différentes éco les,
il y en a aufli en Sculpture, en Architefture , en
Mufique, & en général dans tous les beaux Arts.
En Mufiq ue , par exemple, tous ceux qui ont
luivi le ftyle d’ un grand maître ( caria Mufique
a fon - ftyle comme le Difcours), font ou peuvent
être regardés comme de Vécole de ce maître.
L'illuftre Pergolèfe eft le Raphaël de la Mufique
italienne •, fon ftyle eft celui qui mérité
le plus d’être fu iv i , & q u i en effet l’a été le
plus par les artiftes de fa nation : peut -être commencent
ils à s’ écarter un peu trop du ton vrai,
noble 8c fitnple , que ce grand homme avoit
donné. I l femble que la Mufique en Italie commence
à approcher du ftyle de Sénèque ; l’àrt
8c l’ efprit s’ y montrent quelquefoisun peu trop ,
quoiqu’on y remarque encore des beautés vraies,
fupérieures , & en grand nombre.
Les François n’ ont eu jufqu’ ici que deux écoles
de Mufique , parce qu’ils n’ont eu que deux
ftyles ; celui .de Lu lli , & celui du célèbre
P.ameaul On fait la révolution que
la Mufique de ce dernier artifte a caufée en
F ran c e ; révolution qui peut-être n’a fait qu’ en
préparer une autre : car on ne peut fe diflimuler
l ’ effet que la Mufique Italienne a commencé à
produire fur nous. Lu lli caufa de même une révolution
de fon tems, il appliqua à notre langue
la Mufique que l’ Italie avoit pour lo r s; on commença
par déclamer contre lu i , & on finit par
avoir du plaifir & par fe tairéV Mais ce grand
homme étoit trop éclairé pour ne pas fèntir que
de fon tems l ’art étoit encore dans l ’enfance : il
■ Rvoùoit en mourant qu’ il voyoitbeâucpup plus
loin qu’ il n’a voit-été • grande- léçori poür;fes
admirateurs outrés & exclufifs. : (A rtic le de M.
â 'A lem berï, dans Van vienne Ency clopédie ).
"École. Ce.mot, dans la langue commune,
lignifie un lieu où l’on enfeigne quelque chofe ;
école de lecture , école d’écriture, école d’ ef-
c rim e , d’équitation ; envoyer un enfant à IV-
éole. Il a dans la langue.des arts une forte d’em-
phafe qui porte avec e lle une îSêè de Célébrité.
Ainfi quoiqu’ un peibtre'niédiocfe , 'ou même habile
, mais médiocrément célèbre,, faiTe dès
élèves , on ne fe feryirâ pas du mot école , pour
exprimer collectivement fes élèves , ni pour dé-
figner l’attelier dans lequel il donne fes leçons.
I l nefuffit même pas que le maître ait du talent
8c de la célébrité , pour qu’on exprime long-
tems la collection de les élèves par le mot école ;
il faut encore que plufieurs de ces élèves fe foient
rendus célèbres eux-mêmes. Sans cette condition,
on employera bien, pendant la vie d’ un
maître habile , le mot école , pour fignifier l’ af-
femblage de fes élèves ; mais ce titre , que l’ u-
fagearendu honorifique, ne lui fera pas con-
fervé par la poftérité. -Chrdit l'école de Raphaël,
parce que Jules - Romain, Polydore de Car-
ravage ,.& c , qui furent fes é lèves, fe firent eux-
mêmes un grand nom. On dit Ÿécole des Gàr-
raches, d’où fortiréntle Dominiquin, le Guide,
l’Albane. On dit Ÿécole de V ou e t, qui fut
celle de le Sueur} de le Brun, & il eft vrai^
femblable que , par la même raifon , la poftérité
dira l'école de Vien. ■
Comme on emploie le mot école pour exprimer
collectivement tous les élèves qui ont reçu les
leçons d’ un même • maître , on le fert aufli par
extenfion de ce mot pour raflembler fous une
feule dénomination tous les artiftes d’ un même
pays. Ainfi tous les peintres que l ’Europe a produits
depuis la renaiflance des arts , font claffés
fous la divifion d * école F lorentine || école Ror-
maine , école V én it ien n e ; école L ombarde -,
école F rançoise , école A llemande , école
F lamande 8c école H ollandoise;
Nous allons tâcher d’établir le caractère de
ces différentes écoles, & de faire connoître non
pas tous les grands artiftes qu’ elles ont produi ts ,
mais feulement-les premiers maîtres qui leur ont
imprimé le caractère qui les diftingue, ceux en
un mo t, qui peuvent être regardés comme les
fondateurs de ces écoles. Nous nous réfervons
d indiquer tin plus ‘grand nombre d’artiftes doiis
les-, articles G raveur s , P eintre s', Sculpt
eu r s .
É cole F lorentine. Cetteécdle fe diftingue
par la fierté -, le mouvement, | une certaine austérité
fombre | une expreflion de force qui ex-
cliid peut - être celle de la 'g r â c e ', un
caraCtère de deffin qui e'ft d’ une grandeur ,
enquelque forte , gigantefque. Onpeût lui rer
procher une-forte déchargé ; maison ne peut
nier que cette chargé n’ait une majefté idéaïè
qui élève la nature humaine au-deffiis de la ha?
ture foiblé & périffable de_ l’homme. Les artiftes
Tofcaiis, fatisfaits d’impofer l’admiration,
femblent dédaigner de chercher’ à plaire.
Cette école a un titre* inconteftable à la vénération
des amateurs des arts ; c’ eft qu’e llè eft
la mère de toutes celles d’ Italie. •
Les àrts qui avoient toujours dégénéré depuis
îë'régne de Néron , périrent avec le cololfe de
l’Empire Romain & furent renverfés avec lui
par les Barbares. S i , dans leur état de dégradation
, ils confervèrent dans la Grèce un nfifé-
rable afyle, ils le durent à læpiété bien plus qii’ au
goût des Souverains & desfujets du Bas - Empire
; ils furent employés & non pas accueillis. ;
ils procuroientà ceux qui ne dédaignoîént pas
de les cultiver, une malheureufe fubfiftancé,
fans leur attirer.aucun applaudiffement ; 8c tout
le fuccès qu’on en attendît 8c qu’ ils fe propo-
fa flent, étOit de reprëfenter fans agrément ,
fans adrefle*, fans; etude , fans connoiffance
de la nature , les objets de la vénération rej-
ligièüfe. Les tableaux , ou comme on s’ ex-
primoit a lors, \ qs - im a g e s ruftiquemënt barbouillées
, & ornées , ou plutôt couvertes d’or
8c d.ç pierreries , tiroiént leur féul mérité 8c
toute leur‘ valeur des matières'- précieufes dont
elles étoient enrichies. 7
C e fut cependant à cette contrée où les arts
languifloient dans une telle dégradation , que
l ’ Italie , qui devoit un jour devenir filiè re de
fes artiftes-, fut obligée de demander des maîtres.
Florence, dès - l’an 1 2 4 0 , fit venir de la
Grèce des ouvriers en peinture dont toute l’habileté
cenfiftoit à établir un trait grofliér', 8c à
barbouiller 'de couleur bien plutôt qu’ à peindre
l’ intérieur de èè contour. Ils favoient faire
aufli de mauvaife mofaïque , & ils trouvaient
en Italie des admirateurs encore plus ignorans
qu'ils ne l’étoient eux-mêmës. , -
La Peinture languilfoitdans cet état d’ enfance
ou de décrépitude, lorïqd’ en 12 .4 0 naquit à
Florenee-, d’ une famille noble, le Cimabué.
Comme il montra- dès -fes ^premières années ,
beaucoup dé vivacité d’ efprit, fes pareils 4e def-
tjnèrent aux féiencès, qui déjà orgueilleiifes ,
étoient cependant-plongées dans la même langueur
que lés arts. Mais il couvroit fes cahiers,
de griffonemens, & fe déroboit à fes études pour
aller voir travailler des Grecs qui peignoient une
chapelle dans l’ églife de Sainte Marie-nouvelle.
"Dèvénû l’élève de ces maîtres grofliers , il les
furpafla bientôt,- & f i t luire dans Florence l’aurore
dés arts. Ce n’ étoit qu’une bien fpible clarté
, maîS^ëlle fembloit éclatante, parce qu’on
étoit eriféveli dans une obfcurité profonde. De
médiocres artiftes rougirpient aujourd’hui de
produire 'dés 'ouvrages femblables à ceux du Cira
abué : mais quatre fiëclès qui l’ont fuivi , ont
éclairé les fuccefleurs !de cet artifte , 1 8c il aVoit
fans doute un grand génie , ' puifqu’ il fut capable
d’ une ' création.- Si fes foibles ouvrages lui
procurèrent une grande gloire , il la méritoit ,
8c fes tableaux, malgré leur foiblefle ^.étoient
alors des prodiges. Quand il eut terminé une
Vierge qu’ il peignit pour Sainte Marie-nduvellé,
le peuplé alla prendre avec refpeét cé tableau
dans l’attelier de Partifte , & le porta au bruit
des trompettes jüfqu’à l’églife où il devoit être
placé. Ce font les applaudiffemens qu’on accorde
£ux arts, naiflans qui nourrifleut leur enfance ,
augmentent leur vigueur , & les amènent à l âge
floriflant de leur maturité. L’indifférence publique
tue les talens au berceau , 8c fi le C h
mabué n’eût pas trouvé des admirateurs, F lo rence
lî’auroit peut-être jamais eu Michel-Ange«
Cimabué mourut dans la première année du
quatorzième fiècle ■: il peignoit a frefque 8c en
détrempe.- T a ffi, fon contemporain , iàns, être
rival de;fa gloire , peignit en molaïque , & -apprit
cet art de quelques Grecs qui travailloient
a Venife. Le Giotto , jeu n e v illa g eo is que le
Cimabué trouva gardant des moutons qu’ d s’a-
mûfôit a defliner fur une brique , devint l’élève-
de ce maître , 8c fit faire a l’ art de nouveaux
progrès. I l fut appellé à Rome par le Pape Boni-
Face V I I I , 8c y exécuta la mofaïque qui eft fur
le portail de Saint Pierre :i ellerepréfentèJefüs-
Chrîftf marchant fur les eaux , & on l’ appelle
là nave d&l Giotto. Le nombre des pèîiitrës devint
en peu de tems fi confidérable à Florence ,
que , des l’ année 1 3 5 0 , ils établirent une Con-
frairie fous la protëâion de Saint Luc.
Vers ce temsPaolo Uccéito fut le premier qui
obferva exactement la perfpeétive. ^ Nlajfolino
v e f s 'le commencement du quinzième fiècle ,
donna plus de grattdiojîcé a fes figures , àgença
mieux leurs vêtemens, 8c répandit une forte de
vie & d’ expreflion furies figures. I l fut furpafle
par Majfacio , fon élève , qui donna le premier
de la force * du mouvement, du relief à fes ouvrages
, montra dans les attitudes quelque choie
qui pou voit reflembler a de ; l’aifance 8c de la
grâce , & exprima mieux les raccourci? que fes
prédéceffetïrs. Long-tems les pe'nttês firent po-.
fe r les figures fur lés orteils, faute de lavoir
defliner un pied en raccourci.
Les Florentins continüoient de ne peindre
qu’ en mofaïque , à frefque 8c en detrempe. Les
ouvrages des deux premiers genres-ne pouvoierit
-fe tranfporter & porter la gloire-deileurs auteurs
hors de la V ille où ils avoient travaillé-: ceux
du dernier genre manquoient d’éclat ne pou-:
voient être pouffes à un ton vigoureux, fée gâ-
toient aifément à l’humidité , .8c ne. pouvoient?
fe nettoyer.' A ndré Castagna fut le. premier
Florentin qui peignit à l’huile. Nous verrons-
en parlant de Ÿécole Flamande , que ce genre
de. peinture avoit été inventé a'la fin du quinzième
fiècle par Je a n van E ic k , plus connufous
le nom de Je a n de B r u g e s Un peintre Sicilien ,
| Antoine ou Antonello de . Me(fine, ayant vu à
: Naples un tableau de van Eick , alla en Flandres,'
g agna l’amitié de cet artifte, 8c obtint
qu’ il lui découvrît fon fecret. Lui même le
' communiqua à fon élève Dominique, Véhi-
; t ie n , qui-eut le malheur de venir exercer fon
, talent à Florence. A ndré Cajldgna obtint à
force de „carefles la confiance de Dominique ,
le logea chez lu i , & le détermina à lui apprendre
le fecret de peindre à l’huile. Dès qu’ il l’ eut
p d i j