
En effet , l’ avantage auront les tableaüx
offerts dans un jo u r favorable eft femblafile a
celui que reçoit' un poëme bien lu , ou un
drame bien repréfenté. _
Pour revenir à l’artifte occupé de fes travaux,
il doit étudier ce que produit fur fon modèle
un jo u r plus bas ou plus é le v e , plus etendu
ou plus referré. Toutes ces circonftances offrent
des différences dans les effets , & même , à
quelques égards, dans le cara&ère des objets,
ainfi que dans leur couleur. Un jo u r ferré &
tombant de haut rend l'es phyfionomies férieufes
& triftes , les ombres tranchantes , & diminue
l’ harmonie que produifent les reflets *, mais il
offre des effets qui paroiffent piquans. Je penfe
que cette illuffon eft dangereufe. E lle conduit
à l’obfcurité trop grande des ombres , & à
rendre le paffage des lumières aux ombres trop
brufque.
I l faut o b ferver, à l’égard de cette difpofi-
t ’on , que les ombres noirciffent le plus ordinairement
par l'effet du temps : ainfi les tableaux
faits d’après les modèles éclairés, comme
je viens de le dire , contra&ent de plus en
plus , en- v ie illiffan t, un défaut d’ harmonie ,
& font connoître le vice de la méthode que
le peintre a fuivie. Au re fte , la difficulté la
plus grande qui fe rencontre pour les peintres
d’hiftoi're, c’ eft la différence toujours infiniment
grande entre un jo u r renfermé, qui eft
celui dont ils éclairent ordinairement leur modèle
, & le jo u r qu’ils ont à imiter dans tous
les fujets dont l’a&ion fe parte en plein a i r , &
doit même quelquefois être éclairée de la lumière
du foleil.
Le fouvenir des effets qu’on a obfervés avec
attention, eft la reflource des artiftes : reflource
fouvent incomplette, mais prefque la feule que
puiflent avoir les peintres, puifque , dans notre
clima t, on ne peut que bien, rarement peindre
en plein a i r , & qu’ il eft plus difficile encore
d’y placer le modèle*
Cette obfervatîon , fur laquelle les auteurs
qui ont traité de la peinture infiftent peu , ou
qu’ ils partent fous filence , touche cependant
un point très-important ; c a r , la différence qui
fe trouve à cet égard entre l’imitation & la
nature, eft une des raifons phyfiqües qui s’op-
pofent, fans qu’on s’ en rende compte, à Til-
lufion que cherche à produire la peinture.
I l n’ exifte peut-être pas un tableau repréfen-
tant un fujet dont l’ a&ion fe parte en plein air,
q u i, peint dans l’ a ttelier, ait la vérité générale
de couleur & d’effet qu’ offriroit la nature en
femblable circonftançe.
I l feroit important, fans doute, pour atteindre
à la vérité de la couleur, & pour bien con-,
nokre l’harmonie, de pouvoir peindre, quetf*
quêtais au moins, d’ après des modèles éoiairés
en plein air par la lumière générale , & même
par le fo le il, comme quelques artiftes ont peint
le payfage & quelques objets inanimés.
Le peintre , dans ces fortes d’études, s’ enri-
chiroit d’une infinité d’ effets, de tons, de re-
jaillifl’emens de lumières, & de reflets que ne
peut offrir l’ intérieur d’un attelier où la lumière
ne pénètre que par un feül endroit, & qu’on
hafarde rarement d’après le fecours toujours trop
incertain de la mémoire. On prétend que Rubens
a pratiqué quelquefois ce genre d’étuae difficile j
au moins peüt-on croire qu'il a obfervé & qu’ il
a bien retenu les effets que produit une lumière
libre & brillante fur les corps.
Le diapafon de cet artifte ( fi l'on peut fe
fe rv ir, en parlant de la peinture, de ce terme
de mufique) eft monté fur un ton fi éclatant,
qu'on peut croire que fes obfervations, ou les
études dont je viens de parler, y ont contribué.
Le ton général de notre é cole, accordé fur
; une lumière intérieure, provenant d’ un ciel
fouvent g r is , & chargé de vapeurs humides,
décèle l’ ufage qu’ont nos artiftes de travailler
toujours dans des atteliers éclairés d’ un jo u r
intérieur & reftreint à fon partage.
Je ne penfe pas cependant que cette caufe
foit la feule qui contribue au reproche qu'on
fait à la plupart des peintres francois relativement
à la couleur. Rien n’eft encore fi incertain
que la caufe qui rend quelques-unes des
écoles célèbres plus diftinguées par le mérite de
la couleur que les autres.
Je dois -en v e n ir , enfin, à ce qu’on entend
par les jou rs d'un tableau -, mais ce que je dirai
aux mots lumière ( i) & a ccord, étant commun
à ces différens termes, je me contente de raf-
fembler, en forme de maximes, quelques obfervations
qui peuvent être regardées comme
importantes fur ce fujet pour ceux qui pratiquent
la peinture.
Artifte s, on eft: bien tenté de ramener i c i ,
un inftant au moins, le mot jo u r à fon acception
la plus ufitée, pour vous rappeller ce précepte
qu’Apelles réduifoit en pratiqi;g : Ne partez
pas , s’ il eft poffible, un feul jour fans deffiner
ou fans peindre d’après la nature, ou tout au
moins d’après de bons originaux.
Pour revenir au fens dont il eft queftion
dans cet article , fongez que les jou rs que vous
devez diftribuer fur votre compofition , font
abfolument décidés lorfque vous en avez fixé le
fo ye r , & qu’ ils peuvent ê tre, d’après ce point
donné, fournis à une fcience exaéte & pofitivei
( i) L ’article L u m i h r z ne s’eft pas trouvé dans les
pa£ie» de M. Watelcr,
fouvenez-vous que les lois de la perfpe&ive, 1
qui eft cette fcience, font l’ interprétation des
lois de la nature (i>. Si vous croyez pouvoir
vous pafler de recourir aux opérations que pref-
crit cette fcience, on peut vous traduire à fon
tribunal & vous y juger.
Les jou rs de votre tableau ne font donc pas
arbitraires. Dès qile vous en avez fixé le fo ye r ,
le premier que vous répandez détermine erten-
tiellement tous les autres.
Répétez-vous fouvent, en prenant votre pale
tte , qu’ elle ne contient aucune couleur qui
foit lumineufe par elle-même.
Le blanc n’ eft pas plus le jo u r ou la lumière,
que le noir n’eft la nuit ou l’ ombre.
Le jou r eft une expanfion continue de la
lumière -, l'ombre en eft une privation partielle.
Mais le blanc n’ eft que du blanc , avec le
fecours du qu el, à la vérité, vous pouvez mo-
difier chaque couleur; & le noir n’ eft que du
noir, dont l’ emploi eft dangereux*
Ces deux couleurs ne deviennent que trop
aifément & trop fouvent des taches dans un
tableau. ( Article de M.
Parties du JO U R . Le peintre, en colorant,
devroit ne fe difpenfer jamais de fixer dans~
fon imagination l’ inftant du jour où fe parte
l ’aétion qu’ il repréfente. Ses .études, fes obfervations
ont dû lui faire diftinguer les différences
qui cara&érifent la lumière, & pàr con-
féquent les couleurs dans le s principaux mo-^
mens de la journée, & dans les différentes faifons.
S’il n’ a pas fait ces obfervations très-eflentielles,
ou il ne fera aucune diftin&ion entre les divers
accidens que la lumière éprouve dans les différentes
parties du jour, & alors il ne s’ occupera
qu’ à régler les effets des lumières & des ombres
d’après un ou deux points donnés j ou bien il
adoptera feulement une diftin&ion vague de la
lumière du matin & de celle du foir. Dans la
première fuppofition, les effets qu’ il établira
pourront être très-juftes -, mais la couleur des
lumières & des ombres étant pour lui toujours
la même , on croira, dans tous fes tableaux,
voir toujours le même tableau. Dans la fécondé
fuppofition , il aura deux manières au lieu d’une,
( i ) L ’obfcrvatiôn de ces lo ix n ’eft pas toujours rigou reufe ,
puifque le peintre a la liberté d’ introduire des lumières 8c
des ombres a c c id e nte lle s , do nt la caufe . qui doit toujours
être vra ifem blab le , peut être fuppofée hors du tableau.
D ’a illeu r s , comme le s lo ix du deffin , au moins dans le
grand f t y le , lu i ordonnent de négliger les petites fo rm e s ,
qu’ on appelle les pauvretés du m o d è le , celles du clair-
o b fcu r, ou plutôt de l’ harmonie , lui prescrivent d eteindre
d e petites lumières qu’ offre la n a tu re , mais qu i dettuiroient
l’ accord de fo n ouvrage 8c le fe raien t papilloter. (, Note
du Rédafleur. )
& c’ eft encore s’éloigner trop peu de la mono**
tonie dans un art qui a de fi grandes reffources
pour l’éviter. Les deux défauts que nous venons
d’ indiquer tiennent un rang confidérable entre
les caufes qui la produifent.
Dans les fujets aeriens, & qui fe partent dans
la campagne , le peintre a encore , pour la
variété de la couleur , une grande .reflource dans
l’ obfervation des différentes faifons. Chacune
d’elles porte un caraéière de couleur bien marq
u é , indépendamment des çcçidens qu’elle*
occafionnent dans les êtres infenfibles, des d ifférentes
occupations qu’ elles impofent aux êtres
vivans, des différens vêtemens qu’ elles obligent
les hommes d’ adopter. (A rtic le de M. î^ a t e l e t .)
J ü
J U G E M E N T , (fubft.mafe.) On entend,
par ce m o t, une décifion portée fur un objet.
» Le jugement, à-peu-près général, des artiftes
» & des connoifleurs qui ont vu le tableau de
n la transfiguration, doit perfuader à ceux qui
» n’ ont pu le v o ir , que c’ eft le chef-d’oeuvre
n de Raphaël.» Voyez fur ce mot, pris dans
cette acception, les articles A m a t eu r , C on-
N O I S S AN C Ê , C R I T IQ U E .
v On entend aufli, par ce mot, la faculté de
juger les convenances d’ un objet même avant
qu’ il exifte. C’ eft une qualité bien eflentielle
aux artiftes & à ceux qui les emploient.
L’artifte a déjà trouvé le fujet qu’ il doit
traiter. C’ eft au jugement à lui faire connoître
quelles figures il doit y faire entrer, quelles \
font les figures qu’ il pourroit y admettre , &
qu’ il fera cependant mieux de rejetter -, dans
quelle difpofition il doit les ordonner pour
qu’ elles contribuent, aufli puiflamment qu’ il eft
poffible , à l’ effet que doit produire ce fu je t ,
o u , ce qui eft la même chofe, à fon expreffion
générale. Aucune de ces chofes n’ exifte encore
que dans le jugement de l’artifte •, car s’ il les
avoit placées fur le papier ou fur la toile avant
de.les ju g e r , il les y auroit portées par un
fimple mouvement de fa main, & fans aucune
participation de fon jugement. Manière abfurde
d’opérer & qui cependant n’ eft pas fort rare.
C’eft aufli d’ avance que \e jugement doit régler
le fite , les accefloires, le choix de la lumière ,
la couleur générale.
Cette qualité de l’ eforit eft néceflaire à ceux
qui emploient les artiftes, pour ne pas contrarier
les convenances du lieu , des circonftances,
de l’ emplacement, & c .
Mais comme le jugement fuppofe des idées
fur lefquelles il opère , & que les idées de
l’ art en fuppofent des connoiffances étendues &
précifes, qui appartiennent fpécialement aux
a r t ifte s , le meilleur ufage que pourra faire de
N n n ij