
tempérament moral & phyfique de ceùx què l’ on i
inftruit.
C’eft-là le feul fyftême raifonnable d’éducation
: on n’ en peut pas plus faire d’ univerfels,
■ qu’on ne peut faire un médicament qui guéri
ffe toutes les maladies. Les feul s charlatans
le vantent d’avoir farmonté cetteimpoflibilité;
les hommes inftruits & fincères avouent que ce
génie de l’ inftruâion èft prefque impoflible a
trouver •, mais il faut obferver que malheureu-
fement les hommes de génie qui feroient J es
plus propres a démêler 6c à guider celui des
jeunes élèves, dédaignent trop fouvent cette
occupation qu’ ils regardent comme pénible ou
peu glorieufè, & qui eft cependant, relativement
à l’ humanité, la plus noble des fonctions.
( A rticle de M. J ^ a t e l e t . )
G é n ie . Ce mot eft emprunté des Jatins ; mais ils
ne paroiflent pas l ’avoir limité au fens que nous
lui donnons aujourd’hui. Tantôt ils-entendoient
par ce mot les qualités naturelles des perfonnes
ou des choies dont ils parlaient •, ingenium fo li ,
3a qualité du-fol •, ingenio fu o vivere , fuivre
ion caractère, vivre à fa fan taille. Tantôt ils
le prenoient pour ce que nous entendons en général
par le mot efprit ; & comme nous difons
un efprit v i f , fu b til, louche , épais, fbible ,
indocile, les latins difoient ingenium a c re , acutum,
ambiguum, contufum, imbecilium,indocile.
Notre langue, dans l’acception commune , ne
s’écarte point de la latine; on dit, fuivre fon génie
; on prend même, comme les latins , le génie
en mauvaife part, & l’ on dit un génie pefant.
Mais il s’agit ici du mot g énie, tel qu’il
s’ emploie dans la langue technique des lettres &
des arts, & l ’acception en eft fi peu déterminée,
que le plus fouvent ceux qui l’ employent font
loin de s’ entendre eux-mêmes.
Cependant, quelle quefoit cette acception, le
génie ne fera toujours qu’une ou plusieurs qualités
de l’ efprit 5 mais comme, dans l’ufage
ordinaire, on a trop fouvent réduit le mot efp
r it à lignifier ce qu’ on entend par bel-efprit;
/e fprit v i f , f in , brillant, on a imaginé d’exprimer
par le mot g én ie , les qualités luperieures
de l’efprit, celles qui témoignent plus fa grandeur,
que fon éclat & fa fubtilité.
Ainfi quand l’ efprit fe mamfefte dans les
ouvrages de littérature par de grandes idées ,
dans la politique par de grands deflïns, dans
l ’art militaire par de grandes opérations ; il
fembleroit pouvoir mériter le nom de génie.
Cette définition fera peu conteftée pour ce
q u i concerne Part de la guerre & la politique ;
mais il n’ en eft, pas de même quand il eft quef-
tion de littérature. Les lettrés, nation jaloufe
& pointilleufe, employent toutes les reflources
*de leur efprit pour refufer la palme du génie
à ceux d’ entre eux qui pourroient y prétendre ;
ibuyent ils ne l’accordent pas même a ceux qui
ont eu tes plus grands fuccès dans les genres
les plus élevés, ou du moins ils la réfervent
pour la dépofer fur leurs tombeaux.
I l difent bien que tel aiiteur a ou n’a pas
de génie ; mais ils ne définiffent jamais en quoi
le génie confifte.
Cependant, en raflemblantles jugemens qu’on
entend porter chaquè jour, quoiqu’ ils nefoient
prefque jamais motivés, on peut inférer qu’on
accorde allez généralement le nom de génie à trois
qualités de re fpr it, qui peuvent en effet être
regardées comme les plus éminentes.
La premîèrè eft cette qualité par laquelle
l’ efprit fe repréfente fi fortement toutes les
images qui l’occupent, qu’elles lui font réellement
préfentes, & que les peignant par la
parole, il les %rend préfentes aüx leéleurs ou
aux auditeurs.
La fécondé eft cette fenfibîlité exquife par
laquelle un écrivain eft agité de tous les fen-
timens que peut infoirer fo n fu je t, trouve fana
la chercher, leur véritable expreflion , & p a r
e lle , les fait pafier dans toutes les âmes capables
de fentir.
La troifième eft une vue à la fois étendue
& profonde , par laquelle un. écrivain , apper-
çoit d’un coup d’oeil les. rapports de caufes
& d’effets qui lient entr’eux des objets que
des efprits moins pénétrans & moins vaftes
n’appercevroient que léparés, généralifece que le
commun des hommes fte voit qu’ en détail, &
trouve une chaîne commune à ce qui femble
le plus divifé.
L ’imagination , la fenfibîlité, la profondeur,
telles que nous venons de les définir, conf-
tituent donc le génie. Même féparées, mais
portées à un haut degré, elles peuvent mériter
ce nom ; réunies, elles forment le génie le
plus heureux. Le travail ne peüt les acquérir ,
le talent ne peut les imiter, l’ efprit même,
s’il ne pofsède pas ces qualités, n’a pas de
reffoufce pour y fuppléer. "
Elles s’accordent parfaitement avec l ’étymologie
du mot génie ( ingeniitm ) ; elles font
nées en l’homme , elles font nées avec lu i ,
( ingéniiez, ingenium ) , 8c c’eft ce que le mot
de génie fignifie dans fon origine.
Si cette idée eft jufte, elle nous fera découvrir
en quoi confifte le génie dans les arts de peintu
r e & de fculpture.
Si l ’artifte fe repréfente auffi vivement à l’ imagination
la fcène qu’il- veut traiter que fi
elle fe paffoit fous lès yeux , fa compofition fera
vivante , comme font cenfés l’ être les perfon-
nages qui contribuent au fujét. S i , doué d’ une
exquife fenfibîlité, il partage tous les fenti-
mens dont ces mêmes perfonnages doivent être
animés, il leur en communiquera la véritable
expreflion. S’ il a cette vue profonde qui d’un
; coup d’oeil embrafle un grand nombre d’objets
& les enchaîne entre eux par les liens de leurs
«rapports, il unira par cette chaîne toutes les
parties de fa compofition 8c les fera contribuer
à l’ expreflion generale.
C’eft donc l’expreflion qui conftitue le génie
dans les arts, 8c c’ eft ce que MengS femble
avoir fen ti, lorfqu’il a. fait confiftcr dans
l ’expreflion la partie qu’on nomme invention.
En effet, fi l’ invention eft la première partie
de l’art, fi c’eft elle qui procure à l’ artifte
la pftlme du génie 8c celle de l’ immortalité ,
doit-on donner ce nom au talent de multiplier
des figures, de les agencer d’ une manière
agréable à l’oe il, de les diftribuer en
grouppes qui préfentenc une belle fcène d’apparat
; talent qui n’eft pas méprifable fans doute,
mais qui ne fuppolfe pas, dans ceux qui le
pofsèdent, des qualités de l’ efprit aflez rares
pour mériter les noms d’invention & de génie "i
I l y aura du génie dans le defiin, quand le
fleflin fera très-expreflif. Si cela n’étoit pas ,
comment pourroit-on, dans une feule ftatue,
reconnoître le génie de l’artifté ? Mais un dcf-
fin , ou fi l’on veut une ftatue q u i, .peu ex»
prefîlve, fera d’ailleurs corre&e 8c pure , témoignera
un grand talent 8c non du génie.
I l y a du génie dans le clair-obfour, quand
il eft tellement adâpté à l’ expreflion générale,
qu’il contribue à la fortifier & qu’il en forme
la complément. Le délugo du Pouflin eft un
tableau de génie, & le clair ob feu r de ce tableau
fait une partie capitale du génie qu’on y ad
mire.
Mais des effets piquans -de claîr-obfcur peu-
vent-être le produit de l’obfervation , & ne
fuffifentpas pour fuppofer le génie. Accorderons-
nous le génie à un peintre hollandois^ pour
avoir repréfenté des effets qu’ il aura cent fois
obfervés dans un laboratoire o b fcuré c lairé par
le feu d’une forge ?
L?art de draper fera une opération du g én ie ,
.quand les draperies contribueront elles-mêmes à l’ expreflion, comme nous l’avons obfervé de
celles de Raphaël à l’ article Draper. Enfin le
génie aura fon influence jufques fur les moindres
accefloires. Mais la compofition , le deflin,
leclair-obfcur, la couleur n’appartiennent Eugénie
, qu’ autant qu’ il s’ en empare pour les faire
‘'•oncourir à l’ expreflion.
M. Reynolds femble avoir confondu le génie
avec le talent, n Le g én ie , d it- il, quelque
» définition qu’on en donne, eft dans l ’art un
« produit de l’ imitation. Ce n’eft qu’ à force
» d’ imiter qu’on peut produire des inventions
» variées & originales.
» C’ eft à tort qu’on regarde le génie comme
» une faculté qui va au-de là de Part, qu’aucune
» jnéthode ne peut enfeigner, qu^ucunq iaduf-
taie ne peut faire acquçrjr. '
» L’ idée"du génie n’eft pas une idée fixe, inva-
» riable, déterminée. E lle change avec les lumiè-
» res des nations. Ce qui a mérite le nom de génie.
» dans un teins, ne l’obtient plus dans un autre.
» Dans l’enfance de Part, un "objet reprefenté
» par un feule couleur étoit une produéhon du
» génie. Quand on fe fut apperçu que Part de
» repréfenter des objets par la voie ^du deflin
» fe peut enfeigner, 8c eft fournis a des pré-
>> ceptes, on fit une. autre application du mot
» g én ie , & on l’ attribua aux ouvrages de ceux
» qui furent joindre un cara&ère particulier a
» l ’ouvragp repréfenté, qui eurent de l’ expref-
(ion, de la g râce, de la grandeur, enfin de
»> ces qualités, de ces beautés, dont on ne pouvoit
» donner encore des règles claires & précifes.
» Mais nous lavons à préfent que le. talent
» de rendre la beauté des formes, d’ exprimer
» la paflion, de bien compofer, de donner un
» air de grandeur k un ouvrage , dépend en
» grande partie des règles. Qu’on applique ,
» fi l’on veut, le nom de génie ü ce talent;
» c’ eft ce qu’on ne refufera pas, pourvu qu’on
» veuille convenir que ce talent n’ eft pas P e f - '
* fet d’ une infpiration, mais d’une étude at«
» tentive 8c bien digérée 8c d’une longue e x -
» périence.
» Voudra-t-on réferver le titre de génie au
» premier qui a fu de lui-même trouver &
» réunir toutes ces qualités ? Mais quel eft-il
» ce premier? il n’ exifta jamais. Un artifte a
» beaucoup travaillé pour acquérir une de ces
» qualités, fes leçons 8c fon exemple en ont
» rendu, la'pratique facile à un autre qui l ’a
» furpaffé, 8c qui lui-même , à force de tra-
» v au x , eft parvenu aux élémens d’ une qu2-
» lité encore inconnue que d’ autres çnluite ont
» perfeftionnée. C’ eft ainfi que s’eft perfec-f
» tionnél’ art par les efforts fucceflifs d’une Ion-
» gue fuite d’artiftes.
" » Mais qui ofera dire que l’art foît aujour-
» d’hui parvenu à fon terme? I l ne Teft pas
9 fans doute ; ce qu’on appelle génie trouvera
» encore à s’étendre, 8c l’ homme vraiment né
» pour l’a rt, ne manquera pas de chemins pouc
» s’écarter de la foule. Cependant les décou-
» vertes qu’ il pourra faire , les nouvelles- per-
» feélions qu’ il pourra donner à l’a r t , feront,
» il eft v r a i , au-deflus des règles a&uelles
» au-deflus dés règles vulgaires; mais,elles don-
» neront lieu à des règles nouvelles. Ainfi toute»
» les perfeélions qui maintenant cous font in*
» connues, & qui pourront naître un jo u r ,
» ne font pas plus au-deflus des règles pof-
» fibles, qu’ elles ne font au-deflus de l’ art.
» Elles tiennent donc à des principes & ne,
» font pas l’ effet d’une infpiration «
Ce paflage eft ingénieux & rempli même
de vérité; mais il prouve feulement que l ’acs
; ception. du moj génU d été fouvent mal déte.r^
T t i j