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couleur nuit à l’accord effèntiel que le fpeétateur
attiré ne manque pas d’exiger , lorfqu’il s’eft
placé dans le point de vue du tableau. L a plus
grande partie des ouvrages des grands maîtres
font recommendables par l’accord & par l ’harmonie
, £oit de la couleur, loit de la compofîtion,
foit enfin du tout enfemble. Ce n’eft que dans
certains fujets que quelques Peintres célèbres ont
eu pour but d’attirer principalement la v u e , en
imitant certains effets b rilla n s , aux rifques qui
pouvoient en réfolter pour la parfaite harmonie
de leurs tableaux. Cette hardieffe peut être méditée
& autorifée dans certaines circonftances.;
mais le plus {ouvent elle n’eft dans la jeuneffe
que l’effet général d’une prétention peu raifonnéë ,
qui fait oublier que l’air interpofé , les re-
jailliffemens & les reflets de la lumière rompent
fans ceffe les couleurs & les tons de la
nature, pour la rendre véritablement harmonieufe ;
que ces effets font fi favorables à nos organes,
que nous modérons la lumière dans les lieux que
nous habitons le plus ordinairement, lorfqu’eilè
y devient partiellement pu généralement trop
brillante.
Pour revenir à la 'Peinture , il faut obferver
encore que les tableaux, au moment qu’ils font
terminés, font autorifés à offrir une forte de
brillant dans le coloris , qu’on peut nommer
fraîcheur de tons ; & que fi ce brillant paroit
quelquefois s’élever au-deffus de l ’accord harmonieux
qu’on defire, on doit i’e^cufer, dans la
certitude que fi le tableau eft peint d’une manière
franche & de couleurs folides , il acquerra, avec
le tems, ce qui peut lui manquer pour une' plus
parfaite harmonie. Piufieurs Maîtres, célèbres &
favans dans leur A r t, ont prévu cet effet inévitable,
& fe font permis un coloris plus brillant qu’il
n’aurôit dû l ’être, mais c’étoitpour que la diminution
opérée par le tems ne leur ôtât pas l’avantage
dont ils vouloient s’affurer pour la fuite. Si l’on
demandoit comment & par quels procédés la nature
opère ces changemens, qui font dire qu’un
tableau s’eft accordé, qu’il s’eft peint, qu’il s’eft
f a i t , il ne feroit pas facile de l’expliquer d’une
manière abfoiument claire pour tous les ledeurs ;
mais pour en dire quelque choie, je ferai obferv
e r , qu’une multitude d’atomes & de pouflïères
imperceptibles qui voltigent dans 1 air, s attachent
fur la {uperficie de la Peinture, rempliffent de
petites cavités que l’oeil n’y apperçoit pas, & que,
répandus ainfi fur la forface du tableau , ils
adouciffent la crudité des couleurs & les unifient
par une {orte de ton général. D’un autre côte ,
quelques-unes des parties colorées perdent de
l ’éclat par une infenfîble évaporation , & gagnent
de la {olidité en prenant p lu s de ton. Les ombres
furtout éprouvent cet effet, & le foin prévoyant
du Peintre eft de les compofer de couleurs qui ne
noirciffent pas. Ainfi , d’une part, l’air étend peu-
à-peu une force de voile harmonieux par l’effet
dont j’ai parlé d’abord ; & de l’autre, les couleurs
pendant allez longtems après avoir été employées,
confervent, s’il eff permis de s’exprimer ainfi ,
une forte de vie qui fait acquérir aux unes plus
de confîflance, & qui en fait perdre aux autres.
Il réfolte de ces obferyations , que l’Art du
Peintre, relativement à cette partie, confifte ,
non-feulement à colorier de manière à contenter
ceux qui jouiffent de leurs ouvrages, lorfqu’ils
viennent d’être produits ; mais encore à faire
une eflimation anticipée des changemens qui
doivent s’opérer fur le coloris.
BR1Q U E T É . Un tableau choifî dans la nature
n’a le plus ordinairement aucune couleur diftinc-,
rive & générale^ qui foit affez prononcée pour
qu’on lui donne un nom. Il eff bien rare que
l'on puifTe dire proprement que la nature loit
rouge ou bleue, ou d’une couleur rouffe ou briquette
; ce qui voudroit dire, qu’un afpeét qui em-
drafle un affez grand nombre d’objets , auroit généralement
une des couleurs que je viens de défigner.
On peut donc regarder comme un défaut qu’un
tableau rappelle au premier alpeâ une couleur
particulière. $
L e mot briquete défîgne une couleur d’un
rouge approchant de la brique ; quelques Peintres
rappellent dans leurs .ouvrages cette couleur, parce
que piufieurs teintes de leurs tableaux font rougeâtres.
Cette Angularité , ainfi que celles, du mérite
genre , proviennent de 1 habitude que fe fait
l’Arrifte d’admettre une couleur qu’il prend , pour
ainfi dire, en affe&ion, plus fou vent que d’autres,
dans les mélanges de fes teintes,. dans les pafilages
& dans les ombres. Cette habitude à fon
tour eft une négligence & un oubli habituel des
principes fondamentaux- du coloris. Quelquefois
elle eft occafionnée aufli par l’imitation fréquente
d’un maître qui avoit contra&é ce- defaut. On eft
encore entraîné à faire entrer certaine^ couleurs ,
ou plutôt certains tons dans les nuances, dans les
pafîàges & dans les ombres , par la facilité qu’on
trouve par ce moyen d’accorder généralement un
tableau. Enfin là couleur dont la toilè a été couverte
dans fon apprêt, peut y Contribuer. Ainfi,
lorfque la toile eft apprêtée avec une couch,e de
rouge-brun, comme il a été d’ufiage de les apprêter
généralement pendant un tems I il arrive
quelquefois que le ton de ce.t apprêt percé au
travers de piufieurs des couleurs don t on la couvre ,
& ie tableau peut présenter des tons briquetés, qui
ne proviennent pas du fyftême de colorer du
Peintre , mais de l’apprêt de fa toile.
Je trouverai ôccafion , dans piufieurs articles,
de m’étendre davantage fur l’influence' que le
fyftême, ou l'habitude ou la négligence â fe
défendre de l’abus des moyens de pure convention ÿ
ont fouvent dans la Peinture.
BRO CANTER , B RO C A N T EU R , BROCANT
E , B RO CAN TAG E. Brocanter, figmfie
vendit en détail ou troquet des taureaux, des
ouvrages de lu xe , des üijoux, des meubles d a-
grcment.
L e Brocanteur eft celui qui exerce cet te pro-
feflion , dont les opérations font d'autant pius
arbitraires, qu’eiles font fulceptioies de pius de
combinaifons mercantiles & plus dépendantes des
fantaifîes & des modes.' ,, .
L a Brocante ou le Brocantage font des termes
du J an gage familier 4e la Peinture, & ces^te mes
défiguent les opérations dont j’ai parle. ^On peut
obferver que notre langue offre , a 1 egard de
•quelques prefeflions ou métiers , des dénominations
qui emportent avec elles une .idée de la
manière dont ils font ie plus fouvent exerces.
On entend généralement par Maquignon > non-
feulement un homme qui vend troque des chevaux
, mais celui qui dans ce commerce eft taxe
de joindre fréquemment à l’inteiligence permife,
une adreffe & des artifices moins eilimap.es. On
a moins de confiance au Cabareùer quau Marchand
de vin-en gros. L e Brocanteur eft r e gardé
en général comme étant a peU-pres, a
l’égard des tableaux dont il fait commerce , ce
que ie Câbaretier & ie Maquignon fort à iegard
du vin & des chevaux. Le Brocanteur eu donc
taxé juftement ou injuftement de vendre ou de
troquer le plus adroriment 8i le plus avaritageu-
fement qu’il le peut, des marchandifies fouvent
déguifées & frelatées. L ’idee qué le Public a
attachée au nom de Brocanteur, devroit naturellement
mettre enrgarde ceux'qui, 'pour fat.s-
faire leur goût & leur fanta.fie, acheter.t, ou fe
défont de ce qu’ils ont acheté ; mais, par une
forte de fatalité , l’Amateur peu exper.menté
accorde d’autant plus facilement fa confiance au
Brocanteur' que fes dtfirs font plus ardens. Il
^ft vrai que le Brocanteur, qui n’ignore pas que
le nom qu’il porte doit être un fignal de précautions
& de défiance pour ceux qui achètent de lui,
repofe fa confcience for le loin qu’on doit avoir
de fe mettre en garde. Caveat emptor eft
la bafe de- fa tranquillité morale ; &• pour la
rendre plus inaltéraole , il eft le premier à'établir
les lumières & la fagacité des Amateurs , en
leur prodiguant ces qualités-, en rai fon de la
générofité & de la'confiance qu’on montre à
fon égard.
Au refte , il faut obferver aufli que le jugement
& l’appréciation des tableaux qu’étale le Brocanteur
, ex gero-it fouvent, de la part des acheteurs ,
une fineffe, une perfpicacité & des connoilfances
qui font le partage d’un bien petit nombre d’Ama-
teurs & d’acheteurs. Diftinguer la manière des
maîtres, eft une de ces connoiffances ; mais il
eft un fi grand nombre de maîtres , qu’il eft difficile
de bien conferver la mémoire & les caractères
diftindifs de chacun. D’ailleurs, piufieurs
étant élèves les uns des autres', fe font reffembiés
de manière à faire tomber dans la méprife ; & ,
ce qui eft plus fâcheux, on peut parvenir â les
copier avec une telle adreffe , qu'on y foit aifiément
trompé. Dans l’Art,de l’Ecriture, non-feulement
le fauiïàire eft puni, mais pour le Juger & le
convaincre, il exifte des Vérificateurs autorifés:
dans l’Art de peindre , le copifte eft d’autant pius
loué , qu’il trompe davantage , & il n’exifte point
encore de Vérificateurs en titre à qui l’on puifle
avoir recfours. .
L ’Amateur novice eft donc expofé à être
trompépfemièrement dans la connoifiance des
maîtres, & dans1 la diftinéLon qu'il lui faut faire
entre l’original & la copie ; mais il n’eft pas au
bout des épreuves de fon noviciat.
L e Brocanteur, expert dans tous les moyens
de fa profefliori , fak retoucher , repeindre ,
donner à propos au tableau^le caractère refpec-
tabie de l’ancienneté, ou la fraîcheur & /éclat
d’un âge moins impofant.il ne fe croit point
obligé de répondre que ces caractères durent au-
delà du teins néceffaire au marché. L doit encore
. avoir le talent d’expofer fe s . tableaux au jour ie
plus favorable, de le parer d’une bordure qui
annonce un ouvrage diftkgué & précieux. Il fait
le vernir de manière à lui donner un éclat qui
féduit même en éblouiffant les yeux. Dans le
nombre infini des artifices de la profeflion dont
je parle, & dont fous les détails ne me font pas
. connus , je ne dois pas oublier les facilites ir.fi-
dieufes que donnent ceux qui l’exercent, lorfou’à
l’aide d’un crédit onéreux, ils éludent la difficulté
qu’auroit l’acheteur à s’acquitter avec lui.
Alors le prix for lequel il n’eft plus trop facile
de fe débattre , n’a d’autre bafe d’évaluation que
le defir de l’afoeteur & la cupidité du marchand.
Je dois mettre encore du nombre des mo) ens
utiles au Brocanteur, les trocs dans lefquels il
eft naturel que le plus inftruit & le plus exercé
ait l’avantage. . ,
Avec l’amour de la juftice & de fon prochain ,
ne feroit-on pas porté à defirer, lorfou’on voit le
goût des tableaux devenu jouiffance de lu x e ,
multiplier de plus en plus les Brocanteurs & leurs
viâimes, qu’il fut pnffible d’établir une ccmrnif-
fion d’Artiftes-Vc rificateurs , auxquels ceux qui
feroient affez modefte$ pour convenir de leur peu
de lumières, ceux qui fans Tecours fort obligés
de s’inftruire à trop grands frais, & qui quelquefois
, fomblables aux joueurs , fe croyent autorifés
par leurs pertes à faire quelques dupes,
après s’être laffés de l’être , pourroient avoir recours
dans foccafiôn ? «
Un fouhait qu’on pourroit encore faire , feroit
que quelque Bro canteur, bien irflruit des myf-
tères de fa profeflion , voulût bien donner au
Public les détails de tous les moyens dont il
auroit connoiffance, Un‘ ouvrage d’un Arrifte efl;-
L ij