
I N S sofer encore à nos yeux des traits de cette
{implicite que j’ appelle virginale , qui ne peut
partir que d’ un efprit affez heureux pour ignorer
les conventions, ou , au moins , pour en con-
noître les dangers.
Te ls font donc les moyens àinjlruchon qui
nous ont paru les plus propres à taire éclorre
des peintres nouveaux, 8c des talens varies.
Cette marche eft plus lente fans doute que celle
de montrer fans relâche à un jeune homme
adroit une pratique décidée fur tous les points
mécaniques de l’ art qu’ il iaifitèn peu a années -,
& qui impofe nêceffairement des bornes a les
difpofuions naturelles. Par cette méthode, fans
doute , on fera plus sûr de faire beaucoup d ar-
tiftes-, par celle que nous indiquons, ils feront
des hommes distingués, ou rien. Eh ! comme 1 a
dit un grand administrateur Quel befoin 1 état
a - t - il d’ un grand nombre de peintres, defculp
teurs & de graveurs médiocres ? (i)
Peut-être ne trouvera-t-on pas luffifant ^que
nous ayons traité d’ une maniéré il générale 1 inf-
truclion convenable aux hommes d eûmes aux
ta lens, & que nous n’ayons parle que des
grandes parties relatives au defini, au coloris
& à la compofuion. Cependant nous croyons
avoir rempli notre o b je t, fans qu il foit né-
ceffaire de nombrer la multitude des fciences
dans lefquelles un artiftë diftingué doit être
inflruit.C’ eft une matière fur laquelle on a parle
dans cet ouvrage -, elle eft d’ailleurs connue de
toutes les perfonnes qui cultivent les talens .
mais , toujours fidèles a nos principes , nous ob-
ferveronsque, de la multitude des connoiffances
que de Piles & les autres écrivains ont indiquées
, on ne doit inftruire chaque artifte que
Hans celles qu’ il adopte par goût , & qui
font propres à ton genre 8c à fon efprit , afin
qu’il ne perde pas fes forces à cueillir des
fruits dont il ne pourroit faire ufage.
Ce feroit aufiî l’ occafion de s’étendre fur la
queftion intéreffante -, lavoir fi les hommes diftin-
gués par leurs talens doivent communiquer la
connoiffance de la peinture.& de la fculpture , à
prix d’ arg ent, ou s’ ils doivent répandre Ÿinftruc-
tion d’ une manièreaufli noble que l’art lui-meme.
Mais , outre que ce feroit le fujet d’ un long
traité il a été difeuté avec beaucoup de détails
intérefians dans les oeuvres de M. Fa lcone t,
édition de 17 8 6 , tome 1 , page 109. Cet auteur
préfère ouvertement Ÿinjlru&ion gratuite, & il
e # peu d’ amespénétrées de la nobleffe de l’art,
qui ne partagent cette généreufe opinion. . «
Cependant nous penfons qu’ un a rtifte , gene
dans fa fortune, eît excufable de fe faire dédommager,
par un léger payement, de l’ emploi
du temps , & des frais qu’ entraîne une
fuite de leçons lumineufes & foignées. Mais
82.
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. quelcfb celui qui , rencontrant un naturel doué
tout à-la-fois de vertus & de difpoficions âux
talens, ne renonçât au tribut qu’ un tel eleye
n’ auroit pas la facilité de payer, pour 1 înitruire
& même l’ aider dans la longue 8c dilpendieufe •
, carrière des arts? ( Article de M» R o b in . }
IN T É R Ê T , (fubft. mafe.). Nous ne prenons
pas ici ce mot comme lignifiant 1 j v^ I.ta^,e
pécuniaire qu’un artifte retire de fes productions ;
mais dans le fens de^ l’impreffion vive ou profonde
que caufe un ouvrage de l’art fur 1 •efprit
des fpeélateurs. Un livre a de Yinteiet■ ,
quand il fe fait lire avec avidité ; un tableau
a de l’intérêt, quand il arrête le fpeftateur 8c
fe fait voir long-temps avec un plaifir toujours
nouveau. _ \
Un artifte , ou même un amateur leniible a
la belle manoeuvre de l’ a rt, peut s’ arrêter longtemps
avec complaifance à confidérer une feuille .
de plante bien peinte , une partie peu importante
par elle-même, mais traitée avec tout le ragoût
du pinceau. Ce plaifir, qui n’ eft fenti que par
les gens du métier, ou par le petit nombre de
perfonnes qui en connoiffent les détails,; n elt
point affez général ni même affez v if pour mériter
le nom d’intérêt. - •> . r ;
Pour qu«. l’ intérêt foit complet, il doit re-
fulter du fujët même , 8c de la manière dont
il eft traité. ’Un fujet fort .intéreflant par lui-
même , 8c traité par un artifte médiocre , n excitera,
dans l’ efprit du fpeélateur, que le regret
de voir qu’ il eft tombé en de mauvaifes mains.
Pour qu’ un fujet excite de l’intérêt , il faut
qu’il s’explique lui-même , 8c qurl offre une
adion capable d’émouvoir les pallions, ou qu’il
foit antérieurement connu du fpedateur.
Un enfant à la mamelle , ét.endu fur le fein
d’ une femme poignardée , 8c fuçant a-la-fois le
lait 8c le fang de fa mère -, voilà un fujet. qui
s’explique ^ffez lui-même , qui caufe par lui-
même affez d'intérêt. Peu m’importe que cette
femme ait été poignardée au maffacre de la Saint-
Barthélemi, au fac d’une ville-, dans unefédi-
tion , ou par la rage avide des brigands : le
temps , le lieu , la caufe , me font indiffère ns ;
le fujet feul fera toujours frémir un homme fen-
fib le , 8c pleurer une tendre mère, s
Si je vois une jeune fille expirante fur le corps
d’ un jeune homme qui n’ eft plus, leur âge ,
leur beauté , leur malheur , m’intéreffent fans
doute -, mais .l'intérêt fera plus v if fi je fais que
ce font deux amans * Pi rame 8c Thifbé, 8c fi je
connois les caufes touchantes de leur malheur.
Qu’ un tableau me repréfente, dans un taudis,
un- vieillard & une femme décrépite, prenant
enfemble un repas agrefte', ce f i jet vulgaire
m’infpirera peu d'intérêt: mais fi je fais que- ces
deux perfonnages font Philémom& Baucis, l’idée
de leur piété conjugale excitera dans mon ame ( j) M. Neckei, Compte rendu en i/l
I N T
un intérêt d’autant plus touchant qu’ il fera lié
à des idées de vertu , 8c la pauvreté de' ces époux
me les fera trouver encore plus refpeélables.
Alors je fixerai mes regards fur leurs vénérables
têtes; 8c fi l’ artifte a\bien exprimé dans leurs
yeux éteints par l’âge , la tendreffe qui leur
conferve encore quelqu’éclat , fi leurs lèvres
font animées par le fourire du fentiment, le
tableau m’attachera, je ne le quitterai qu’ à re-^
grec, 8c j ’ en conferverai long-temps un profend
louvenir. ' / ,
Un tableau repréfente un enfant entoure de
vieillards qui l’écoutent avec ■ attention. Si 1 enfant
eft beau , fa beauté caufera de Ÿ intérêt,
parce que la beauté iritéreffe toujours. On fup-
pofera d’ailleurs que c’ eft un enfant aimable,
& q u i, dans l’âge le plus tendre, montre déjà
de l’ efprit, puil’que des vieillards da'gne jitlé-
çouter. Mais combien s’accroîtra Ÿintéret fi le
fpeftateur eft chrétien, s’il fait que cet enfant
eft Jéfus-Chrift, dans le temple de Jérufalem,
au milieu des dofteurs, & commençant déjà
fa divine million ! •
L’artifte qui fe propofe d’ intéreffer, cho-.hra
donc des fujets capables de parler fans interprètes
à tous les fpeftateurs, d’ intéreffer par
eux-mêmes, ou il les puifera dans les livres
faints que tous les chrétiens doivent connaître,
ou dans l’ ancienne mythologie qui eft familière
à tous les hommes dont l’éducation n’a point
été négligée, ou dans les parties de l’hiftoire
grecque & romaine qui font généralement
connues. <
Mais, dans ces fources même, il eft un grand
nombre de fujets qui font connus, qu’on eft
obligé de traiter, & qui cependant ne peuvent
caufer un intérêt fort v i f *• le grand artifte
faüra leur en donner un , le plus puiffant de
tous , celui dont les anciens faifoient le but de
l’ art; Vintérêt de la beauté. Repréfentez Vénus ,
Junon , P ail as ; repréfentez même une figure
tirée de nos livres religieux , telle que la Madeleine
ou la Vierge elle-même : on recon-
noîtra ces figures ifolées, mais par elles-memes
elles intérefferont peu ; faites-les b elles, & vous
créez Vintérêt. # _
f Ceux-là fe trompent qui croient intereffer
plus vivement par un fujet complique que
par une feule , figure : ce qui eft vrai feulement
, c’ eft que plus leur ouvrage eft fimple,
& plus il a befoin d’être foutenu par la beauté.
Les nionumens de l’ antiquité qui infpirent un
Intérêt plus v i f & plus général ,• .font la Vénus
de Médicis & l’Apollon du Belvedere. J ’ofe
même croire que ces figures ifolees intéreffent
plus que le grouppe du Laocoon , quoique les
figures de ce grouppe aient la beaute dont elles
font fufceptibles & 1 ^intérêt qu’infpirent leurs
douleurs.
Le Brun eft l’ un des peintres françois qui
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ait le mieux connu la grande machine . il a
produit un nombre confidérable de grandes
compofitions , 8c a raffemblé dans toutes de tres-
belles parties de l ’art. Quel eft cependant de
tous fes-ouvrag.es connus, celui qui infpire le
plus v if intérêt ? Je ne le demande pas aux ar •
tiftes oui chacun fuivant fon inclination
genre qu’ 4 profelfe , pouiroit donner la préférence
a ^certaines parties abftrufesvde 1 art ou
même du métier ; je ne le demanderai pa^ aux
amateurs qui fembient quelquefois oublier leurs
fenfations propres pour paroître fentir comme
les artiftes ; je le demanderai au public, qui
eft le vrai juge de l’ art pour la partie dont il
s’agit en ce moment : l’ ouvrage de le Brun
qui l’ intèrefle le plus eft la Madeleine pem-
tente , que l’on voit aux Carmélites de la rue
Saint-Jacques. Quand une foule d’artiftes, d a-
mateurs, de connoifleurs, penferoient autrement
que le public, le public a raifon. U ne
connoît pas cet art trop fouvent factice des
grouppes qui le fatiguent plus qu ils ne lui
plaifent ; il ne connoît point toute cette etud«
vraie , & toutes ces con-v entions du coloris q u i,
par le défaut d’habitude, n’ont pas pour lui les
mêmes charmes que peur les curieux ; il ne
connoît pas tous ces plans dégradés qui font une
des glandes difficultés de la r t , & dont fouvent
il ne fent pas même la vérité quand on veut la
lui faire remarquer, parce que fouvent, en effet,
' cette vérité eft mêlée de trop d’ iliufions : mais
il voit Madeleine belle & affligée, il fe livre
à la double impreffion qu’ excite en lui la beauté
& la douleur; il plaint Madeleine parce qu’ elle
fouffre ; il la plaint encore plus parce qu’elle
eft malheureufe & qu’ elle eft b e lle , car c’ eft un
mouvement naturel de vouloir épargner toute
fenfation affligeante à la beauté : il fe livre
d’autant plus fortement au fentiment qu’il éprouve
, que ce fentiment n’ eft partagé par aucune
autre figure que Madeleine e ft feule , & que ,
par conlëquent, elle parle feule à fon coeur.
Les Grecs étoient très-fenfibles , & l’on doit
reconnoître qu’ ils ne fe font pas trompés fur ce
qui appartient au fentiment. C’ eft par une. très-
jufte ohfervation de fentiment qu ils ont généralement
compofé d’un très - petit nombre de
figures les ouvrages de l’ art. Us favoient^ que
Vintérêt le plus puiffant refulte de l’unité, &
qu’on l’aftoibiit d’autant plus qu’on le partage
fur un plus grand nombre d’objets.
Ils fembient n’ avoir prouvé par quelques
ouvrages qu’ ils étoient capables de fuivre les
loix que nous avons établies dans la compofition
que pour faire reconnoître que leur fim-
plîcité ne venoit pas de leur impuiffance, mais
. de leur choix.
S i , dans les ouvrages de l’ art, un fujet n’in-
téreffe qu’ autant qu’ il eft généralement connu ,
ou généralement fenti, on voit combien peu
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