
ration dans tous les arts libéraux, doivent naturellement
être celles qui tiennent de plus
près à la qualité la plus fpirituelie de Pâme ;
elles peuvent, par conféquent être regardées
çotntne appartenant aufli de plus près au génie :
plus indépendantes du méchanifme particulier
dç chacun des arts, elles tiennent en
effet plus intimement à l’ efprit.
D’après cette idée, l’ invention eft la partie
<lans laquelle le peintre fe montrera plus véritablement
homme de génie j car l ’invention eft
une partie également principale & eflentielle
dans tous les arts.
En fuivant cette ligne tracée, l’ ordonnançe,
qui appartient encore à tous les arts libé rau x ,
ie trouvera voifjpe de l’ invention-, cependant,
lorfqu’on la confidère dans la peinture, elle
commence à fe foumettre forcément à plufieurs
jparties du méchanifme de l’art 8c des conven*
lions auquel il çft aftreint.
I l exifte par exemple, pour l’ ordonnance des
objets & des figures qui entrent dans un tableau,
des loix qui font abfolument propres à la peinture
8c qui ne font pas les mêmes dans l’art
d e la fculpture , quoique çes deux arts fe tiennent
de fi près. A bien plus forte raifon ces
lo ix qui afferviffent l’ordonnance font-elles differentes
encore dans l’ art du poè'me- épique &
dans celui de la tragédie. I l y a des différences
eflentielles appartenant au méchanifme entre
l ’ordonnance d’ une production muficale & c ç lle
d’un ouvrage d’archite&ure. On fent donc que
le génie eft d’ une part plus gêné dans fon vol
lorfqu’ il s’ agit de l’ordoanance dans quelque
art que ce fo it, que lorfqu’ il s’ agit de i’ in-
vention , & qu’ il faut aufli, pour apprécier le
génie de l’ordonnance, avoir quelques notions
du méchanifme ou du matériel de l’art auquel
cette ordonnance eft appliquée.
Ce feroit donc l’ exprefiion que je placerais
|>rès de l’invention, parce qu’ il me femble que
c e font les deux parties les plus fpirituelles des
arts & qu’ elles appartiennent au génie dans fon
caraCtère le plus indépendant de la pratique de
chacun d’eux.
Aufli, en fe fervant des termes de peinture, on
dira plus naturellement, le génie de 1-inven-
t io n , le génie de l ’ expreflîon, que l’on ne dira-
le génie du deflin, oc le génie de la couleur.
Cependant fi l’on s’ inftruit avec application
de tout ce qui appartient à l’art & fi l’on en apfirofondit
la conrîoiflance, on s’appercevra que
e génie étend aufli fes droits fur le trait 8c le
çoloris : fur le trait, parceque bien que les
dimenfions foient fixées d’ apres les obfervations
anatomiques; bien que les beaux modèles an?
tiques nous montrent à çet égard la pérfeCtion
réalifée, l’ art de mettre en oeuvre cette correction
dans les circonftances differentes , l’art d’y
joindre Iç fpntiment, la vip & la graçe,
demande Pinfluence immédiate du génie ; maïs
cette influence ne peut ’ abfolument fuppléer
ni a l ’exaftitude des mefures données, ni à
l’imitation favante des plus belles ftatues.
I l en eft de même du coloris, avec un£
différence qui donne ici de l’ extenfion à l’ in-
fluençe du géniè : c’eft que le coloris étant
en une infinité de circonftances à la volonté
de l’artifte, fon intelligence eft plus lib re , 8e
le génie qui eft une des perfections de l’ intellig
en ce , eft plus indépendant du méchanifme,
& peut décider l’artifte pour ce qui affurera
le fuccès de fës ouvrages.
Comme je n’ai pas prétendu, à beaucoup
près, exclure ^ordonnance des domaines du
g én ie , je çonfens qu’ elle difoute de rang aveç
la fécondité, la richefle ^ la noblefle; mais
lorfqu’on approfondira bien toutes ces parties
pour connoître en quoi elles tiennent au génie,
on verra que c’ eft par les points qü elles f<?
rapprochent de l’invention.
I l refteroit à défigner les marque? réelles,
ou du moins celles qu’on doit regarder comm«
les plus çara$ériftiquçs, du génie dans l’art de
la ' peinture.
Le çara&ère d’ originalité peut, à ce que je
pente, obtenir un des premiers rangs, & ce
caraAère eft infiniment ra re , ainfi que le vrai
genie,
-En effet il eft non - feulement difficile, mais
encore prefque impoflible que les artiftes, ei\
concevant les idées des ouvrages qu’ ils entre*
prennent, ne donnent pas aççès à tout ce qu’ ils
ont vu ou étudié qui ait quelque rapport à
l’objet dont ils s’occupent. On doit donc regarder
non-feulement comme rare, mais- comme fur*
naturel en quelque forte, la faculté de trou*
ver en foi & tout feul ( pour m’ exprimer ainfi )
des manières nouvelles d’ imaginer un fujet ;
des conceptions enfin qui n’ ayent aucun rapport
fenfible à rien de ce qui s’ eft produit, & qui
ne paroiflent pas être une fimple exienfion, ou
une çombinaifon de ce quiexiftoit déjà.
Cette marque de génie eft extrêmement rare ;
elle n’ eft pas facile à reconnoître à. caufe
dès imitations plus ou moins détournées 8c plu»
ou moins cachées. Dans tous les objets, dan»
tous les genres, elle diftingue réellement bien
peu d’ artiftes, bien peu d’au.teurs, 8c l’on peut:
encore afpirer au nom d’homme de génie fan#
pofleder ce don fi rare.
Le premier peintre de nos fiècles modernes ,
Raphaël, a peut-être moins de lignes de cette
originalité de génie que Rubens , & le Tin*
torët. •
Il en réfulte que quoique le génie foit la ‘
partie la plus brillante dans les arts, quoi*
qu’ elle fe faite fontir expreffément dans l’ori-
g inaiité, elle ne peut élever un arrifte-au pre-
ihier rang fans le concours de plufieurs autres
partie#
parties & que le concours de ces parties eflen-
tïe lle s , lorfque .-le génie les employé; heureu-
fement, donne les moyens les plus u fi tés d apprécier
les rangs & le vrai mérite dans les
arts.
C’eft pour parvenir à cette appréciation que
de Piles avoit ingénieiriement propofé une foïté
de balante dans laquelle , évaluant pour ainfi
dire le poids de chaque partië de l’art, il penfoit
que Ion pouvoit pour ; chaque peintre former
un réfultat'.de fon' mérite.
Mais on fent combien ces réfultats deviennent
vagues, 8c combien cette balance, dans les
différentes mains qui en feraient u fag e , feroit
fautive.
En effet, que dans un fujet parfaitement ordonne,
defiiné avec pureté, colorie avec force,
les rcminifcences foient ou cachées ou difficiles
à découvrir,, l’évaluation du mérite de
l’originalité ne fera pas jufte. Que les lu jets
foient fimples, faciles a compofer 8c.à ordonner,
ou qu’ ils foient tels qu’on les voit dans les
grandes machines, l’évaluation du talent de
compofer peut-elle être la même?
I l n’eft donc, à vrai dire, que l’homme de
■ génie qui puiffe véritablement apprécier le génie,
C’eft au feul tribunal de fes pairs qu’ il peut
être jugé; mais fon influence fe fait fentir à
tout le monde, comme tout le monde eft frappé
de celle de la chaleur athmofphérique , dont les
favans phyficiens apprécient l’ in'tenfité.
Pour vous, jeunes artiftes, fbyez avertis
qu’ à votre âgé il eft une effervefcence de
l ’âme 8c un épanouiflement ( f i l’on peut parler
ainfi) dés faculté? intelléétuelles que trop aifé-
ment & trop ordinairement on prend pour les
étincelles dp génie.
Vous tentez-vous échauffes par les ardeurs de
votre imagination, par l’accélération de vos
efpfits prompts à fe mouvoir, par l’exemple,
par l’émulation, par quelque defir fouvent étranger
à ce qui vous Occupe ; vous croyez voler aux
fuccès , 8c la gloire femble venir au-devant dè
vous; mais,.trop fouvent cette effervefcence paf-
fé e , le génie a difparu.
Dès que le méchanifme de l’art vous oppofe
des difficultés, vous redevenez fro id s , ou le
dépit chagrin amortit votre' ardeur. Ge n’ eft
pas de génie que vous' êtes doués, mais feulement
du defir d’ en avoir, & malheureufe-
ment ce defir ne le donne pas.
Mais f i , par une application foutenue, par
le defir des fuccès, vous acquérez les pratiques
& les connoiffançes indifpenfables', fi vous ne vous
rebutez pas ^ des études difficiles; j’augurerai
mieux de votre talent & j’ efpererai qu’il fera
vivifié par le génie. Je, penferai qu’ il vous
foutient en fecret, qu’ il vous;ordonne de lui
applanir la route , qu’ il vous dit tout bas : rompez
mes chaînes 8c je volerai.
B ea u x -A rts . Tom. /.
En effet, comment efpérez-vous que le g é n iè -
priifle même feulement marcher dans la carrière,
que vous lui voulez faire parcourir d’ un
vol , f i lorfqu’ il vous infpirera l’ expreflion , votre
main ignore quels refforts la rendent vifible ?
Comment efpérez-vous qu’il fafle agir , parler
vos figures , fi vous avez tant de peine à les
conftruire, que le génie ennuie s?échappe 8c
difparoifle pour féconder ceux *qui lui fournif-
fent des moyens aufli prompts que fes' volontésf
Le génie eft pour les artiftes difficiles, • lents
8c peu sûrs du méchanilnie & de la pratique
de leur a r t , comme- .ces démons q u i , pa-
foiflant pour obéir aux évocations d’ un enchanteur
mal habile , le méprifent 8c le fuient,
iorfqü’ ils le vôyënt héfiter & balbutier les ordres
qu’ il veut leur donner.
Cependant il faut' convenir que parmi les
jeunes difciples de l ’art dont je tra ite , s’ il eft
des génies précoces (■ & ce font les plus incertains,
):;il en eft de lents & de tardifs, dont
les fruits plus durables & moins corruptibles
ne fe font pas annoncés pas des fleurs prématurées.
Ne vous enorgueillifîez donc pas de quelques
croquis, de quelquës efquifles dans lefquelîes
vous montrez du fens & de 1-efprit. Si l’on
vous loue , meffiéz-vous d’ un encens lé g e r ,
mais qui entête ; fi vos maîtres plus févères vous
blâment ou paroiffent peu touchés de ces bluettes
de g én ie , ne penfez pas que ce foit par une.
affeélatioh pédantefque. Ils vous trahiraient fi,
dans Vos premières études, ils lie donnoient
pas la préférence abfolue au méchanifme fur les
parties fpirituelles , de l’art. Celles-ci font les
premières fans doute dans l ’ordre du mérite,
& cependant elles ne doivent s’offrir que les
dernières dans l’ordre des études. Si la nature
vous les a données, elles ne vous les otera pas ;
mais fi vous n’acquérez pas les . autres qui ne
font pas un don , vous ne les aurez jamais.
I l eft donc indifpenfable que vous fâchiez
parfaitement defliner pour bien exprimer. Le
deflin eft une langue; plus vous la faurez,
plus vous parlerez avec g râ c e , avec force ,
avec génie. I l eft’ vrai que quelques hommes
rares ont été doués dans les arts d’ une telle
abondance de génie qu’ ils ont été diftingués fans
avoir les qualités que je fais regarder comme
indifpenfables. Ces exceptions ne détruifent pas
le principe, & fi ces hommes avoient pu acquérir
ce qui leur a manq.ué, ils l’auroient
emporté fur tous les autres.
Au refte cet objet d’étude dépend quelquefois
des maîtres: il y a un génie de l’ in/h-uc-
tion comme un génie particulier pour chaque
chofe, & celui dont je parle eft infiniment
rare.
I l confifte à conformer les confeils 8c la
marche des études, au cara&èxe, à l’â g e 3 ag
T e