
Cependant Winckelmann femble croîfe «[ne
les artiftes s’aftreignoiçnt à les obferver même
•dans ceux de r^eyrs ouvrages qui te rappor-
toient à ces temps anciens où des Joix de con- ■
ventiort ne contrarîoient pas encore les lipix
de la nature. C’ eft que l ’artifte, obligé de
faire, un choix entre les plus belles •, formes,
fe trouve réduit à un certain degré d’ expref-
jfion, pour ne pas. dégrader, par la peinture
des affe&ions violentes, les beautés de la
configuration.' I l dçmne, pour exemples favo- :
’râbles a . Ion principe, deux célèbres monuy
mens de/lkiç tiqueté,, dont l’un offre, .l’image !
de la plus, grande .terreur, Sc l ’ autre , ;d e ila j
plus grande fouffrance ; la Niobé -& le Lao*
çoon. . ,TLés
filles de Niobé font repréfentées dans
çet engourdiffement des fens qui ravit à l’ame
jufqu’à la faculté de penfer, 8c que caufe la
préfence.d’une mort inévitable.,La; mère touche
à ce moment où la fable fupppiè qu’ elle ■
fu t changée, en.-pierre, c’ e ft-à -.d ire au moment
où elle fut,frappée des cette, ffnpeur qui j
reffem^le à la privation du fentiment. Cette
liippreflion de fentiment & de penfée altère
peu les traits de la phyfionomie, & pçrmet-
toit à l’artifte d’ imprimer à fon monument
Je . caractère de la plus haute beauté.
• » Laocoon eft l’ image de la plus grande
» douleur qui puiffe agir fur les mufcles, les
» nerfs & les veines. Le.fang en effervefcence
» par la morfure des ferpens fe porte avec
» rapidité aux vifce re s, & toutes, les parties
» du corps en contention expriment les plus,
» cruelles fouffrances •, artifice par lequel le
» ftatuaire a mis en »jeu tous les refforts de la
» nature, & a fait connoître toute,l’étendue
» de fon favoir. Mais dans la çonvulfion de
» ces affreux tourmefis j vous . voyez paroître
j» Pâme ferme d’ un grand homme qui lutte
» contre fes maux, & qui veut.réprimer l’ ex-
v> cès de la douleur ».
Cette obfervation de l’ antiquâire nous femble
de la plus grande jufteffe , & nous l’avions
faite avant d’avoir lu fon ouvrage;
I l remarque aufli que les poètes repréfcntent
Ph ilôâe te faifant retentir Lemnos de cris &
de fanglots ; mais que Jés artiftes nous l’offrent
dans l’état d’ une4'douleur çoàcentrée,
tel qu’ on le voit dans'les marbres & fur . les
pierres gravée?1, r.
Le çélèbre peintre Timomaque n’avoit.pas
repréfenté Ajax au moment de fes fureurs,
lorfqu’ il égorge un bélier qu’ il prend pour
le ch e f des Grec? : mais U avpit choifi l’ inf--
tant où le héros, dans ce tranquille défefpoir,
cui reffemble à l’ apathie , réfléchît fur, fon
erreur., C’eft encore ainfi qu’ il eft figuré/fu^
•jia table iliaque au Capitole ^ & furv plufiepr?
pierres gravées. Une feule pâte antique le téé
préfente tuant un bélier»
I l ne faut 1 cependant pas, avec Wincker-
mann , applaudir aux anciens , ï lorfque , par
un defir exceflifi de ménager la beauté, ils ont
altéré la vérité , comme lorfqu’ ils ont repréfenté
la décrépite Hécube à peiné fur le re tour
de l’â g e , & q u é , dans d’ autres ouvrages
ils ont fait les mères aulli jeunes que les filles :
mais on leur applaudira d’ avoir banni des moi
nu mens publics les expreffions grimaçantes#
Gn n e . louera point le Guide de ce que y
dans le maffacre des Innocens, il s’ eft permis
à peine d’ altérer la Xérénité fur le front de
leurs mères :■ mais on blâmera les artiftes qui
ont repréfenté ces femmes infortunées no»
moins hideufes, non moins furieufes, non
moins enragées, que les" bourreaux de leurs
enfans.
Le principe des anciens étoit de repréfenter
beaucoup avec peu, comme celui d’un grand
nombre de modernes femble avoir été de re-
préfenteP peu avec beaucoup , & de fe je tter,
par conféquent, dans l’exagération. Winckel-
mann compare leurs efforts avec ceux des comiques
q u i, fur les vaftes théâtres de l ’antiquité,
exagéroient les geftes & outroient la
vérité pour être remarqués des fpe&ateurs afiis
aux derniers rangs. L’ expreflion que les modernes
donnent à leurs figures e ft, continue-
t-il , celle que les anciens donnoient à leurs
mafques, qui dévoient produire leur effet dan?
un grand éloignement# ( L. )
PA ST ICH E S ( fubft. mafc. ) du mot italien
pafticcio qui lignifie pâté. On donne ce nom
a des tableaux qui ne font ni originaux ni
copies , mais qui font compotes de différentes
parties prifes dans d’autres tableaux / comme
un pâté eft ordinairement compote de différentes.
viandes. On a étendu la lignification dé
i ce mot à des ouvrages qui font bien en effet
1 dé l’ ihventiôn celui qui les a fa its , mais dans
lefquels il s’eft alfervi à copier la manière d’ordonner
, de defliner , de colo rer, de peindre
d’ un autre maître auquel il avoit de'ffein de les
faire attribuer. On a vu des artiftes parvenir
à tromper en imicant ainfi de grands maîtres,
quoique , dans les ouvrages où ils fe conten-
toienc d’ êtrè eux-mêmes , ils fulfent loin de
fé montrer lés dignes rivaux de ceux dont ils
favoient contrefaire fib ie n la manière.. Comme
linges ils étoienc pleins d’âdrefle ; comme
hommes , ils n’étoient que médiocrçs.
Nous allons extraire ici littéralement ce
qu’on Ht fur les pajliches dans Vidée du peintre
p a r fa it , ouvrages imprimé avec les oeuvre?
de de Piles & celles de Felibien.
Un. peintre, dit l’auteur , qui y eut tromper
jfc
#
de cette forte, doit ivo ir dans L’ efprit la ma- j
nière & les principes du maître dont il veut
donner l’ idée , afin d’ y réduire fon ouvrage ,
foit qu’îl y falfe entrer quelque partie 4 un
tableau que ce maître aura déjà fait., foit que
.l’invention étant de lu i, il imite avec légèreté
non feulement les touches, mais encore le g0“ 1
du deflin & celui du coloris. Il atrive très
l’ouvent que le peintre qui fe propofe de contrefaire
la manière d’ un autre , ayant toujours
en vue d’ imiter ceux qui font plus habiles que
lu i , fait de meilleurs tableaux de cette forte
que s’ il produifoit de fon propre fond.
Entre ceux qui ont pris plaifir a contrefaire
ainfi la manière des autres peintres, je me contenterai
de nommer ici David Teniers , ( ) qui
a trompé & qui trompe encore tous les jours
les curieux qui n’ont point ete prévenus fur
l’ habileté qu’ il avoit à fe transformer en Baf-
fan & en Paul Véronefe. I l y a de ces p a jliches
qui font faits avec tant d’adreffe , que les
yeux même les plus éclairés y font furpris au
premier coup d’oeil t mais apres avoir examine
la chofe de plus près, ils demêient auflitot le
coloris d’avec le coloris & le pinceau d avec
le pinceau. - ,
David Tenie rs, par exemple, avoit un talent
particulier à contrefaire les Baffans : mais
le pinceau coulant & léger qu’ il a employé
dans cet artifice , eft la fource même de.l é vidence
de fa tromperie. Car fon pinceau , qui
eft coulant & facile , n’ eft ni fi fpirituel, ni fi
propre à caraélérifer les objets.que celui des
Baffans , furtout'dans les animaux.
I l eft vrai que Teniers avoit de l’union dans fes
couleurs : mais il y régnoit un certain gris
auquel il étoit accoutumé , & fon coloris n’a
ni la vigueur , ni-la fuavite.d^ Jacques Baffan.
I l en eft ainfi d e ’toiif les paftiçhes , & pour ne
s’y pas laifler tromper ,‘ il faut examiner , par
comparaifon à. leur modèle , lp goût du deflin ,
'celui du coloris, & le caractère du pinceau.
Sans entrer dans les exceptions, on peut dire en
général avec M. de Jaucourt ( article Pajliche
dans l’ancienne Encyclopédie) que les fauffaires
en peinture contrefont plus aifément les ouvrages
qui ne demandent pas beaucoup d’ invention
, qu’ ils ne peuvent contrefaire les ouvrages
où toute l’imaginatipn des artiftes a eu
lié a de fe déployer. LesTaifeurs àe pajlichçs
ne fauroient contrefaire l ’ordonnance / ni lé
colo ris , ni l’ expreflion des grands maîtres. On
imite la main1 d’ un autre ; maïs on n’imite pas
( * ) David Ténijéts, le 'jeune , plus célèbre que fon
père. Il îrâüoit les’ maîtres d’Italie ceux de Flandres.
Il a fait des pajiiches que l’on prend pour des originaux
de- Rubens.
Tome L Beaux-i4rts»
de même, pour parler ainfi, fon efprît, & l’ o»
n’apprend point à penfer comme un autre ,
ainfi qu’on peut à apprendre prononcer comme
lui. ■( * )
L e peintre médiocre qui voudroit contrefaire
une grande compofition du Dominiquin , ou
de Rubens , né fauroit nous en impofer plus
que celui qui voudroit faire un pajliche fous
le nom du Giorgion ou du Titien. On ne fauroit
contrefaire le génie des grands hommes ;
mais on réuflit quelquefois à contrefaire leur
main-, c’ eft-à-dire leur manière de manier le pinceau
, d’employer les couleurs & de frapper
les touches, ce qu’ il y a de maniéré dans leur
trait, les airs de tête qu’ ils répètent, enfin tout
co qu’ il qjeut y avoir de défeétueux dans leur
pratique. I l eft plus facile d’ imiter les défauts
des grands hommes que leurs perfections.
Luc Giordano , peintre Napolitain , que fes
compatriotes appelloient iZ f a prejlo , ( le dé-
■ pêche hefogne ) étoit, après Teniers , un des plus
: grands faifeurs de pajliches qui ait tendu des
enftmches aux curieux. Fie r d’avoir contrefait
avec fuccès quelques têtè.s du Guide , il entreprit
de faire de grandes compofitkms dans le
goût de cet aimable artifte , & des autres eleves
du Carrache. Tous ces tableaux , qui repréfen-
' tent différens événemens de l’hiftoire de Pe rfe e ,
font.peut-être encore à Gênes. Le Marquis Gril-
lo , pour lequel il tra v a illa , le .pajra mieux
que n’avoient été payés dans leur temps les
artiftes dont il fe faifoit t e fmge. On eft fur-
pris , il éft vrai , en voyant ces tableaux ;
mais c’ eft de ce qu’ un peintre, qui d’ailleurs ,
ne manquoit pas de talent , ait fi mal employé
fes veilles , & qu’ un Seigneur Génois
ait fi mal employé Ton argent.
On rapporte que Bon-Boullogne faififfoit à
merveille la manière du Guide. I l fit un excellent
tableau dans le,goût de ce maître , que
Mohfieur'v,ffère ; de Louis X IV ’ , acheta chèrement
, fûr la décifion de Mignard , pour ujt
ouvrage du peîhtre Italien. Cependant le véritable
auteur, ayant été découvert, Mignard
déconcerté dit plaifamment pour s’ excufer :
» qu’ il faffe toujours des Guides , & non pas
» des Boullogne ».
Pour découvrir l’ artifice des p a flich e s, on
n’a guère, de meilleur moyen que de les com-
(*) Bien des peintres ont une manière habituelle d’ordonner
qu’on peut imiter, des tons qui leur,, font familiers
, & que l’on peut contrefaite. Mais il faudroit def-
finer comme Raphaël, pour contrefaire fon deflèin ; if
faudroit avoir .fon ame p.our contrefaire fon expreffipn ; il
fâudroit avoir fon génie pour contrefaire fa manière de
eonipofèr ; f entends ici par çômpofer, faire concourir
toutes les parties à l’objet que fartifte fe’propofe. ( JSôtt du Rédaâeur. )
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