
doit être vu dans un grand efpace, tous ces ouvrages
fouftrenc & exigent meme d’être heurtés.
Les tableaux de chevalet, ceux deftinés à des
appartenons intérieurs , les peintures qui décorent
des lieux très-recherchés, très-ornés & de petite
dimenfîon, manqueroient d’un attrait qu’on y
délire, s’ils n’étoient point carejfés.
Les fleurs, les oifeaux, les objets précieux
demandent que leurs imitations foient aufli ca-
rejjees qu’ils i èmblent l’être eux-mêmes par les
mains de la nature.
Il faut enfin que les beautés qu’elle paroît fe
plaire à carejjer en les formant, & "qu’elle def-
tine à recevoir l’hommage de nos carejfes-, re çoivent
aufli, dans l’imitation qu’en fait l'Àrtifte ,
celle du pinceau, car en nous donnant l’idée de
la douceur, de la légèreté, de la délicateffe,
avec lefquellesil a été promené fur les couleurs,
pour les unir parfaitement, fans leur ôter leur
fraîcheur & leur éclat, le Peintre nous rappelle
la douceur & la délicatefïè dont la nature les-a
doués
J e dois obferver que le earejfé plaît généralement"
au plus grand nombre, & fur-tout à ceux
qui n’ont point alfez réfléchi, fur la théorie & la
pratique de l’A r t , peur entrer dans les conventions
auxquelles il eft indifpenfablement fournis.
Mais ce penchant naturel tourne au défavan-
tage de l’A r t , parce que le earejfé que le plus
grand nombre exige de la Peinture, eft une forte
de flatterie, par laquelle ceux qui manquent de
connoifïànce, veulent être feduits.
C A R IC A TU R E . Ce mot-eft abfblumerit du
langage de l’A rt, mais nous l’avons emprunté
du terme Italien caricatura, dont on n’a changé
que la termir.aifon. Nous nommons aufli charge,
en langage de Peinture, c e.qu e les Italiens
nomment caricatura, & nous avons adopte le
mot caricature , emprunté d’eux plus littéralement.
On pourroit penfêr que le mot charge a
un rapport figuré , avec une accumulation quelconque
; & la charge pittorefquë ou caricature
en eft une èn effet de ridicules, fous lefquels on
fait plier les formes, les proportions, les traits,
qu’on veut foumettre à la dérifîor.
L a caricature eft donc dans la Peinture , ce
que l’imitation burlefque, ironique & même fa-
tyrique , eft dans la Pcefie.' Si l’on vêtit démêler
quelques-unes des caufes qui excitent les
hommes à fe complaire dans le buriefqué & dans
les caricatures, il faut obferver que le férieux
& Je g a i , la pédanterie & l’ironie" hurlefques font
des formes générales de l’e fprit, qui ont été
adoptées & emplojées par les hommes de tous
les tems & de tous les pays. Ces formes , fi l’on
y réfléchit, font fi utiles dans les fociétés humaines,
qu’on peut les croire indifgenfàbles,
quoiqu’elles paroifïent fouvent peu importantes
& qu’elles foient quelquefois nuilîblés.
L e férieux, porté jufqu’à la pédanterie, fou-
tient l’ordre & les formes néceflaires aux hommes
raffemblés , mais elle ne manque guère de pafler
la mefure qui la rend utile. Alors la gaieté, portée
de fon côté jufqu’à Pironie en-fait juftice, &
celle-ci à fon tour eft reprimée par l’ordre &
les formes rectifiées & devenues à cette occafîon ,
plus raifonnables.
Les caricatures empruntent donc de la gaieté
de l’efprit le droit de préfenter fenfîblement par
les moyens que donne la Peinture , les ridicules,
& de rendre fur-tout rifibles , l’excès de la gravité
, les affeétations dans le maintien , dans les
traits, les finguiarités des ajuftemens, & ce que
les aétions peuvent offrir de contraire aux convenances
& aux. bienféances.
Les caricatures développent , èn exagérant
les formes, les caradères différens des phjfione-
mies , & c’eft d’après quelques-unes de ces exagérations
que des Auteurs ou des Artiftes, conduits
par l’imagination, ont trouvé & fait apper-
cevoir des reflèmblances vifîbies & frappantes
entre divers animaux & certaines phyfîonoraies*
Ariftote dit que les Arts., dans leurs imitations,
font les hommes, ou tels qu’ils font,, ou meilleurs
qu’ils ne font, ou enfin plus mauvais.
L e Peintre* ou le Deffinateur de -caricatures
les fait plus mauvais ; mais il peut, comme dans
la Comédie, avoir un but moral, & alors il; ne-
dit pas : Voilà comme vous êtes ; mais, voilà
comme vous affeCtez d’être. Telles font les caricatures
du célèbre Hogart, qui en exagérant
les caradères , les ufages & les moeurs de fes-
compatriotes, eut fans doute intention de les-
corriger.
L a caricature eft alors un miroir qui groflit les-
traits, & rend les formes plus fenfîbles. Mais ,
puifque j’ai comparé ce genre de caricatures a
la Comédie , qui charge les défauts & les ridicules,
pour qu’on les évite. Je dois dire aufli
que'cette reffemblance T ni l’exemple d’Arifto-
phane ne juftifient pas au moins parmi nous les.
caricatures perfonnelles & faites dans une intention
particuliérement fatyrique. Les fîècles qui,
à force d’être cultivés , parviennent enfin à une
forte de dégoût & d’ennui des occupations , 8c
même des plaifîrs, s’accrochent, fi l’on peut parler
ainfi, pour rémédier à ce m a l, aux exagérations
de tout genre, fuflent-elles même blâmables.
C’eft par cette rai fon qu’ils fe rèndent plus
indulgens pour la fatyre perfpnnelie , pour la
Comedie qui défigne les individus, pour l’épi—
gramme , pour les exagérations des fentimens y
les accumulations d’événemens , & ils le feroient
pour la caricature pittorefque la plus mal intentionnée
& la plus injurieufê , fi les fênfàtions
qu’elle peut procurer étoient d’une plus grande
reffource, & à la portée de plus de. monde.
J ’ai déjà dit au mot Decence , que l’intention
étoit le juge des Artiftes dans tous les cas de
confcience de leur Art. J e les renvoyé encore
à ce Tribunal pour le genre dont il s’a g it, en
leur recommandant, lorfqu’ils deflinent des caricatures
fans mauvaife intention, & feulement
par gaieté, ou de l’aveu même de ceux qui en
font l’objet, de ridiculifer plutôt les formes que le
caraCtère moral. Car un homme ( je ne fais fi je
dois dire aufli une femme ) fouffrira plus aifément
que la caricature exagère quelques défauts de
fa taille, par exemple, que de fon efprit. Les
caricatures qui fe font à l’amiable, gardent ordinairement
une jufte mefure , & font Amplement
rifibles.
Les charges font donc quelquefois des jeux de la
Peinture ; comme les grotefques, dans la compofî-
tlon defquels on les fait entrer. Elles peuvent prétendre
, relativement aux Artiftes, à une forte de
mérite, car lorfqu’elles font tracées promptement
&pour ainfi d ire, par un trait fpirituel y elles prouvent,
indépendamment d’une grande facilité, une
figacité fine à faifir les caractères &les expreffions.
D ’ailleurs, ne coûtant que quelques inftans, elles
r.effemblent mieux à un jeu & donnent la preuve ,
en cas qu’on y démêle quelque malice, qu’au
moins elle n’a pas été méditée.
Quelques maîtres qui ont donné des préceptes
ou des confeils , exhortent les Peintres à porter
toujours avec eux des tablettes ou de petits
cahiers, & à tracer les caractères des phyfîono-
îèies , & les expreflions qui les frappent. Il eft
naturel, dans ces fortes d’études pâffagères, &
qui ne permettent qu’un inftant, que l’Artifte
charge plus ou moinsp our mieux graver dans
fon efprit ce qu’il a obfervé. Ces efpèces de
caricatures font deftinées à être en quelque forte
fecrettes & au feul ufage de l’Artifte qui les fait.
Il en devroit être ainfi des obferyations que les
hommes qui s’appliquent à étudier leurs fembla-
bles, font habituellement & écrivent quelquefois,
c’eft l’ufagè"que les uns & les autres font de ces
déux efpeces de caricatures , ainfi que l’intention
qu’on a eue en les faifant, qui les juftifie
ou les condamne.
Léonard de V inci non-feulement a confeillé les
études dont je parle, mais il les a pratiquées ,
& nous poffédons des caricatures qui ont été gravées
d’après fes deflïns. Elles fembient, la plupart
, avoir pour but de perfonnifier., pour ainfi
dire , quelques-uns des caradères moraux les plus
ordinaires aux hommes dans certains états. On
verra dans quelques copies de ces gravures qui fe
trouveront dans le fécond Dictionnaire , quelques
exemples des cari-ratures que j ’ai dit avoir été faites
pour rapprocher les traits humains de ceux de
quelques animaux, & l’on y trouvera aufli des
copies de quelques-unes des charges de V in c i,
dans lefquelles on démêle les caraCteres , les pen-
3 ea u x -A n s . Tome I,
chants & les nuances d’idées affeCtées à certains
états ; par exemple, la pbyfionomie madrée, revêtue
du froc d’un Moine, un homme à qui le
menton, exceflivement long, donne un air de
bonté qui touche à la niaiferie ; un autre, dont
le menton, exceflivement retrouffé , le nez aigu ,
la bouche rentrée, & relevée par les coins , donnent
le caraCtère comique & un rire fardonique.
habituel. On y voit des traits boudeurs, grondeurs,
importans, cauftiques; des têtes, telles,
que les modèlent avec le tems la parefïe du dé-,
foeuvré, l’ëmbonpoint du gourmand , la luxure
du mondain, la vie végétative du Cénobite , l’in-
fouciance de la richeffe , la bonhomie de l’homme
fîmple, le dédain de l’orgueil, la maufladerie de
l’efprit mal-fait, le contentement de l’amour-
propre , la groffe fineffe ou gaieté de l’homme
fans éducation, le rire bête ou affeCté du niais,
la méditation habituellement trifte du mélanco^
lique, &c.
Ces échantillons pourront faire imaginer à ceux
qui n’en auroient pas d’idée, combien le genre
des caricatures eft étendu, & quels font fes avantages
& fes inconvéniens.
CARNATION. J’ai raffemblé, comme on le
verra, à l’article Coiileur qui appartient , ainfi
que Carnation & coloris, à la lettre C, des notions
dont la réunion m’a paru convenable. Je
me permets d’autant plus aifément cette réunion ,
que ces trois mots font deftinés dans l’ordre du
DiCHonnaire, à fe rencontrer fort voifins les uns
. des autres.
Cependant, pour que le LeCteur foit quelque
peu dédommagé de la peine qu’il prendra , s’il
confulte cet Article, je dirai ici' d’avance que le !
mot carnation défigne, en langage de l’Art,
comme dans la langue générale, l’apparence que
nous offre dans la nature , la couleur de la peau,
■ & principalement celle du vifàge.
Le mot carnation lignifie aufli l’imitation que
les Peintres en font, lorfqu’ils peignent la figure
humaine. Il défigne enfin la manière qu’employent
les Artiftes pour imiter la couleur de la peau &
fur-tout du teint. Ainfi l’on dit, d’après le fens
le plus général ; les femmes Hollandoifes ont allez
univerfellement une belle carnation. Ce qui veut
dire qu’elle^ ont la peau & le teint blanc, &
aufli colorés qu’il le faut. On dit, en appliquant
le mot dont il s’agit à la Peinture , Rubens donne
beaucoup d’éclat à fes carnations , & l’on peut dire
aufli à fon occafîon : Les carnations de ce Peintre
célèbre font reconnoiiïables par les tons brilians
& les paflages fins qucil y mêle ; mais les carnations
de Wandyck, non moins recommandables,
ont plus de vérité.
CARTONS. On appelle cartons, dans le lan-
I igage de là Peinture, des deflins de figures- ou
de çompoficions dont le trait eft fur-tout rendu
N