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11 faut encore que l’Artifie fe trouve fufceptible
d’avoir par lui-même une idée jufte & forte de
l ’action & des mouvemens des pallions : il faut
enfin que la force & la flexibilité de l’imagination
lui faffe éprouver , en repréfentant leurs
effets, une impreffion fympathique , par laquelle
il fente la mefure de ce qu’il tranfmettra d’adion
& de mouvemens pafïionnés à fes figures, & de ce
que les figures qu’il peint en doivent tranfmettre
à leur tour à ceux qui y fixeront leurs regards.
Myftère inexplicable, qui diftingue abfoiument les
Arts libéraux des Sciences & des Arts méchaniques !
L e Peintre , Deffinateur , Colorifte , inftruit
profondément de l’anatomie & de la pondération,
mais dont l’ame eft froide , repréfêritera avec
corredion un homme dans le mouvement que
doit occafîonner une paflion ; mais cet homme pa-
roîtra exécuter ce mouvement comme quelqu’un a
qui on le prefcriroit & fans qu’il l’eût penfé lui-
même. L a figure peinte ne peut être animee ; fi
l ’homme qui la peint ne l’eft pas.
J e reviens à l’objet de cet article pour obferver
que dans un tableau, compofé de plufieurs figures
qui ont de i'action, leur relation mutuelle ajoute
à l’effet & à ¥ action générale ; & c’eft alors qu’on
dit : Il y a beaucoup dej; mouvement dans cette
çompofîtion. _ v .
Pour vous, jeunes Artifles, connoiflez de bonne
heure & n’oubliez pas que l’homme , a moins
qu’il ne foit dans la Aupidité ou dans l’apathie,
n’eft jamais, fur-tout pour le Peintre, fans adion,
fans mouvement ou fans paflion. Si la paflion eft
concentrée, elle demande plus de fine lie , d efprit
& de fentiment. Prefque toutes les paffions très- •
nobles font de ce genre : aufli leurs actions & leurs
mouvemens doivent avoir une mefùre, infiniment
jufte , & ils font fufceptibles par-là de cette
beauté que nous admirons dans les ouvrages parfaits
de l’Antiquité.
Les impreflions brufques , qui , venant _ de
dehors & agifïànt, pour ainfi dire, de la première
main, fur les fens, n’ont pas été modifiées & réfléchies
par l’ame , font, en quelque forte , ma-,
térielles. Celles q u i, reçues plus diredementr par
Pâme , produifent enfuite leur effet extérieur
par une forte 4e réflexion , fi lame eft diftin- ■
gu é e , font moins groflieres & ont une teinte de
la perfedion. Ce n’eft pas dans l’extrême je u -
îieffe que ces idées , qui tendent^ au fublipie ,
peuvent être parfaitement comprifes ; mais la
jeuneffe, douée du Genie qui eft .necefîâire aux
A r ts , peut les entrevoir, par anticipation. Elle
peut au moins , dès qu’on les indique, les fentir
& en conferver une première idee.
A D
A D O U C IR , ( “verb. a d .) L e terme dont il
s’agit ici tient, fans doute, fa première acception
flulens du toucher, ou de celui du goût.
A D O
On adoucit ce qui eft rude , ou ce qui eft âpre*
C’eft ainfi que , par des applications figurées,
nous tranfportons à nos différems fens ce qui appartient
particulièrement à chacun d’eux.
Après avoir créé, par exemple, le mot adouc
ir , pour le toucher , on l’aura appliqué au goût,
qui eft paflivement une forte de toucher. On aura
hafardé enfuite, par approximation d’idées, d’employer
le mot adoucir, relativement aux fons ;
enfin, de l’adapter aux modifications dont les couleurs
font fufceptibles , & quoique ces acceptions
foient de nature à être appeliées figurées, elles
tiennent toujours cependant à la nature du toucher
; fons unique , que modifient les différens
organes du ta d , de la vu e , de l’ouïe, du goût
& de l ’odorat.
Mais on a étendu bien davantage le fons figuré
du mot adoucir, en difant : adoucir le fl-yle ,
adoucir Véxprejfion ; enfin, l’on a paffé jufqu’à
dire, à l’occafion des qualités morales : adoucir
le caradère , les paffions , la colère & la fureur.
Pour ramener le fons de ce mot à l’Art de la
Peinture, on adoucit les couleurs de deux manières
, ou en affoibliffant leur éc la t, leur v a leu r ,
ou en les accordant entr’elles d’une manière in-
telligenté & fine qui produife à l’oeil l’effet le plus
harmonieux. Les moyens de l’A r t , pour parvenir
à ce but, font des liaifons de ton s, des paffa-
g e s , des couleurs rompues, & des dégradations
de nuances infenfibles ; ainfi que le choix'même
des couleurs qu’on approche, les unes des autres.
C’eft à l’occafîon de ce dernier foin, néceffaire
pour certaines couleurs que s’eft introduite dans
le langage de l’Art , l’expreflion de couleurs
amies. Il n’en eft point qui foient abfoiument
ennemies les unes des autres ; mais il eft aifé de
fe convaincre que quelques-unes ont entr’elles des
rapports plus ou moins favorables. Il y en a , par
cette raifon, dont l’effet blefîè l’ceil, lorfqu’elles fo
touchent, ou fe trouvent trop voifînes. L a Nature
fait cependant accorder tout fon fyftême coloré ,
fans exception , dans quelques combinaifons &
dans quelques rapprochemens que fe trouvent les
objets. Ses moyens puiffans & univerfols font
l ’interpofition de l’air & la parfaite harmonie du
clair-obfour, dans laquelle entrent les reflets qui
les rompent & les rejaillifïemens de la lumière
qui les accordent,
C’eft donc par l’emploi de ces moyens & en
s’en fervant avec un artifice raifonné que le Peintre
fauve les diflbnances dans fon harmonie y
comme on le fait dans la Mufîque par des préparations
indifpenfàbles.
Les diflbnances pittorefques, aînfi que les difo
finances mufîcales concourent fouvent à rendre
l’effet plus énergique , lorfqu’elles font employées
à propos & qu’on n’en abufo pas. 11 faut fur-tout
qu’elles ne foient ni tranchantes, ni brufques.
A D O
Cette comparaifon, au refte, ne doit pas être
prife à la rigueur, & il en eft ainfi de prefque
toutes celles qu’on emprunte d’un A r t , pour les
appliquer à un autre ; car s’il y a des*approxima-
tions & des reffemblances fenfibles à plufieurs
égards^entr’eux , & plus encore entre certaines de
leurs -parties , ils ont aufli des différences qui
s’oppomnt,àla jufteffe des comparaifons*' &*i’abus
qu’on fait aujourd’hui , plus fréquemment que
jamais , de ces rapprochemens , grâce à l’ignorance
de ceux qui les emploient, ou à la prétention
trop générale de parler de tout & de tout
connoître, contribue à. jetter.de l ’obfcurité, de là
confufîon dans les idées , dans les jugemens & à
répandre le mauvais goût dans l’élocution.
Les fens , ainfi que les Beaux-Arts, ont fans
doute entre eu x , comme je fa i d it, des rapports
apparens & généraux. L ’imagination s’efforce de
les rendre plus réels pour multiplier les jouiffan-
çes dont elle eft toujours avide ; mais la Nature
a pofé des limites. On pourroit bien fo permettre
de dire que l’oeil écoute, que l’oreille
vo it, parce qu’effe&ivement ce qu’on entend peint,
en quelque forte j les objets à l’imagination , &
qu’en voyant avec fàgacité , on entend, pour
ainfi dire , les.difcours qui.cependant ne frappent
pas notre oreille ; mais les propriétés de la vue
ne peuvent paffer tellement au fons de l’ouïe ,
que l’une fe fubftitue entièrement à l’autre. Il ne
faudroitpas oublier que c’eft toujours figurément
que l’on conçoit ces fubftitutions, & c’eft cependant
cç que l’on perd de vue , par le trop grand
ufàge des termes figurés & l’abus que l’efprit fans
juftefïè en fait fouvent.
Si l’on vouloit rendre une langue parfaitement
conforme à la raifon & à la nature des chofos,
la réforme foroit d’autant plus difficile que cette
langue auroit été plus maniée par les Orateurs
& les Poètes. Il eft rare , il eft impoflïble même
qu’ils ayent la connoiffance, non-foulement approfondie
, mais exade de tout ce dont ils parlent,
il leur fomble néceflàire de parler de tout, & il
eft très-commun qu’ils ufo^. de ce droit comme
les Poètes, dont Horace défigne la hardieflb.
J e reviens , pour la dernière fo is, au mot adoucir
y comme terme de Peinture, & pour ne pas
m’écarter davantage , je m’adrefle à ceux qui
exercent cet Art.
Vous avez, d’après ce que j’ai dit, deux manières
d!adoucir Vos tons & vos nuances : l’une
eft de diminuer leur éclat ; l’autre de les accorder
dans leur vigueur avec beaucoup d’art,"
L e premier moyen peut vous'conduire à altérer
la force .& la vérité de la couleur de chaque
objet ; alors vous affoiblirez plutôt que vous
n’adoucirez votre coloris.
Si .vous choifîffez l’autre moyen , en vous atta-
chant-à accorder enfomble les couleurs & les tons
A F F i i
dans leur plus grande valeur, vous approcherez
du fyftême de la Nature & de la perfedion de
l’A r t , relativement à la couleur.
J e me borne à ces explications , parce que
les mots Accord, Clair-obfcur , Harmonie, &
quelque^ autres, donneront occafion de développer
les différentes idées qui ont rapport au mot dont
traite cet article.
Je ne parle pas d'adoucir l’expreflion. Dans la
Peinture, toute expreftïon exagérée ou affoiblie *
eft blâmable,
A F
A F FO IB L IR , ( verb. ad. ) Une partie des
termes qui forment le langage d’un A r t , fo rapportent
ou aux perfedions ou aux défauts dont il
eft fufceptible.
Ce que j’ai dit dans l ’article adoucir eft relatif
à une beauté de l’Art de là Peinture, qui eft l’harmonie
& au plaifîr du fens de la vu e , qui en eft
l’effet. Ce que je vais dire, à l’oeeafion du mot
affaiblir, fe rapportera à une imperfedion, j
En effet, c’eft ordinairement lorfqu’un Artiffe
cherche l’accord où l’harmonie aux dépens de la
vigueur, qu’il affoiblit le coloris , comme en
cherchant l’agrément aux dépens de la févérité
du trait ; il affoiblit quelquefois la corredion des
contours, & en facrifiant l’expreflion au defir de
trouver la grâce, il affoiblit le caradère.
¥Jaffoiblijjement des couleurs qui aide allez
ordinairement les Coloriftes médiocres , à obtenir
une harmonie que j’appellerai moyenne ou fo ib le ,
n’eft: que trop commun dans quelques Écoles, dont
e®£te foiblefle de coloris paroït être le défaut
diftindif, & en quelque façon, national.
L ’on ne peut en donner de raifon abfoiument
fàtisfaifànte. Peut-être ce penchant à une harmonie
foible & fouvent grifo , eft-il la fuite de
quelque qualité phyfique des organes ou du climat.
Elle peut avoir pour origine certains effets d’une
lumière fouvent voilée , qui s?offrent plus habî-,
tuellement) aux regards, ou certaines modifications
dans les organes de la vue , qui peuvent
être plus générales dans un pays que dans un
autre. Au refte , fi la caufo eft encore incertaine,
l’effet n’en eft pas moins conftaté, & l’École
Françoifo y paroît foumifo.
L e Ciel des bords de la Seine, où cette École
eft réfîdente, fo montre fouvent peu forein à
caufo des humidités & des brouillards fréquens.
Les hommes & les femmes y font plutôt, pâles
que fànguins & colorés. Lès fabriques ont une
couleur peu variée, généralement grifo où blanchâtre
, ‘ à caufo du grand ufàge qu’on fait du
plâtre , l’on s’anperçoit , d’un autre côté, ‘ que
le plus grand nombre des Peintres François, qui
habitent la Capitale, ont un coloris* dans lequel
les teintes grifos ou farineufos dominent fenfible