
374 G R A niais il rie peut convenir à tout. On peut auîîi
lu i reprocher une molleffe générale caufée par !
le défaut de touche : ce défaut fe remarque fur-
tout dans fes draperies , & il y eft encore augmenté
par fa confiance à ne point quitter l’ ordre
des tailles qu’ il a une fois établies, tandis qu’ il
faut les abandonner br'ufquement quand l’ordre
des plis l’exige. Les plis longs & étroits doivent
être traités par des tailles prifes dans le fens
de leur longueur : ce procédé qui donne à la
gravure une grande fermeté ne fe trouve point
dans les ouvrages de Bloemaert *, il cherchoit
ce qu’on appelle le flou , qui eft toujours vo i-
fin de la molleffe. Cette même molleffe fe remarque
aufli dans fon tra it, qui tend plutôt à
la ligne circulaire qu’ au méplat. Ce defaut le
Tendoit plus propre à traiter les figures de
femmes que celles d’ hommes. I l a beaucoup
gravé d’après Pietre de Cortone , & fa manière
étoit affez d’accord avec celle de ce maître. I l
feroit injufte de refufer une grande eftime à
fes ouvrages -, mais il feroit dangereux de les
Imiter fans intelligence. On doit préférer fans
doute l’art d’Auguftin Carrache pour la préparation
des travaux : mais Bloemaert eft le pre- ;
rnier graveur au burin qui ait fu finir une ef-
tampe. C’ eft dire affez qu’avant lui on avoit
bien fu graver un deflin ; mais qu’il eft le premier
qui ait bien fu graver un tableau. Quoique
fa gravure fût généralement un peu froide , il
la rechauffoit par le ton, quand il gravoit
d’après de vigoureux coloriftes. On en peut
vo ir entr’ autres un exemple dans fon ~êftampe
représentant Saint-Pierre quiréffufcite Tabitha,
gravée d’ après Barbiéri da Gento.
Comme Bloemaert a fait école , nous allons
donner fans interruption la fuite des graveurs
qui ont adopté fa manière : car l’ordre chronologique
n’autorife pas à détruire l’ordre des
chofes. I l ne faut ni l’ oublier entièrement, ni ,
s’y trop affervir.
Si nous confidérions feulement l’ année de la
naiffance de Charles Audran 8c d’Etienne B a u det
3 nous les placerions avant Bloemaert. Mais
quoiqu’ ils fuffent un peu plus âgés que cet ar-
tifte , comme il eft vraifemblable qu’ ils ont
plutôt imité que créé fa manière, nous avons
cru devoir les placer après lui.
(48) Charles A üdran eft né à Paris en 15 9 4 ,
& mort dans la même ville en 16 7 4 . Il apprit 1
.d’ abord à graver dans fa patrie, 8c alla fe per- ;
feâionner à Rome : il put dans ces deux v illes
connoître Bloemaert ou du moins fes ouvrages,
& il mérite d’ être diftingué dans la foule des
imitateurs de cet artifte.
£49) Etienne B audjét , né à Blois en 1598 ,
8c mort à Paris en 16 7 1 a gravé d’une manière
généralement allez dure un grand nombre de
tableaux. Avec le grain quarré de Bloemaert,
jjl jnêloit l’ eau-forte au burin , ce qui ne peut
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féuflîr dans ce genre de gravure qui exige la
plus grande pureté. On ne peut cependant re-
tufer de l’eftime à fon eftampe de l’adoration
du veau d’or , d’après le Poupin & à quelques
autres.
(50) Michel N a t a l i s , contemporain de
Bloemaert, outra fouyent le grain quarré d»
ce graveur. Quoique fes eftampes aient du mérite
, elles peuvent fervir a prouver combien
ce choix de travaux eft vicieux dans les chaire
& les draperies. I l n’ eft réellement propre qu’à
graver la pierre, & il en donne le caraélère à
tous les objets où il domine. Quand Natalis a
quitté cette manière quarrée, ce qui lui eft arrivé
trop rarement, fa gravure ne manque ni
d’agrément ni de douceur.
(51) Giles Rousselet , né à Paris en 16 14 ,
mort dans la même ville en 1686 , a gravé
d’après le Guide les quatre travaux d’Hercule
du cabinet du roi : ces eftampes font bien
peintes 6c d’ un bel accord ; il faut cependant
en excepter celle de Déjanire qui n’a pas l ’harmonie
des trois autres. Sa manière tient ordinairement
de celle de Bloemaert.; mais fes tra-
vaux font plus larges , plus va rié s,'& fon exécution
a plus de chaleur. Son eftampe d’après
Bourdon, répréfentant la renommée qui porte
le portrait du Cardinal Mazarin au temple de
l’immortalité, tandis que la Mufe de l’hîftoire
offre à la France le récit des a&ions de ce
miniftre , eft un morceau qui mérite d’être d iftingué.
Mais fur-tout celle du Chrift au tombeau
, d’après le Titien \ eft à la fois d’une
gravure moëlleufe 9 large 8c vigoureufe. Elle
prouve qu’ il étoit bon colorifte , & qu’ il fa-
voit très-bien rendre les étoffes & les divers
objets qui peuvent entrer dans un tableau. On
a de lui des planches d’un effet fuave à l.a fois
& piquant.
($2) Guillaume Vallet , graveur François
qui floriffoit vers le milieu du dix - feptième
fiècle a travaillé à Paris & à Rome. I l gravoit
d’une manière large & colorée.
. (53) François Poilly , né à Abbeville en
1622 , mort à Paris en 1693 , alla fe perfectionner
à Rome dans l’art du deflin. Bloemaert
fut dans la gravure le maître qu’il prit pour
modèle, & il ïéufïit parfaitement dans cette
manière un peu froide , mais très-agréable 8c fort difficile.. Les tailles qui fe croifent quar-
rément ne fouffrent point une manoeuvre timide
8c ne produilent un effet heureux que par leur
parfaite égalité. La pureté de fon deflin répondoit
a pelle de fa gravure , 8c confervera toujours
un prix à fes ouvrages. Quoiqu’il ait été fans
doute fécondé par d’habiles élèves , on ne conçoit
pas qu’avec un procédé qui exige tant de
patience & de temps, il ait pu porter à près
de quatre cents le nombre de fes planches,
L’une des plus remarquables eft Celle qui repriSfènte
Saint - Charles Bo«om&i idmmiftràrit
plus, 8c qu
Mignard. , > ^ . /,„•
(54) Nicolas Pitau , rie a Paris en 1633 ,
mort en 16 76 , gravoit dans la maniéré de
P o i lly , mais fes tailles éroient plus males, ùa
Sainte Famille d’après Raphaël eft un chef-
d’oeuvre pour la beauté de l’o u til, la purete du
deflin , la vigueur & la jûfteffe de 1 effet. Le
caraéière de Raphaël n’a peut •• être jamais ete
mieux laifi dans aucune eftampe. L amateur qui
la préféreroit même à la fameufe Sainte Famille
gravée par Edelinck d’après le même maître,
pourroit donner dés raifons plaufibles de fon
choix. Pitau a prouvé par cet ouvrage que le
prince de l’école Romaine pouvoir donner aux
favoir les bien lire: v ,
(55.) Guillaume C ha' steau , rie a Orléans en
1*633 , mort en 1683 * fit un voyage en Italie
par curiofité, fe lia dans cette patrie des arts
avec un graveur , conçut en le voyant travailler
du goût pour fon a r t , & y confacra le refte
de fa vie. I l eft fur-tout connu par fes eftampes
d’ après le Pouflin , gravées au burin pur dans
le goût de Bloemaert 8c de P oilly , qui ne
convient pas parfaitement au cataélere de ce
maître. On connoît moins celles qu’ il a confi-
dërablement avancées à l’ eau-forte , & dans lef-
q,uelles on trouve certaines parties traitées
avec efprit & d’un très - bon goût. On peut
regretter’ qu’il n’ ait pas toujours fuivi cette
manière' plus pittorefque & plus lib re , dans
laquelle il auroit fait fans doute des progrès,
& qui auroit augmenté le nombre de fes ouvrages
& fa réputation. On lit dans quelques
ouvrages fur les arts que Chafteau etoit un graveur
médiocre : ou les auteurs étoient fort fé-
yères, ou ils n’avoient pas vu fes meilleurs ouvrages.
(5.6) E lle H ainzélma« ','natif d’Augsbourg,
étoit élève de Poilly , 8c tres-bon graveur dans
la manière de fon maître. On ignore l’ annee
de fa naiffance & celle de fa mort ; on fait
qu’ il floriffoit vers 1680.
(57) François S p ie r , né à Nancy en 1643 ,
& mort à Marfeille en 16 8 1 , exerça la peinture
, prit des leçons de gravure dans l’attelier
de P o i lly , 8c devint fupérieur à ce très-habile
maître. I l n’a vécu que trente-huit ans t 8c
mourut en revenant d’ Italie où il étoit allé fe
perfeétionner. I l a gravé d’ après Pietre de Cortone
, le Mole, le Bernin, & c . Quand il iuivoit
la manière de Bloemaert & de P o illy , fa gravure
ne cédoit en rien aux plus beaux ouvrages
de ces deux artiftes , ou plutôt elle méritoit de
leur être préférée; mais ils n?ayoient qu’ une
manière , 8c il changeoit la fienne à fon gré.
I l a gravé d’ une feule taille avec une fingu-
lière lbupleffe , 8c dans un goût tout à fai?
différent de celui de Mellan. I l y a peu da
graveurs au burin qui aient autant varié leur
manoeuvre ; peut-être même qu’ à cet égard aucun
ne lui.peut être comparé. Tantôt fa gravure
eft de la plus.grande fierté, tantôt elle eft fine
& badine. I l favoit quelquefois donner à Ion
burin un efprit que l’ eau-forte peut à peine lu i
difputer. Le porttait du Comte Laurent de
Marfciano , peint & gravé par lu i-m êm e , eft
un morceau remarquable par la couleur, quoi-
qu’aucune partie de cette eftampe ne foit pouf-
fée au noir. On a plufieurs belles eftampes de
là cempofition. On dit que fa manière de peindre
reffembloit à celle de Piètre de Cortone.
Sa V ie rg e , gravée d’ après le Corrège, eft un
chef-d’oeuvre -, e lle - a été vendue 500 liv. à la
vente dé M. Mariette.
(58) Jean-L ouis R o u l l e t , né à Arles en5
164$ , mort à Faris en 1699 , l’ un des plus habiles
élèves, de P o i lly , oc peut-être fupérieur’
à fon maître. En quittant cette école , il paffa
en Italie où il travailla dix ans entiers , & acquit
üne pureté de deflin qui le rendit capable
de graver avec fuccès d’après les plus grands
maîtres. I l fuffit à fon éloge de citer fa belle
eftampe des Maries au tombeau d’après Anni-
bal Carrache’, ouvrage admirable par la cor-
reétioii & la fermeté du deîTIn , par la beauté
du travail, & par l’ art avec lequel le graveur
a fu conferver l’ expreflion de fon modèle. On
a de lui des eftampes que l’on prendroit pour
de beaux ouvrages de Bloemaert -, mais celle
des Maries reftera toujours fon chef-d’oeuvre.
Bloemaert & fes imitateurs avoient introduit:
dans leur art cette partie du clair-obfcur qui
cenfifte à conduire par une dégradation fuivie
la lumière la plus piquante à l’ombre la plus
forte : c’étoit donner à la gravure la perfeélion
de là peinture monochrome ou en camayeu. Rubens
apprit un autre art aux graveurs qu’il di-
rig eoit, & dont plufieurs s’ étoient formés à fon
école. Comme la couleur propre contribue à
l’ èffet général du clair-obfcur, parce qu’une couleur
claire étend une maffe de lumière, 8c une
couleur obfcure ,-une maffe d’ombre , il leur fit
fentir qu’ ils détruifoient en partie l ’ effet d’ un
tableau coloré dans ce principe , s’ ils négli-
geoient de rendre la valeur de la couleur propre
, & il leur démontra que cette couleur
étant néceffairement par fa nature ou plus claire
ou plus fombre , pou voit fe rendre par le moyen
du noir ou du blanc plus ou moins dégradé.
Cette heureufe découverte ajouta une nouvelle
perfeélion à la gravure, en lui fourniffant le
moyen de rendre , non la couleur elle-même ,
ce qui eft abfolument impoflible avec du noir
8c du blanc , mais la yaleut & l ’ eftet de lg