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«fctcnu -, il ne regarda plus fon ami que comme
un rival nuifible, qu’on employoit à des ouvrages
dont lui-même feroit chargé fe u l, s’il pouvoit
le débarrafîer de cet émule. I l "l’attendit dans
une rue écartée, & l e poignarda. Le malheureux
Dominique , mortellement blé flë , mais
parlant encore, fe fitporter chez fon aflàflin qu’il
n’avoit pas reconnu , & rendit le dernier Ibupir
dans les bras de ce mon lire qu’il regardok encore
comme fon ami. Ce fut André q u i , au lit de la
mort, avoua lui-même fon crime.
P isa n e l io 3 élève de l’ odieux Caftagna, fut
peintre, fculpteur & graveur de médailles , &
îediftingua dans ces trois genres. Enfin parurent
G h irlandaio , d’abord Orfèvre , enfuite peintre
& maître de Michel - Ange ; & A ndré V er-
rochio , peintre & fculpteur & maître de L éo nard
de Vinci. Ghirlandaio mit dans la compo-
lition une intelligence inconnue jufqu’à lui :
Verrochio peignit durement, mais il introdui-
fït la fcience dans le deflin & fut donner de la
grâce aux têtes de femmes. Ce fut lui qui trouva
le moyen de mouler en plâtre les vifages
des perfonnes mortes & vivantes, pour donner
aux portraits plus de reffemblance.
L éonard de V in c i , né en 1 4 4 5 , fut doué
avec profufion des dons de la nature. I l avoit
la beauté des traits, celle delà taille & le s qualités
brillantes de l’ame & de l’ efprit ; 8c joignoit
à la plus grande force corporelle une aufîi grande
agilité. I l mit tous ces dons en valeur & cultiva
tous les talens & tous les arts. L’univerfalité
de fes difpofitions lui donnoit une efjjèce d’ inquiétude
qui l’ empêchoit de fe fixer a un feul
objet , parce qu’ un fenciment intérieur fembloit
lui annoncer qu’ il étoit capable de les embraffer
tous. I l danfoit avec grâce , montoit bien à
ch e v a l, fe diftinguoit aux exercices de l’ef-
erime , jouoit bien de plufieurs inffrumens ,
avoit des connoiflances allez étendues dans l’hif-
toire naturelle , fcience alors naiffante comme
toutes les autres. Quand il n’auroit été qu’ homme-
de L e ttre s , il auroit été eftimé par fes talens
& fon érudition. Créfcembeni n’héfite pas à le
compter entre les reftaurateurs de la Poéfte Italienne’.
On n’a confervé de lui qu’un Sonner,
que nous rapporterons ici*parce qu’il eft peu
connu.
C h i n o n pub qu el che v u o l , quel ch e puo v o g lia :
C h e quel che non fi pùo ; fo lle è' volere :
Ad u nq u e fag gio è l’ huomo da tenere
C h e da qu el che non p u o , fu o v o le t toglia.
P e ro ch’ o gn i dilctco n o firo , e d o glia
S u in s i e n ô faper vole r p otere, /
A d unq ue quel fo l puo , che col dovere
trahe la rag ion fuor di fua fogIi&.
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Nè fempre è da voler quel, che l’huont puotej
Spelfo par dolce quel, che corna amaro.
Eian.fi già quel ch’io volfi, poî ch’io l’hebbi.
Adunqae tu, lettor di quelle note,-.
Se a ce vuoi elfer buono, e agli aitri caro,
Vogli fempre pote* quel, che va debbi.
Cette oppofition tant de fois répétée entre
I e vouloir & le pouvoir a fans dotite quelque
choie d’ affeélé, c’ étoit le vice du tems ; mais
les Tercets ont en même tems un ton de fagefle
& de fenfibilité. » Il ne faut pas toujours vouloir
» ce que l’on peut. Souvent ce qui paroît doux
» devient amer •, j ’ai pleuré fouvent , après
» avoir obtenu ce que j’ avois défiré. O to i, qui
» liras ces vers , fi tu veux être utile à toi-mê-
» me & cher aux autres, veuilles toujours ne
» vouloir que ce que tu dois. »
Léonard ne négligea aucun des arts qui tiennent
au deflin. I l étudial’Architefture , exerça
la Sculpture & fit de la Peinture fa principale
occupation. Ses progrès y furent fi rapides, que
\eVerrochio, fon maître, fe reconnoiffant vaincu
par fon élève , abandonna les pwiceaux 8c,
fe borna uniquement à. la Sculpture. Le jeune
artifte donna pour fondement au deflin l’étude
des Mathématiques , de la Perlpeftive , de l’Optique
j & celle de l ’Anatomie. I l s’appliqua
auffi à la Mécanique.
Appellé à Milan par le Duc Louis Sforze ,
dit le More, il eut la direction d’une Académie
de Peinture & d’Architeéhire; que fonda
ce Souverain. Ce fut à Milan qu’il mérita d’être
compté parmi les plus habiles Ingénieurs , lorf-
qu’i l conduifit dans, cette V ille les eaux de
l’Adda par un canal dont les jïlus favans artiftes
avoient cru jufqu’alors l’ execution impoflible-
II vainquit tous les obftacles que lui oppofoit
la nature , 8c força les vaifleaux à s’éleyer fur la
cîme des montagnes , pour defeendre enfuite
dans des vallées & trouver encore de3 montagnes
à franchir.
Spirituel & fenfible, il s’attacha dans*la Peinture
à l’ expreflion des affeftions de l’ame ; 8c
f i , dans cette fublime partie de l’art , .il fut en-
fuite furpaflé par Raphaël, il eut du moins la
gloire de furpaflé r. tou s les peintres qui l’ avoient
précédé, ou plutôt d’ouvrir une route jufqu’alors
inconnue. I l fu t, pour fon tems, aflèz bon co-
lorifte -, on peut même le regarder comme le
premier des anciens peintres Florentins pour la
couleur , quoique fes carnations tirent en général
fur la lie , & que la teinte générale de
fëà tableaux foit violâtre. Aucun peintre ayant
lui n avoit donné tant de grâce à fes figures.
Son deflin étoit pur & précis 8c ne manquoît
pas de grandeur. I l ne s’ éleva pas àu-deflus de la
nature , mats il ne Limita pas fans choix. S’il
ne vainquit pas tout-à-fait la roideur qui fa illit
É c o
encore le cara&ère de l ’ a rt, c’ eft qu’ on ne con-
noifloit pas cette ligne ondoyante qui femble toujours
tendre à la droite &: a la circulaire & qui
» ’efi jamais ni l ’une ni l’autrè. #
Ses ouvrages étoient très - finis i mais il ne
^put s’ exempter de la fëcherefle qui étoit encore
augmentée par la pratique qu’il avoit de trop
marquer les contours qui doivent ;en :quelque
forte fie-perdre. Cependant on ne peut lui faire
ce reproche de fecherefle que par comparaifon aux
bons peintres qui l’ont fuit» , car il eft coulant
8c moëleux , fi onle compareAux artiftes de fon
terne. ‘Ses ouvrages avoient une qualité qui eft
fort eftimable & qu’on defire fouvent dans de
bons tableaux ; c’ eft que les figures fe diftin-
guent nettement de loin. .
On raconte que dans un voyage de Florence a
R ome où il accompagnoit le Duc Julien deMedi
Gis , il fit pour l’amufer de petites figures epi vo-
loient en l’ air 8c redefeendoient enfuite à terre.
Ce jeu de Léonard n’ auroit-il pas quelque rap- '
port avec l’ invention des-ballons aëroftatiques
I l avoit trop de mérite pour ne pas éprouver
les traits de l’ envie. I l fut- dégoûté duféjour de
Florence & de Rome par les persécutions de
Michel-Ange qui affe&oit de le méprifër , §cqui
1» livroit aux railleries de fes élèves* Sans
doute Michel-Ange: étoit bien fuperieur à L eo n
a rdpat la grandeur & lafierte de la conception
8c par la fcience profonde du deflin.-, mais Léona
rds fon tour lui étoit lupérieur dans toutes les
parties aimables de l’ art.
Pour fe fouftraire aux dégoûts qu’ il éprou-
yoit; dans fa patrie, cét artifte, presque fiep-
tuagénairë-, fe rendit à l’invitation de François
premier, & vint en France, où il vécut peu de
temps. I l mourut à . l’âge de foixante & quinze
an s , en 1 5 1 0 , entre les bras du Monarque, ti •
Nous croyons devoir rapporter ici- le jug e ment
que Rubens a porté de Léonard. Les juge-^
mens des grands artiftesfont en effet des leçons,
puifque ce^q.u’ ils approuvent eft ce qu’ il eft
avantageux de pratiquer. Nous tran fer irons
la traduélion de de. Piles -, il avoit entre les
mains le manuferit latin de Rubens que nous
ne connoiffons pas ., 8c qui peut-être n’ exifte
plus. . ■ :
Léonard de Vinci , dit le grand maître de
» Vécole de F lan d re , commençoit par exami-
» ner toutes chofes félon les réglés d’ une exafte
» théorie, & en faifoit enfuite l’ application
» fur le naturel dont il vouloit fe feryir. I l ob-
» fervoit les biènféances & fuyoit toute affec-
» tation. I l fa voit donnera chaque objet le
» caraâére le plus v i f , le olus foécifiaatif, &
» le plus convenable qu’il ell: pofiible., & pouf-
» {bit celui de la majefté jufqu’ à la rendre
» divine. L’ordre & la mefure qu’ il gardoit
» dans les expreflions étoit de remuer l’ ima-
» gination 8c de l’éleyer par des parties ^TenÉ
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» t ie llê s , plutôt que de la remplir par des
» minuties , & il tâchoit de n’être en cela ni
» prodigue ni avare. I l avoit un fi grand foin
» d’éviter la confufion des objets , qu’ il aimoit
» mieux laifler quelque chofe à fouhaiter dans
» dans fon ouvrage , que de raflafier les yeux
» par une fcrupuleufe. exaftitude mais en
» quo.if;il êxcelloit le pius , c’é to it , comme
» nous l’ avons d i t , à donner aux chofes un
» icaraélère. qui leur fût propre , 8c qui les dif-
>5 tinguât i’ u'ne de-l’ autre
; i».Il,commença par confulter plufieurs fortes
» de livres 5 il eh avoit tiré une infinité dé
» lieux communs dont il avoit fait un recueil.
» .Il nelaifloit rien échapper de ce qui pouvoit
»; convenir à l’expreilion de l’on fujët -, 8c , par
» le feu de fon irriagiifetion , aufli bien que
par la fol idi té de-fon jugement, il élevoit
» les çhofes .divines par les humaines 9 8c la-
» voit donner aux, hommes les degrés différens
» qui les portoient jufqu’ au câraélère dé héros.
» Le premier des exemples qu’ ils nous a laif?
» fés , eft le tableau qu’il a peint à Milan de
» la fcène dé notre Seigneur, dans laquelle il
» a repréfento. les apôtres dans les places q«î
» leur conviennent, ■ & notre Seigneur dans
» la plus honorable, au milieu de tous, n’ayant
» perlbnne qui le preflé ni qui foit trop près
» de fes côtés. ‘Son attitude éft grave , & fes
» bras font dans une fituation libre 8c dégagée
» pour marquer plus de grandeur, pendant que
» les Apôtres paroiflent agités de côté & d’autre
» par la véhémence de leur inquiétude , dans
» laquelle néanmoins il ne paroit aucune baf-
» fefle ni aucune aélion contre la bienféance,
» Enfin , par un effet de fes profondes {pécff-
» lations, il eft arrivé à un tel degré de per-
» feélion, qu’ il, me paroît comme impomble
» d’ en parler aflez dignement, & encore plus
» de l’ imiter ».
On connoît de Léonard un traitéde peinture,
imprimé en italien, avec des figures deflinées
par le Poufiin , & traduit en françois. I l a laifle
un grand nombre d’ autres écrits que l’on
croyoit perdus , mais que M. de Villoifon , de
l’académie des Infcriptions 8c Belles-Lettres,
m’a dit avoir vus à îa bibliothèque Ambro-
'fienne.
Mich e l -A nce B uonarroti , la glaire de
Vécole Florentine, naquit en 1 4 7 4 , dans un
I château voifin d’Arezzo, d’ une, famille noble,
mais peu fortunée; Son père, Louis Buonarroti
Simoni, étoit de l’ ancienne 8c iiluftre maifon
des Comtes de Canoffe. Les parens de Michel-
Ange auroient cru , en le deftinant aux beaux
, arts, dégrader leur haute, nobleffe, & c’étoic
par l’exercice de ces arts qu’ il deyoit procurer
, un jour à leur nom l ’ illuftration la plus brillante
qu’ i r pût recevoir.
Son penchant, plus fort que les préjugés &