
G G a i n ( fubft. mafc. ) L’amour du gain n’a
été que trop fou vent funefte aux artiftes -, trop
fouvent il les a détournés de la route glo-
rieufe que leurs difpofitions naturelles & leurs
premières études leur avoient tracée, & dans
laquelle meme ils s’étoient avancés,par leurs
premiers ouvrages. C’eft par l’amour du gain
qu on veut multiplier fes produélions , pour
multiplier aufli les momens où l’on en reçoit
lë prixj c’eft par l’ amour du gain qu’on fe
refufe a des études longues & difpendieufes
qui n augmenteront pas la fomme du payement
convenu ; c’ eft par l’amour du gain qu’on fe
fait une dangereufe habitude de 'travailler de
pratique , & que l’on tombe dans la maniéré,
pour expédier plus promptement; c’ eft par amour
du g a in , qu’on préféré la mode au beau, parce
que le beau n’ eft pas toujours recherché ni
même connu des amateurs, & que leurs ri-
chefles font toujours prêtes à récompenfer la
mode. r
Mais d’ un autre côté, l’ efpoir & l’amour du
gain ont leurs avantages. I l faut des motifs pour
fe confacrer à la vie laborieufe. On confenti-
roit difficilement à travailler, fi le travail n’a-
voit pas.un prix: mais-le gain eft propofé aux
hommes, & leur fait furmonter la parefle naturelle.
La nature leur donna l’amour de l’inaction
; mais elle leur donna le befoin qui les
force à l’aélivité. Souvent même l’artifte ne
pourroit cultiver fon a r t , s’ il n’étoit foutemr
par le gain qu’il en retire. Pour peindre, il
faut v iv r e , & pour vivre il faut gagner. Horace >
n’auroit pas fait fes vers / i l n’ eût pas été pau- i
vre ; Paupenas impulit audax ut verfus fa c e-
rem. Peu d’hommes fe feroient confacrésà faire
des tableaux, des ftatues, s’ ils étoient nés dans
l ’opulence; moins d’hommes encore auroient
fuivi conftamment l’ inclination naturelle qui
les porroit à la culture des arts, s’ils avoient
éprouvé toutes les diftra&ions que donnent les
ri ch elfes, s’ ils avoient connu toutes les variétés
de jouiffances qu’ elles procurent.
L’artifte a befoin de v iv re , mais non d’être
riche. Qu’il fe propofe l’exemple du Pouffin
qu’ il ait pour but un gain modéré & beaucoup
de g lo ire ; qu’il fe perfuade même que tôt ou
tard ce font les bons ouvrages, & la gloire
qu’ils procurent, qui amènent le gain.
Mais comment fe le perfuaderont-ils, fi cela
n’ eft pas vrai ; s’ils ont le malheur de vivre
dans un fiècle où l’amour du beau eft éteint;
fi les amateurs, négligeant les bons pvvrages,
G
ne payent que desvproduftions aufli méprifables
que leurs caprices; fi tous les amateurs fe piquent
d être connoiffeurs, & fi leurs connoif-
lances ne font que les erreurs d’ un goût déprave
. Faux amateurs , ( & combien en e ft-il
de véritables? ) Vous détruifez ce que vous feignez
de chérir ; vous mettez les artiftes dans la
neceflite de^ périr de misère ou de concourir
eux-mêmes a la perte du goût, en adoptant le
votre ; vous confacrez vos richeffes à dégrader
les talens; & par vous, le gain eft la réconv
penle de ceux qui contribueront avec le plus
de lucces a la dégénération de des arts. ( A r t icU M. L evesq u e. )
xul.il. xera. ; i^e terme appartient
a 1 Architedure.; mais les foeurs doivent
avoir des droits entr’ elles & c’ eft par cette
raifon que la peinture emprunte le mot galerie.
non pour fignifier une partie de palais ou d’appartement
dont la proportion eft un parallélogramme
tres-allongé , mais pour défigner les
ornemens dont on la décore.
Ces ornemens font, pour l’ordinaire, la do-
rure , la fculpture & furtout la peinture. Quelquefois
une galerie} eft dëftinée à renfermer
une colle&ion de tableaux raflemblés de tous
les pays & de toutes les écoles : quelquefois
elle elt peinte par un même artifte, q u i , à
la id e de diftributions symmétriques, y repréfente
une fuite de faits tirés de l’h iftoireou
de la fable , mais qui ont pour objet un feul
héros ,• telle eft la galerie où Rubens , au Luxembourg
> a rePféfenté l’hiftoire de Marie de
Medicis.
Pour rendre fenfibles les reffemblances établies
entre la poëfie & la peinture, il feroit
necelfaire de rapprocher les difîérens .genres de
leurs produdions, qui ont quelques rapports
entr eux. Aufli me fuis-je promis d’en oftrir
1 idée au mot genre ; mais je ne puis me refu-*
fer, a l’occafion de celui qui m’occupe, d’anticiper
fur cette efpèce de parallèle. *
Les compofitions dont- la poëfie a droit de
s enorgueillir davantage, font les poèmes com-
pofés de plufieurs parties qui, fufceptibles de
beautés particulières, exigent cependant que
ces beautés ayent une jufte convenance avec
l’ouvrage entier & une liaifon combinée avec
les parties qui précèdent ou qui fuivent.
Dans la peinture, un feul tableau, quelque
grand, quelque riche que foit le fujet, ne fem <
ble pas répondre complètement à cette idée;
mats un aflemblage, une fuite de tableaux , j
qui, indépendamment des -convenances parri-j
culières auxquelles ils feroient aftreints, au-
roientxencore êntr’eux des rapports fui vis d’action
& d’ intérêt, ofl'riroit fans doute une ref-
femblance alfez fenfible avec les Poëmes dont
je viens de parlér. -
On peut,donc avancer que les galeries, décorées
par de célèbres artiftes, capables non-
feulement d’embrafler avec génie une feule
compofition ; mais l’enfemble d’ un nombre de
compofitions relatives les unes aux autres &
divifées, non'en plufieurs liv re s , mais en un
certain nombre de repréfentations, peuvent être
regardées comme les poëmes de la peinture.
Defpréaüx, ce légiflateur, non-feulement des
Poètes, mais de la raifon & du goût de tous
les tems & de tous les arts, dit qu’une compofition
de ce genre.
N’eft pas de ces travaux qu’un caprice produit;
Il veut du temps \ des foins.. . . .
I l v eu t, oferois-je ajouter plus que tout cela,
un géniefupérieur. Aufli ne pofledons-nous qu’ un
bien petit nombre de beaux Poëmes & ne con-
noiflons-nous qu’ un moindre nombre encore de
Poëmes pittorefques ; & qui fa it , fi on exa-
minoit ceux qui font célèbres avec la même
févérité qu’on a employée pour apprécier les
Iliad e , les Æneïde; qui fa it , ,fi l’on faifoit
un peu moins d’ attention aux beautés purement
pittorefques des galeries connues, ( je n’ en
excepte pas celle de Rubens , ) fi l ’on n’en
viendroit pas à defirer ce que nous croyons
polféder ?
Quelle machine en effet à concevoir, à dif-
pofer graduellement, à exécuter, à animer,
qu’un poème pittorefque, tel qu’on peut au
moins s’ en faire l’idée / Ce feroit à des ouvrages
de ce genre qu’on reconnoîtroit véritablement
ce caraélère divin , attribué aux chefs-d’oeuvre
des grands genres, dans tous les tems & parmi
tous les hommes éclairé«
'Mais pour revenir à l’ ârt feul*de la peinture,
je crois que le plus puiflant moyen de le
foutenir, eft de propofer des ouvrages des
plus grands genres, & de n’ en laifler jamais
manquer les artiftes, qui, avec des talens
déjà diftingués , font dans cet âge où le defir
de la gloire éleve l’ame & le courage aux
plus liantes entrepriles.
Relativement à l’ art que je traite, je comp-
terois fu r Ion exiftence foutenue & fur des
rogres, s’ il y avoit toujours un certain nom»
re de ces grands ouvrages projettes. Qu’on
n objeéle pas les frais ; ils feroient compenfés
par la gloire nationale. Les moyens l Ôn en
trouveroit en engageant lés grands établifle-
piens ; le s ordres n çh e s , lorfqu’on leur accorde
des^races, les municipalités , à porter plutôt à
des ouvrages de cette efpèce qu’à des magnificences
paffagères ,' ces fommes dont l’ emploi
précaire ne laide aucun fouvenir. Que ces
âtteliers s’établident, foit dans la capitale,
foit dans les provinces; les jeunes artiftes s’em-
prederontde îolliciter pour en être les chefs. Ht
s’en occuperont en arrivant de Rome, dix ans ,
s’ il le faut, & feront, pendant ce tems au moins,
à l’abri de l’influence des moeurs pernicieufes
& du goût, fouvent égaré, de la capitale. Us
formeront & avanceront des élèves, en raifon
des fecours dont ils auront befoin, & fi fur
dix de ces grands ouvrages, entrepris dans
des gâteries, dans des réfeéloires, dans de»
folles d’hôtels-de-ville & de tribunaux , dans
des bibliothèques & des églifes dont les plafonds
& les dômes nuds réclament contre la
négligence qui les abandonne, un feul eft un
ouvrage fait pour reftèr célèbre/, les frais employés
aux autres ne le font pas perdus : car, fi lés
artiftes , chefs de ces travaux, y perdent de
leur g lo ire , il fe trouvera entre leurs élève»
quelque génie. Ignoré qui réparera un jour les
torts de fon maître.
Ces idées , que je crois infiniment Importantes
pour la peinture, exigeroient encore
des details que je dois, me refufer ici ; mais
pour me réduire à quelques obfervations
moins vaftes, fi les defeendans des mai&ns
illuftres , auxquels leurs chefs ont tranfmis des
honneurs héréditaires , fe font quelquefois permis
le faite glorieux & utile de faire repré-
lenter dans des galeries lés faits hiftoritfues
de leurs ancêtres, pourquoi les particuliers
même, lorfqu’ils croyent pouvoir fe permettre
des fomputofltes qui bleffent, ne feroient-ils
pas l'eprèfenter dans leurs galeries des aftions
vertueufes' & des poèmes qui pour être moins
héroïques, n’ en feroient peut-être que plus
attachans ? Serions-nous moins fenfibles à voir
les tableaux d’ une fuite d’aûions particulières
de juftice, de bonté, de générofité, que celles
que font entreprendre la gloire., la valeur &
l’ ambition, quelque nobles que pgiflent être,
ces motifs î- » Mais, dira-t-on., le fens de ces
» actions vertueufes & ignorées feroit difficile
» a -faire, entendre « Eh bien ! des inferiptions
fimpies feroient l’ expofition & on liroit ici •
les nfem im ens étouffés; l à , l'am itié éprouvée,
vlee rctwou rréacgoem pdtannfése l&'acd.verjité, l’innocence & la
,Pas Poffible de lier à un fujet le»
reprefentadons d’ un nombre encore plusreftreins
de tableaux qui orneroient un appartement
un cabinet même? Mais notre goût régnanê
& les décorations employées dans les nouveaux:
édifices qui fe conftrnifent & fe multiplient
avec une forte de déliré , s’oppofent phyfique-
mçnt a tout ce que la r^ifoti & l’ intérêt det