le fqu e , cônudérée en elle-mcme, eft d’ une bonne
escpnfjïon ; mais cette exprejjîon eft déplacée
relativement au fujet.
Quelquefois une exprejjîon peut être de la
plus grande bonté relative , fans avoir la bonté
abfolue. Raphaël- nous offre un exemple frappant
d’ une.exprejjîon de ce genre. Pour qu’ un
homme .en étouffe un , autre fous fes pieds
il faut qu’ il faffe ufage de toutes fes forces , &
encore feront-elles infufhfantes. Mais dans lé
tableau de Raphaël, faint. Michel, pour écrafer
le dcmon , ne le touche même pas. C’ eft que
le faint archange a. reçu pour cette aélion une
partie de la puiffahce. deJQieu même ; un .gefte ,
une intention lui fufht pour opérer. Son exprejjîon
feroit donc infuffi&nte., même ridicule * s’ il
•fi’ agiffoit. d’un homme. : elle eft fublime \ lorl-
qu’ il s’ agit d’ un miniftre de la divinité , &
Raphaël a peut-être été de tous les. peintres
le feul capable de la trouver.
Comme il eft refté jufqu’à préfent le plus.;
grand maître dans cette belle partie de. P a r t,'
nous croyons, pour faire çonnoître a cet egard
fes principes 8ç fa pratique, devoir tranfcrirej
ic i ce qu’en, a dit un peintre célébré qui l’ ayoit:
beaucoup étudié. . * : {$1 •
« L’ efprit de Raphaël étoit philofophique ,
» & ne pouvoit être touché que des chofes qui
» ont quelque exprejjîon. I f conçut les prë-
» mieres idées de Vexprejjîon figurée en voyant
m les ouvrages de Maflacio., les cartons de
» Léonard de. Vinci. C’ eft d’ après eux qu’ il .con-
» fidéra la nature fous toutes fes faces , s’atta-
» chant particulièrement aux affrétions de l’ ame,
» 8c à leurs effets fur le corps.
« Son premier foin , quand il vouloit compo-
» fer un tableau , étoit dé penfer à Ÿexprejjîon ;
s, c’ eft-à-dire , d’examiner fuivant lé fujet ,
» quelles pallions dévoient animer les perfon-
» nages en général .en fui te il calculoit les de-
53 grés de ces«paffions, 8c déterminoit les perfon-
35 nages auxquels il falloit les donner ; quelles
» efpèces de figures il devoir employer -, quel
>3 devoir êtro. leur nombre , \8c a quelle dif-
53 tance de l’objet principal il etoit convenable
a» qu’ elles fuffent placées pour mieux concourir
>3 a l’ effet général. Par ce moyen il concevoit
» l’ étendue de fon ouvrage, determinoitlagran-
» deur du champ, qu’ il devoir remplir , & les
33 rapports mutuels de Ÿ exprejjîon de Pobjet prin-
33 ci p al, 8c de celle des principaux grouppes. Il
» , confidéroit fi l’aftion fe. bornoit au moment
33 ' aâue l -, ou fi elle devoir s’étendre au-delà;
33 fi elle étoit d’une exprejjîon forte ou’foible,
» ou tempérée ; fi elle avoit ete precedee de
» quelque événement antérieur , ou fi quelque
» événement poftérieur devP.it la fu iv re ; fi
» la fcène étoit tranquille ou tumultueufe ,
33 agréable ou trifte , ordinaire- ou finguliere ,
» paifiblement ou tniiïultueufeïnent lugubre.
» Après avoir réfléchi fur tons ces détails,
» il choififfoit ce qui étoit le plus néceffaire
>3 pour difpofer fon objet principal, 8c lui don-
» noit la plus grande vérité 8c la plus grande
» clarté. Ses autres idées fe fui voient confor-
» moment à leur importance , & il plaçoit
»- toujours les chofbs les plus néceffaires avant
» celles qui l’étoient moins : de cette ma-
» nièce y fes ouvrages., fans manquer d’ati-
» eu ne partie effentielle, n’ en avoient aucune
» d’ inutile , 8c le beau s’ y trouvoit toujours,
» tandis que chez les autres arrifles -, le né-
» ceffaire manque fouvent , parce qu’ ils ont
» cherché da beauté dans les chofès inutiles.
. .» L o r fq u ’il paffoit à chaque figure en par-
.» ticulier, il ne cherchoit pas d’abord , comme
>» .les autres peintrçsi,*- l’attitude la plus pit-
» torefquë qu’ il pouvoit leur donner, fans
» prendre : garde fi ces figures convenaient
» au fujet ou non ; mais il réfléchiffoit fur
» ce qui fe devoit paffer dans l’ame d’un
». homme qui fe trouveroit dans ; une circonf-
» tance femblahle à celle , qui lui étoit offerre
.» par fon fujet. I l fongeoit en fuite à RëfFet
» que telle ou telle pafiion devoit faire fur
m le perfbnnagp qu’ il repréfentoit & quelle
» partie du corps ! devoit être " mue pour
» l’ exprimer: c’ eft à cette partie qu’il don-
» noit alors le plus d’aétion , en laiffant
» olfives celles qui n’ y étoient pas nécef-
» fairés. Voilà pourquoi l’ on trouve dans
» les tableaux de ce maître de ce? figures
» tranquilles droites, qui font auffi belles
» que ..celles dont le mouvement eft très-
» marqué dans- une autre partie du tableau,
» parce que cette, attitude fimple 8c tran-
» q u ille , fert à exprimer la fituation inté-
» rieure de l’ ame , & que les autres qui font
» en aélion , repréfentent des mouvemens ex-
» térieurs.
» Ainfi on trouve l’efprit de Raphaël dans
» chaque ouvrage, dans chaque grouppe, dans
» chaque figure , dans chaque membre, dans
» chaque articulation , & jufques dans les che-
» veux & dans les draperies. S’il fait parler quel-
» qu’ une de fes figures, on s’apperçoit fi fon
» ame eft ca lme , ou fi elle parle avec véhé-
» mence. Celle qui penfe , a véritablement l ’air
». d’ un homme qui médite ; 8c l ’on d-flingue
» dans toutes les pallions fufceptibles d’être for-
» tement rendues, fi elles ne font que com-
» mencer, fi elles font à leur plus haut période ,
» ou bien fi elles finiffent.
» Je m’écris point pour ceux que la parelfe
» domine, & qui prennent pour prétexte ,
» comme on le fait.fouvent, qu’ il eft impof-
» fible de çonnoître les beautés de Raphaël à
». moins que d’être à Rome : car je puis affii-
» rer que ceux qui font en état de réfléchir ,
» pourront faire toutes les remarques que je
w viens d’ indiquer, d’après les gravures que
» Marc-Antoine^ Auguftin de Venife , & d’au-
» très , nous ont données des ouvrages de ce
» grand maître;, quoique Vexprejfion y foit né-
» ceffairement aftoiblie...........
» L’objet qu’ il a eu principalement en v u e ,
» c’ eft l’ invention , & l’ invention confifte dans
» ŸeXpieJJîonAe la vérité. Toutes’ les figures de
» fes tableaux font.ee qu’ elles doivent être, &
» ne fauroi’ent fervir à exprimer une autre paf-
» fi O®. Le caraélère penfif, le trifte, le g a i, le"
» furieux , font tous également.bien rendus. Il
» n’a pas feulement donné Ÿexpreffion conve-
» nable à chaque figure,, mais le liijet entier
» & fes differentes épifodes ont les caraétères
. requis pour fervir d’acceffoires à la figure
» principale. Ce qu’ il y a d’étonnant, c’ eft la
» variété qu’ il a lu mettre dans une même ex-
» prejfîon, & le jugement qu’ il a montré, en
.» Te; iêrvant tantôt “ de plufieurs figures pour ;
».rendre une feul e exprejjîon; 8c tantôt d’ une
» feule partie d’ une figure : le tout fuivant que
.» l’ exigeoit.le fuje t, & non pas au hafàrd, &
» par urr fimple luxe d’imagination , mais félon
.» la véritable dignité;, & félon que la force de
». l ’exprejjîon le dëmandoit.
» I l offre des variétés fans contraftes recher- -
» .chés, des paffions violentes fans grimace 8c
.» fans baffefie. l i a même connuŸ exprejjîon de
» T ’anie & fes effets fur les tendons des difFé-
» rente» parties du corps , qu’ il a quelquefois
» exprimés par le feul mouvement d’un doigt.
» I l a fu faire ufage auffi des chofes qui n’é-
».rtoient bonnes, que parce qu’ il favoit les em-
=;>: ployer à-propos , 8c qui auroient fait un mau-
» . vais effet ailleurs. Aucun artifte n’a fu trou-
» ver comme lui le jufte degré du ni plus ni
». moins de mouvement que l’ame produit fur
» le corps. Trop fouvent, au lieu de perfonnes ■
» animées par une pafiion grande 8c forte, on
» a fait des efpèces de frénétiques, 8c pour
» rendre les mouvemens d’ une ame tranquille
» 8c fage r on a peint des figures froides & in-
» fenfibles. :
» Communément la première chofe fur la -
» quelle les artiftes fixent leur attention pré-
» férablement à toutes les autres , c’ eft l’ agen-
» cernent & la compofition de chaque figure,
» félon le contrafte & les- règles de l ’art : Ra-
» phaël, au lieu de fuivre cette méthode , fe
» repréfentoit d’abord à i’ efprit toutes les par-
» ti.es telles qu’ il convenoit qu’ elles fuffent pour
» concourir a Vexprejjîon générale -, enfuite il
» penfoit à l’objet principal de fon fujet ; &
» enfin à chaque figure en particulier : il n’en
» plaçoit aucune fans avoir examiné auparavant
» quelles étoient celles qui dévoient paroître
» le plus, en commençant tou jours par les par-
» ties qu’il vouloit faire agir pour exprimer la
» paffion, & en laiffant plws ou moins oifiyes
« celles qui n’étoiënt pas utiles à cette ex p re f-
» Jion. I l afu exprimer la fimplicité d’ efprit, le
a» recueillement, & toutes les paffions tant inté-
» Heures qu’ extérieures. J ’ entends par paffions
intérieures , celles que le peintre doit expri-
c< mer par les moindres parties 8c les membres
» les plus délicats, tels que le front, les yeux ,
» les narines , la b'ouche, les doigts , & c . Les
» paffions extérieures font celles qui fe mani-
» feftent par des mouvemens violens, qui font
» les effets d’ une paffion fpontanée ou portée à
» . l’excès.
» Raphaël a eu foin auffi de ne repréfentër
as jamais, ou du moins que très-rarement, une
» aélion achevée : j’ appelle une aélion achevée,
» lorfqu’il ne refte plus rien à faire pour la ter-
33 miner. Par exemple, une perfonne qui mar-
» che , quand elle a fait un pas 8c pofé le pied,
» ne-peut plus faire aut-e chofe que de reebm-
» mencer cette même aélion; Sc cette attitude
» ne fera pas un auffi grand effet dans un ta-
» bleau , que celle d’une figure repréfentée ac-
u tuellement en aélion, 8c qui n’a pas encore
» achevé le pas : c’ eft q u e , par ce moyen,
» on laiffe travailler l’imagination du fpeéla-
» te*»r, qui s’apperçoit aifément que la figure
. » doit finir le mouvement a élu e l, 8c ne peut
» pas refter immobile, comme celle qui a fini
» ce mouvement, 8c qui peut demeurer tran-
» quille fans en faire un autre. Une figure dont
» l ’aélion eft terminée, refte oifive & fansoccu-
» pation.
» Raphaël a employé une fineffe de l’art peu
» connue des artiftes- vulgaires ; c’ eft la mé-
» thode de cacher avec adreffe une partie du
» corps , telle qu’ une main, un p ied , &c, :
» "car on ne peut pas dire qu’ il n’a pas montré
» ces parties, parce- qu’il n’a pas fu les bien
» faire ; mais il ne s’ eft fervi de cette fage éco-
» nemie , que pour rie pas montrer des parties
» qui feroient reliées oifïves , ou qui auroient
» ôté aux parties principales quelque chofe de
» leur beauté. I l a fouvent. auffi caché certaines
» parties, à caufe du mauvais effet qu’ elles
» auroient produit avec une autre partie qu’il
» vouloit faire paroître. Ce qui prouve cette’
» idée, e’eft qu’ il n’ a pas fait ufage de cette
» méthode dans fes figures principales , mais
»'feulement dans celles qui pouvoient fouffrir
» quelque négligence apparente. « ( E xtra ie
des oeuvies de Mengs. )
Nous avons rendu .compte des obfervations
faites par le Brun , dans une,conférence de l ’académie
, fur la compofition du tableau de la
manne donnée aux iilaélites dans le défert, par
Je Pouffin. Nous avons promis alors de revenir
fur cet ouvrage de l’art, pour montrer, par
un bel exemple, comment toutes les figures
d’un tableau doivent concourir, par leurs e x -
p rtjjîo n s , - à l’ effet que le peintre veut produire.