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tra ire à la n e tte té de la grav u re , 8c fout’hic des
épreuves fales.
(8) L’A llemagne avoit donné naiflance à la
g rav u re ; c’étoit à l ’Allemagne qu’il étoit aufli
réfervé de l’approcher de la p e rre û io n . Albert D urer , voifin du berceau de c e t a rt » en a te llem
e n t avancé les progrès q u e , dans certaines
p a rtie s , il n e peut-être furpaffé. Nous avons
parlé à l’artic le E cole de ce t artifte célébré ,
q u i n’e û t pas eu de fupérieurs s’il eût pu co n -
n o ître l ’I ta lie & l’an tiq u e. Defîinateur précis,
il lu i manqua feulement de l'avoir q u e les
modèles offerts par la nature ne font pas toujo
u rs ceux de la b e a u té , qu’il n e fqffit pas de
Savoir les c o p ie r, & qu?il faut ê tte encore
fcrupuleux dans le choix- Senfible & h abile à
faifir les lignes extérieurs des affe&ions de l’arae,
il eû t ex c ellé dans la partie de l’expreflion s’il
y eû t jo in t plus Couvent la nobleffe a la vérité.
C e tte nobleffe feule manque aufïi quelquefois
à fes compofitions. Mais pour lu i accorder to u t
le trib u t d’e ftime qu’il m é rite , il faut fe rap-
p e lle r q u e , de fon tem p s , u n e fuite aflez nom-
b reu fe d’artiftes av o it lu tté en Ita lie contre la
manière g o th iq u e des premiers reftaurateurs de
l ’a r t , & q u e lu i feul en Allemagne raffembloit
fes efforts con tre la roideur de c e tte manière
q u i s’oppofoit à la beauté des formes , à la juf-
teffe des mouvemens, à la vérité de l’expref*
lion.
Nous ne devons le confidérer ici que comme
g rav eu r ; mais comme il a toujours gravé d’après
fes propres deflin s , ce que nous venons de dire
n’e ft pas étranger à c e t artic le . Si l’on veut feulemen
t le confidérer par rapport à la manoeuvre
d e la g ra v u re , il fera adm irab le , non - feulemen
t pour le fiècle où il a vécu , mais même
pour tous les fiècles , par la fineffe & la variété
de fes tra v au x , par la netteté & la couleur
de fon b u rin . I l femble qu’un homme qui n’a
pas eu de modèles, n e puiffe trouver feul toutes
les reffources de fon a r t , & qu’elles doivent
être p ro d u ite s, avec le temps , par le concours
d’un grand nomb're d’hommes habiles; A lb e rt
D u re r a été excepté à plnfieurs égards de cette
lo i générale de la nature : & s’il n’a pas trouvé
to u t ce qui co nvient à la gravure large &
fière , propre à exprimer les grands tableaux
d’hiftoire , il a imaginé & réuni toutes les partie
s de l’art qui font néceffaires pour graver
des tableaux fins & précieux. Quoique lrart ait
acquis depuis fa mort trois fiècles d’expérience,
on ne pourroitaujourd’h ui grav er mieux ni peut-
être auffi bien l’eftampe de Saint-Jérôme qu’il a
publiée en 1514. U ne lumière v iv e en tre par
deux fenêtres fermées de vitraux qu’e lle fait
re fle tte r en les traverfant fa r la muraille qui fert
d’embrâfure aux croifées Un plancher de fa-
pin eft rendu avec la plus g rande vérité. Un
Eo n * un renard couchés fur le d ev an t d e l’ef-
Cf K Æ
tampe fo n t traités avec les travaux qui le u r
co n v ien n en t. Le Sains eft afîia devant fon pup
itre & plongé dans l’étude des écritures ; fa
tê te eft d’ un cara&ère digne des grands maîtres
de l’Ita lie . Une foule d’objets entre dans la
compofition de cette eftam p e , & tous o n t le
caraélère qui leur e ft propre. Les travaux font
fins & ferrés fans maigreur ; le cuivre eft cou*
pé n ettem en t , mais fans avoir le b rillan t q u i
n u it à la vérité. La pointe ne rendroit pas avec
plus de g o û t ungrouppe de fabriques gothiques
ue celui qu’il a in tro d u it dans fon eftampe
e l ’hermite S aint-Antoine. On voit de lu i au
cabinet des eftampes de la bibliothèque du Roi
une épreuve retouchée d’une planche de Saint-
Jérôme qu’il gravoit en 1 ym , & q u i n’e ft pas
celle dont nous venons de parler : la planche
e ft peu avancée , les premiers travaux font e n core
feuls établis , 8c , quoiq u e tracés au burin
, ils font badinés comme un travail de pointe.
Il a quelquefois gravé à l’eau-forte & en bois :
il entendoit mieux ce d ernier g en re de grav
ure que ce lu i de P e au -fo rte .
Raphaël co nnut le s eftampes d’A lb ert D u re ra
8c l’on affure qu’il en fit affez de cas pour en orn
e r fon cabinet. On affure aufli q u e le Guide
les co nfultoit fo u v en t, & l’o n peut lu i reproch
e r d’en avoir quelquefois imité le fty le de*
draperies.
(9) Marc-Antoine , dont le nom de famille
e ft Raymondi , n aq u it à Bologne en 1 4 8 8 ,8c eft
mort vers 1546. I l e ft de d ix - h u i t ans plus
jeu n e qu’Alb ert Durer. C’e ft le premier Ita lie n
qui ait mis q u elq u ’art dans la gravure , & il e ft
fu r-tout célèbre pour avoir été le graveur d e
Raphaël. I l fe diftin g u a d’abord par des ouvrages
d’o rfèv re rie , mais il v it à Venife des
eftampes d’Alb ert D u r e r , dès lors fon inc lination
le porta vers la g ra v u re , & il s’y livra
tout en tie r. Les orfèvres alors pouvoient être
regardés comme des fculpteurs en arg en t ; ils
favoient bien modeler & bien deffiner , & pouvoien
t devenir aifément p e in tre s, leulpteurs &
graveurs. I l n’étoit pas rare de trouver des a r-
tiftes qui réunifient ces talens aujourd’hui trop
féparés. Marc - Antoine copia d’abord les e f tampes
de la paflion d’A lb er D u rer : on n’au.-
ro it pu que le louer s’il avoir fait feulement ces
copies par fon étude ; m ais ayant affez bien réuflt
pour tromper des curieux qui avoient moins de
connoiffance que d’amour des arts , il m it à
fes copies la marque d’A lb e rt, & les v en d ît
pour des originaux. Alb ert D u rer informé de lav
fupercherie , fu t m oins bleffé fans doute du to rt
qu’elle pourroit faire au débit de fes eftampes ,
que de celui qu’e lle portoit à fa réputaflon : il
v o y o it avec chagrin le débiter fous fon nom des
ouvrages trop inférieurs à fes ta le n s , 8c il en
adrefta fes plaintes aux magiftrats de Venife.
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Marc-Antoine fut obligé d’ effacer cette marque
trompeufe. Ses eftaiûpes peuvent être regardées comme
des copies affez «e^aétes, mais froides & timides
, des defiins de Raphaël, 8c faites par
un procédé difficile , que ne poffédoic pas affez
bien le copifte qui en faifoit ufage. Le co n to
u r e ft tracé au burin , comme dans les def-
fins à la plume. Quelquefois le premier tra it eft
co rrig é par un fécond , & ces correélions font
d’autan t plus précieufes" qu’on peut foupçonner
qu’e lles o n t été indiquées par Raphaël lu i-
mêmet Les travaux font roides 8c m a ig re s , ils
n ’offrent prefque jamais la grâce de la fa c ilité ,
8c font trop inflexibles pour ren d re la variété
des caractères propres aux différens objets : mais
fur-to u t dans les c h a irs , la première ta ille eft
toujours établie dans le fens le plus convenable,
& ce n’e ft pas un foible mérite ; un mérite plus
g ran d en c o re , celui qui fait toujours rech e rc
h e r ces morceaux , c e f t la pureté du trait.
Marc - Antoine grava d’après Jules Romain
d e s poftures obfcènes q u ’Arétin avoit décrites
en vers. Le Pape Clément V I I v ouloit le pun
ir de mort ; on o b tin t la grâce de l’artifte en
fav eu r de fes talens. Son maffacre des innocens,
g rav é d’après R a p h a ë l, e ft l’une de fes eftampes
c a p ita le s , & a été acheté foixante florins
p ar Berghem , à qui fa femme laifioit peu d’a rg
e n t à la difpofition
(10) Pend an t qu’A lb e rt D u re r faifoit florir
la gravure en A llem a g n e , & q u e Marc-Anto
in e l’exerçoit avec moins d’a r t , mais avec
n o n moins de g lo ire en Ita lie , Lucas Dammefz
co n n u fous le nom de Lucas de L eyde , dif-
p utoit dans les Pays-Bas la palme à ces deux
rivaux. I l fu t lé premier p eintre q u i fe f foit
diftin g u é en H o lla n d e , & nous avons parlé
de lu i à l’a rtic le école : il fu t aufli le premier
g rav eu r de fon pays dont le nom a it été con
fervé. H n aq u it en 1454, & étoit plus jeu n e
q u ’A lbert & Marc-Antoine. Un orfèvre fu t fon
maître pour la grav u re au burin ; il apprit les
procédés de l’eau-forte d’un arm urier qui en
faifoit -ufage pour les ornemens des cu-iraffes.
I l grav o it aufli en bois. Les Hollandois le m ette
n t au-deffus d’A lbert D u rer , mais les autres
nations refuferont peut-être de ratifier ce jugement
: on lu i reproche fn r-to u t d é te n ir davantag
e au caraélère g o th iq u e. C ep e n d a n t, malgré
ce vice & l’incorredtion du d eflin , les Ita liens
•eftiment fes eftampes , & D u re r eu t l ’ame aflez
rande pour n’ê tre pas jaloux d e cet émule. Il
t même, d it-o n , le voyage de Leyde pour le
■voir & g agne r fon amitié; Les travaux dè Lucas
d e Leyde font trè s-fins , & fes têtes ont dë
l’expreflion.
E n tre les élèves d’A lbert D u r e r , les plus
connus font défignés par le nom de Pe t it s -
•Ma it r e s , parce qu’ils n ’o n t guère gray é que
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de fo rt petites eftampes; Nous nous co n te n te rons
de nommer les plus célèbresC
( 1 1 ) Georges Penz , né à N u remberg en
15 0 0 , 8c mort en 15:56. Après avoir fa it fous
A lb ert de grands progrès dans la gravure if
fit le voyage de Rome , étudia les ouvrages de
R a p h a ë l, 8c trav ailla q u e lq u e temps avec Marc-
Antoine. On a de lu i un g rand nombre d’ef-
tampes. On y trouve la fineffe & la n e tte té de
la g ravure A llem a n d e , jointes à un „choix de
deflin qui n’étoit encore connu qu’en Ita lie .
(12.) Hans Sébald Beham , né à Nuremberg
en 1500, mo rt dans la même v ille en. 1550 ,
defîinoit la natu re avec précifio n , mais làns
cho ix : on le loue p our l’in te llig e n c e & l ’expreflion.
( 13 ) Henri Aldegraver, né à Soeft en
"Weftphalie en i$oz , mo rt vers 1555 , p e ig n it
d’abord des tableaux de c h e v a le t, 8c l’on affure
qu’il avoit un bon coloris. I l £e liv ra enfuite
entièrement à la gravure.
(14) Albert Aitdorfer , q u e les François
nomment le petit Albert. On ne fait s’il eft né
à A ltd o rf en Suiffe , ou dans la v ille de Bavière
qui p orte le même nom. IJ e ft mort à
Ratisbonne en 1538. I l fu t d’abord pein tre.
Quoiqu’il ne foit pas devenu l’égal d’A lb e rt
D u r e r , quelq u es-u n es de fes planches o n t été
attribuées à ce maître.
Tous foes g raveurs o n t manié le burin avec
beaucoup de fineffe , mais Georges Penz e ft
ce lu i d ont les ouvrages font le plus eftimés.
(15) On compte aufli parmi les P etits-Maîtres Théodore de Bry , né à Liège en 152.8, année
de la mort d’A lbert Durer, i l a ch erché à imite
r Sébald Béham , 8c a gravé d’après les defiins
de ce Maître. II y av o it de la délicareffe , mais
fouvent aufli de la féchcreffe dans fon burin.
Comme en Allemagne A lb e rt fit une école
de grav u re , Marc-Antoine laiffa des élèves en
Ita lie . Ils g ravèrent à - peu - près comme leu r
maître , 8c n’avancèrent point les progrès de
l’a rt. Les plus connus font A u g u ftin de V e nife
& Marc de (Ravenne.
(16) Mais Georges G h i s i dit le Mantouan,
fils de Jean-Baptiftè Ghifi d eB e rta n o , g ra v e u r,
& élève de Jules Remain , mérite de faire
époque dans- P a r t , au moins pour l’Ita lie . Le
b u rin peu flexible dans la main de M arc-Anto
in e , a c q u it aflez de foupleffe dans c e lle du
Mantouan pour ren d re d’une manière agréable
& favante les chairs délicates des en-fans , les
lin g e s , les tèrraffes , le payfage: I l fut v arier
fes travaux fuivant les plans & fuivant les objets.'
Sen^eftampe de la naiffance de Memnoa
e f t de l’année 156.0 , quatorze ans après la mo rt
de Marc-Antoine. On eft étonné que , dans un
temps aufli c o u r t , P a rta it fait tant de progrès.
Le Mantouan a g ra v é l’école d’Atheiies de R a -