
être éloigné :• pour copier un tableau de Raphaël,
il faut l’avoir fous les yeux ; fi l’on regarde 1 ex-
preffion comme figurée , lorfquon defline ou
qu’on peint l’antique , le modèle, une figure , un
tableau de Raphaël, on a pour but que l’ouvrage
qu’on fait en foit près ou en approche , autant
qu’il efl poflible. Si la première explication effc
iufte, il n’eft pas befoin d’ellipfe; dans la fécondé
, l’ellipfe fe préfente affez facilement.
Au refie, l’expreflion d'après e ft, comme je l’ai
d i t , confacrée dans nos Arts , & n’a aucune obf
curîté pour les Artiftes, parce que la' pratique
habituelle l’explique continuellement. ■ L e jeune
Élève commence par s’efîayer d’après les def-
fins qu’on met devant les yeux : eft-il plus avancé l
Il defline £ après la boffe , il travaille enfin
d ’après le modèle ; & tant qu’il eft attaché à fon
A r t , tant qu’il a le defîr de devenir plus parfait,
ou du moins, de ne pas voir afioiblir Ion talent,
il n’exécute rien , autant qu’il lui eft poflible, que
d ’après nature*
A R
A R A B E SQ U E S , (fubft. mafc. plur.) On
nomme arabefques certains ornemens dont l’Ar-
tifte forme des tableaux & décore des compar-
timens, des frifes, ou des panneaux.
Ces ornemens font en grande partie compo-
fés de plantes, d’arbuftes , de branches légères
& de fleurs. Tous ces objets, ou les formes qui
en approchent, donnent lieu à ce qu’on appelle,
en langage de l’A r t , des rinceaux, des enrou-
lemens, mais parmi ces objets, le Peintre choi-
fit ceux qui , proportionnés entr’eux & analogues
les uns aux autres, peuvent offrir des affem-
biages qui plaifent, ou faire naître des idées
riantes.
Les arabefques préfentent donc le plus fouvent
des objets agréables & partiellement vrais ; mais
dont la réunion & l’agencement font chimériques.
Aufli ces repréfentations qui s’approchent de
de la nature par les formes, la couleur & le clair-
obfcur, s’en éloignent en fe découpant fur des
fonds arbitraires, en ne fe montrant dîfpofées la
plupart que fur un même pian, & en n’offrant
d’effet relatif à l’enfemble d’un tableau, que ce
qu’en peuvent produire quelques branchages entre-
Jaffés avec a r t , qu’on auroit arrangés & attachés
fur un mur.
Si les arabefques n’étoient compofés que de
branchages & de fleurs, on pourroit croire que
leur idée auroit été fuggerée par les préparations
que les hommes emploient aflèz generalement a
la célébration des jeux & des fêtes. En e ffet,
les hommes »de tous les temps & prefque de tous
les pays ont crû appercevoir des rapports entre
ces objets rians & les ffentimens de joie qu’ils
éprouvent & qu’ils cherchent a le communiquer;
mais nos arabefques offrent des afîèmbla'gés qui
S'éloignent tellement de ces idées Amples , dont
je viens de parler, qu’on ne peut leur trouver de
modèles Yrai-femblables que dans Jes chimères
produites par le fommeil.
Les arabefques peuvent donc être appelles les
rêves de la Peinture.
L a raifon & le goût èxigent qu’ils ne foient
pas des fonges de malades , mais des rêveries
femblables à celles que l’opium, artiftement dofé,
procure aux Orientaux voluptueux-, qui les préfèrent
quelquefois à des erreurs moins chimériques.
Ces chimères pittorefques refîèmblent encore à
celles que fe forme la jeuneffe, dans les heureux
momens où , 'difpofée à folâtrer & à rire , elle
ne reçoit que des idées agréables & gaies de tout
ce que lui préfente la Nature.
D’après ce que j’ai dit, les Peintres èèarabefques
ne doivent pas perdre de vue les formes
naturelles & les accidens heureux. Us doivent
même les chercher, en tirer parti & enrichie
leurs porte-feuilles des études qu’ils en font.
Les arbrifîèaux entrelaflent & entremêlent
quelquefois de la manière la plus agréable leurs
branches , leurs feuillages & leurs fleurs. L e
fep d’une jeune vigne qu’on abandonne à elle»
même, s’étend par des courbures , modèles de
foupleffe & de grâce, à plufîeurs arbres voifîns
& rattachée aux branches, fe plie.en guirlandes
de l’un à l’autre. Un jeune enfant vient, s’y
fufpendre & s’y balancer, en fe fouriant à lui-
même., Une jeune fille à quelques pas de-là, fe
blottit dans un buiffon de rofes, & délirant d’v
être fûrprife, rougit d’une intention qu’elle ne
croit pas cacher allez bien ; une autre s’appro*
che d’une fontaine, & , fî elle eft feule , s’occupe
à s’y mirer avec complaîfànce : elle fè
plonge enfuite dans l’eau, & l’Artifte qui a fur-
pris ou qui imagine ces caprices & ces jeux de
lâNature, vivante ou inanimée, en les détachant
de tout autre objet, les difpofe par. des com^
binaifons ingénieufes ; il les agence fur une fur-
face , fouvent à différens étages & fur un fond
arbitraire ; il exécute des comportions du genre
-qui fait-le fiij et de cet article.
Faut-il les varier? L ’Artifte inftruit , dont
l’imagination ne doit pas être moins féconde
qu’aimable, afîëmble & difpofe des étoffes riches
ou légères qu’il fufpend, qu’il rattache avec
grâce , comme on le fait en décorant des tentes,
des pavillons, des portiques, des balcons de
palais, ou les bofquets dans lefquels Alçine vient
d’ordonner des fêtes pour Roger,
L e Peintre d’arabefques a-t-il le projet de
s’éloigner de la Nature pour enrichir & caradé-
rifer fes compofîtions ? Il rappelle auflî-tot à fon
fouvenir les ingénieufes métamorphofes chantées
, par les Poètes, Il reproduit leurs Syrènes, Jeurs
Sphinx , leurs Dryades, les Faunes, les Génies
& ces enfans céleftes, qui, voltigeant, careflent
ou bleffent les mortels au gré de leurs caprices.
Ces Artiftes inftruits peuplent encore leurs
compofîtions d’animaux chimériques ou réels ;
ils -rappellent les cultes bizarres qu’on leur a
quelquefois rendus, ainfî qu’aux divinités tant
célébrées par tous les Arts ; & près des ftatues
de Diane, dé Vénus, de Flore ou d’Hébé , ils
fufpendent des guirlandes, des couronnes , _des
inftrumens de mufîque & des. trophées ; ils dre filent
des autels , des trépiés chargés de cafîb-
lettes, d’où s’exhale la fumée des parfums. Les
Vafes les plus élégans font couronnés par des
chapeaux de fleurs; les feuillages entourent des
bas-reliefs; des cammées, des tableaux qui rappellent
les voeux offerts dans les temples : des
ornemens fymboliques accompagnent, parent, &
caradérifent les divinités graves , ou celles qui
préfîdoient aux plaifîis des hommes. Ils n’oublient
pas celles qui annoncent les faifons, les mois,
l ’amour, la guerre, la chaflè, la pêche, enfin
la fàgeffe ,ou la folie.
C’eft lorfque le Peintre d'arabefques en eft à
ce dernier caradère, qu’il doit mettre une me-
fure à fes caprices & rappeller ce fentiment
des convenances & des conventions reçues ; ce
goût enfin, q u i, d’après la jufte relation que
doivent avoir les chofes entr’elles , contiendra
fon délire ; & fî cette loi lui femble trop auftère
pour un genre qu’il pourroit croire abfolument
libre & indépendant de toute règle , , qu’il _fixe
un regard fur les modèles en ce genre que
Raphaël a confacrés au Vatican, & qu’il foit
bien convaincu que plus on s’en écarte, plus
on s’éloigne des véritables convenances du
genre.
Artiftes, qui, par délaffement de travaux plus
férieux, vous exercez à compofer des arabefques,
que vos rinceaux, que les agencemens des parties
fouples & flexibles dont vous faites la charpente
légère de vos ornemens, n’ayent donc rien de
forcé ; que l’élégance & la grâce les difpofent.
Il faut qu’en les voyant , on imagine, qu’un
ha fard , un vent léger , la plus naturelle induf-
trie , celle d’un enfant, ont courbé, enlaffé ,
guirlandé les jeunes branches des arbrifîèaux &
les fleurs que vous employez. Moins on met
d’effort à former une couronne de rofes ; plus
fori contour eft agréable. L a peine laiffe partout
fa trace. On le v o it , on le fent dans l’ex-
preflion , dans le difeours , dans le gefte , dans
î ’adion & dans tout ce qui eft fufceptible d’aifance,
de naturel & de grâce.
Songez encore, lorfque vous placez les objets
dont vous enrichiffez vos arabefques, & quand
Vous les difpofez Ues uns fur les autres , pour
remplir un efpacè1’, ‘fouvent ingrat, auquel vous
êtes affujetti, longez, dis-je , que ce qui eft
plus folide doit foùtenir ce qui eft plus léger,
Tout ce qui s’élève, foit parla végétation , foit
par l’induftrie naturelle des hommes, fuit cette
loi néceffaire. D’ailleurs, tous les objets tendent
à diminuer & à s’alléger d’autant plus qu’ils s’éloignent
de la terre & qu’ils participent davantage
de l’air qui les mvironne.
L a pondération eft une loi univerfelle. Les
corps, les plus légers même, y font fournis*
celui qui regarde un objet manquant d’appui ,
un poids qui ne paroît pas fuffifamment foutenu,
un afîèmblage de parties non équilibrées, éprouve,
une fenfation inquiète & pénible.
L a fymétrie & certain balancement dans la
compofîtion , qui équivaut à la fymétrie, font
par conféquent des obligations que vous impofe
prefque tout ce que vous ^voyez dans la Nature ;
non cependant qu’elle foit toujours régulièrement
fymétrique ; mais lorfqu’elle ne l’eft pas,. elle fe
montre au moins équilibrée , & fî l’homme fe con-
fîdère lui-même, il rétrouve & apperçoit continuellement
dans fes femblables, ainfî que dans
tous les animaux vivans, des parties difpofées
fÿmétriquement & toujours balancées & équilibrées
dans le mouvement & dans le repos. C’eft ainfî
que l’homme, qui voit & juge prefque tout en lui
& par lu i, acquiert néceflàirement un penchant
irréfîftible à placer fÿmétriquement tout ce dont
il difpofe, & cette difpofîtion, indiquée phyfîque-
ment & infpirée par.la Nature, eft peut-être un
des premiers & fecrets principes de l’ordre moral
qui lui eft fî néceffaire.
Les principales loix de vos, ordonnances font
donc la légèreté graduée, en partant des baies ,
ainfî que la fymétrie & un balancement dans la
difpofîtion des objets qui fatisfaflè le regard.
L a variété eft encore une de ccs loix. Vous
devez d’autant plus vous y foumettre que les
objets que vous employez étant peu intéreffans ,
attachent moins, & que l’on defîre, par cette rai-
fon , d’en voir un plus grand nombre.
Mais fî l’on attend de vous une d’autant plus
grande variété que vous avez plus d’objets à
votre difpofîtion, d’une autre part , on 'exige
que vos compofîtions deftinées ordinairement à
fe trouver placées d’une manière relative les
unes aux autres & à fe préfenter dans, un ordre
fymétrique aux lieux qu’elles décorent, ayent une
forte de reffemblance & de rapport entr’elles &
ce. rapport impofe des loix aux variétés dont votre
imagination pourroit être trop prodigue.
Il n’eft pas inutile d’obferver que les arabefques
admettent des allégories. Elles peuvent haùrder
de dire quelques mots à l ’e fprit, en amufant les
regards ; mais gardez-vous de prétendre à leur
faire tenir des difeours recherchés & trop fùivis ,
fur-tout fî vous leur donnez un fens moral & férieux.
L ’efprit mal employé eft le plus ordinairement
une affedation-qui déplaît, ou une pèdan-*
terie qui choque*