
force d’études, de foins , de tems, & par une
longue habitude des outils connus de tout le
inonde. Il falloit pour rendre, à l’aide du burin,
un tableau de grand Maitre, qu’un Artifte eût
paffé la moitié de fa vie à couper le cuivre d’une
main intelligente & sûre. Il employoit des années
entières à terminer une planche dont la reufïite
tournoit bien plus au profit de fa gloire que de I
fon intérêt. L’induftrie ( louable en général ) mul- ;
tiplia l’ufage d’un acide qui, mordant & creu-
lant en peu d’heures le cuivre, rendoit plus
promptement fans doute , mais avec moins de
précifion, & fur-tout moins d’accord, le defïin
ou le tableau. Gette manière , qui a certainement
fes avantages , lorfqu’on l’employe précifement
aux objets auxquels elle efl propre, l’emporta
fur l’ufage du burin, & les Artiftes l’adoptèrent
avec d’autant plus d’empreffement, que ce procédé
qui demande une pratique moins difficile à acquérir,
procure un gain plus prompt. Le burin,
fans prévoir le tort .que lui devoit faire cette invention
, fe prêta à réparer les défauts de l’eau-
forte , & les négligences de la pointe; mais la
Gravure , devenue ingrate envers lui par l’attrait
du gain & par l’introduétion d’un plus grand
luxe parmi les Artiftes, dirigea toute fon industrie
à fe paffer entièrement des moyens qui de-
mandoient trop d’étude , de foins & de temps.
L’on regarda, & l’on fit envifager au Public les
nouveaux procédés, comme des perfeétionnemens
de l’Art, parce qu’ils imitaient ou fîngeo ient,
pour me fervir d’une expreffion moderne, toutes
les différentes manières de defïmer des Maîtres
& même la Peinture , à l’aide des planches multipliées
& imprimées en couleurs.
Ces illufions ont pris faveur, & bien qu’on ne
difconvienne pas que ces procédés de Gravure
nouveaux, ou remis en ufage , ne foient ingénieux
; bien qu’ils puiffent être adaptés à certains
objets avec beaucoup d’avantage , il réfulte de
leur facilité, & fur-tout de l’abus qu’on en fait,
que d’une part, la véritable Gravure efl infiniment
trop négligée ; & que dé l’autre , la quantité
prodieufe d’ouvrages médiocres ou mauvais,
produits à la faveur des outils dont l’ufage efl
facile, contribue à altérer de plus en plus le
goût, & à déprifer ce qui efl véritablement efli-
mable.
Le peu de connoiffances pratiques que le Public
a des opérations avec leiquelles on produit
ces ouvrages , les foins qu’on prend de lui en cacher les procédés, lui font ignorer combien
on lui furvend les petites illufions auxquelles il
fe complaît, & combien il s’éloigne de la con-
noiffance des Arts , lorfqu’il penfe que des Ef-
tampes colorées, (invention très-ingénieufe fans
doute) font l’équivalent des Tableaux.
Si le Public, qui fe dévoue & fe prête fî facilement
à être trompé, daignoit s’éclairer à cet
égard, il ne .profcriroit pas les induflries donc
je viens de parler; mais en eftimant avec con-
noiflance leurs utilités, il les réduiroit principalement
à faciliter des connoiflances auxquelles
elles peuvent être véritablement utiles. Alors les
Éflampes imitant les deffins, feroient reftreintes
à multiplier & à procurer à un prix modique les
études de têtes , de parties, & \es Académies des
bons Maîtres, pour l’utilité des jeunes Elèves de
la Capitale ou des Provinces. Les planches coloriées
avec connoiffance, & dirigées par des fa-
vans , repréfenteroient & multipiieroient des imitations
inftruftiyes de plufîeurs objets ^ d’Hiftoire
naturelle , de Botanique ou d’Anatomie. Mais le
Public éclairé fouriroit à l’Artifie qui voudroit
lui perfuader qu’un tableau d’Hifloire & un beau
Payfage peuvent être rendus avec l’harmonie du
clair-obfcur , unie au charme du coloris par trois
ou quatre planches coloriées * qui s’efforcent au
moyen de l’impreffion, d’imiter ce nombre infini
de nuances, de tons, de pafTages, de legeretes
qu’un Peintre, habile colorifte-, répand dans fes
ouvrages.
Si c’étoit ici le lieu de parler de toutes les
charlataneries qui fe font introduites , & fe
multiplient dans l’Art de la Typographie ,
on mettroit dans ce nombre l’abus qu on. y fait,
de la Gravure, & des Eflampes enluminées ; on
infifleroit fur cette prodigalité dornemens qui
. demanderoient le goût le plus exquis & la me-
fîire la plus jufte , pour s’accorder parfaitement
avec les beautés fimples & l’uniformité fatisfai-
fante d’un caraétère parfait, mis en oeuvre fur
le plus beau panier, avec l’intelligence que demande
toutes les différentes dimenfîons & corn-
binaifons dont il efl fufceptible. Je dois me re?
fufer à ce? détails, & même a parler du char-
latanifme des'foufcriptions, des. éditions bornées
à un petit nombre d’exemplaires $ pour attifer le
defir trop commun aujourd’hui des poffefïions
. exclufîves. Ces abus font fî multipliés , fî frap-
pans, & fouvent mêlés d?une improbite fî grof?
fîère , qu’ils ne devroient obtenir d’indulgence
que de ceux qui ont le but mercantile, d’en.tirer
eux-mêmes parti , ou de ceux qui preferent
à tout la fatisfaâion d’un defir ou d’une fantaifîe
momentanée. Laifïons la plupart de ces curieux
ou faux-Amateurs regarderies livres même comme
des bijoux de luxe, qu’il faut craindre de toucher,
pour qu’ils ne perdent rien de leur valeur pécuniaire.
• .. : , .
C’eft cette valeur, fubflituée au mérite in-
trinfèque des- ouvrages artiels , que la charla-
tanerie aura toujours le plus grand intérêt d’établir,
& c’eft elle que, fans être cenfeur trop
amer , on peut regretter de voir de nos jours
s’introduire trop généralement dans les Arts, dont
1 elle efl l’ennemie, comme elle- l ’eft des moeurs,
: lorfqu’on y tolère avec trop d’indulgence les af-
! fedations & les hypocrifîes. CHASSIS«
CHASSIS. Le chaffîs d’un tableau efl un af-
femblage de tringles de bois, fur lefq»eiles on
affujettxt & l’on tend la toile qui doit fervir à
peindre. On trouvera, à l’article Chaflis du fécond
Di&ionnaire, ce qu’on entend par un chaffîs
à clefs & , dans les figures gravées, on trouvera
ce chaffîs repréfenté. On appelle encore
chaffîs, un aliembiage de tringles de bois, fur
lequel le graveur étend & aflujettit un papier
huilé ou verni, deftiné à adoucir l’éclat que le
jour ou la lumière produifent fur le cuivre ; foit
qu’on grave au burin, ou bien à l’eau-forte ; foit
qu’on travaille à ces fortes d’ouvrages, à l’aide
de la lumière du jour ou des bougies.
- c L
CLAIR-OBSCUR. Ce qu’on nomme clair-ohfcur, ;
efl i’effet de la lumière confidérée en elle-même ;
c’eli-à-dire , rendant les objets qu’elle frappe plus
ou moins clairs, par fes diverfes incidences , ou
plus ou moins o b leurs, lorfqu’ils èn font privés.
Pour rendre plus fenfible cette première explication,
le ce qu’on entend par clair-obfcur ^ daps
l’Art de la Peinture, ne confldérons premièrement
.qu’un objet.
Lorfque la lumière, partant d’un point, fe répand
fur un corps, une infinité de rayons, émanés
de ce point, fe dirigent fur l’objet çc±airé ,
& frappent tout ce qu’ils peuvent atteindre de fa
furface. Le rayon qui touche le premier quelque
point de cette furface, y porte la plus vive lumière
, parce qu’il y parvient moins altéré, s’y
dirigeant par une ligne plus courte que les autres
rayons du faifeeau dont il faiïoit partie.
Les rayons qui atteignent fucceflivement les autres
points , plus éloignés du foyer de la lumière,
fit qui ont eu par conféquent plus de chemin à
parcourir, font moins -éclatans ou moins lumineux.
D’ailleurs, fî l’objet a des plans ronds ou
inclinés , fur lefquels ces rayons ne tombent
pas perpendiculairement , ils gliflènt & ne fe
réfléchiflènt alors qu’imparfaitement: enfin, lorft
que ces rayons rencontrent un corps, une partie
ou un« furface qui en cachent une autre, celle
qui efl cachée refte privéè de la lumière direéte,
que lui portoient les rayons. Ce font ces diffé-
rens accidens de lumières & d’ombres, qui, dans
la Peinture, donnent lieu à la fcience du clair-
j.chfcur. Les effets que je viens d’énoncer font
plus fenfîbles, lorfqu’on les obferve fur un corps,
dont différentes parties fe trouvent à quelques
diftances les unes des autres; & c’eft en les choi-
fiflânt, & les difpolant ainfï, polir fon inftru&ipn ,
qu’on prend de premières notions juftes, qui fervent
enfuite de bafè à des obfervations plus
compliquées ; car il s’opère continuellement fur
tous les corps éclairés, (foit naturellement; foit
artificiellement,) des modifications innombrables
de la lumière & de l’ombre.
B eaux-A rts. Tome I.
Dans ces modifications, l’on doit faire entrer
comme objet effentiel, & fort intéreffant pour
l’harmonie colorée de la Peinture, les rejailliffe-
mens de rayons, & par conféquent de couleurs,
qui s’opèrent lorfque.la lumière, frappant les
corps .dans certaines directions , efl renvoyée *fur
ceux qui les avoifînent.
Il réfulte de tout ce que j’ai dit , que le
c lair- ohfcur comprend les dégradations de lumières
& d’ombres , & leurs divers rejaillif*
femensqui occafîonnent ce qu’ôn nomme reflets*
Les dégradations ne fe fuceèdentfans interruption
, que dans les objets dont toutes les
parties font lifïes ; dans une boule , par exemple
; mais elles y font fî multipliées, & en même
temps fi unies , que l’oeil qui n’eft pas exercé,
a peine à les faifîr ; & que le regard inftruit,
,ne peut même les faifîr toutes : mais le raifon-
i nement , fens intellectuel, nous fait voir dé-
monftrativementce qui .ne peut tomber fous la vue.
Les reflets font de deux efpèces , parce que
le réjailliffement des rayons ne porte quelquefois
! qu’une émanation de lumière , & quelquefois
porte une émanation ou un reflet coloré ; différence
qui provient de la diverfe nature des fur—
; faces , defqueiles part le réjailliffement. Les
corps durs & polis, à un certain point, tels que
les pierres , les métaux , ne donnent fouvent*
lieu qu’au reflet de la lumière ; les corps moins
unis & plus colorés , c’eft-à - dire, de couleurs
1 plus vives , femblent renvoyer , avec les rayons
qui réjailliflènt, des émanations de leurs couleurs
; mais,, parmi les couleurs , il en efl ,
comme je l’ai dit, qui femblent fepréter plus que
d’autres à ces accidens.
Il efl enfin certains corps qui s’emboivent ,
pour ainfî dire, de la lumière , & qui n’occafîon-
nent ni réjailliffement de lumière, ni réjailliffement
de couleurs.
Il réfulte de tout ce que j’ai dit , que les
dégradations fimples de la lumière , en raifon
des pians , s’étendent de puis fon plus grand
éclat jufqu’à la privation totale qu’éprouvent
les enfoncemens , par exemple , affer
profonds, pour que les réjailliffemens même de
. la lumière, ne puiffent abfolument y parvenir. '
Il réfulte encore que ces réjailliffemens qui
occafîonnent les reflets produifent des combinai-
fons & des modifications innombrables, & que
l’harmonie colorée provient de .ces caufes, toujours
opérées dans la nature , d’après des loix
confiantes , & tellement appropriées au fens de
notre vue , qu’il n’y a jamais de difccrdance
qui le bleffe.
Autant les élémens qui forment cette harmonie'
font- innombrables , autant il efl impoffible
de parvenir à la parfaite imitation que la
Peinture s’en propofe , & à l’exadkude géomé-
1 trique des opérations de la nature.