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La m ag ie , au fens figu ré , magie puiffante
dans les effets , mais dont les principes & les
moyens font encore inconnus a la plupart des
hommes, s’ eft multipliée & s’ eft étendue par
les decouvertes des fciences , & fur-tout parles
progrès des arts libéraux. '
La magie de la peinture eft féduifante par
d agréables illufions. Ses artifices trompent facilement,
lorfqu’on ne fait point d’efforts pour
s en défendre, & non-feulemènt on ne lui fait
pas mauvais gré des erreurs qu’ elle caufe; mais
plus nous éprouvons qu’ elle nous abufe, plus
notre reconnoiflance & notre confidération augmentent
pour e lle : effet fort remarquable,
puifque le charlatan , ( efpéce de magicien
tort accréditée de nos jours) lorfqu’il elt convaincu
d’avoir trompé , excite la haine, l’indignation
^ ou le mépris , tandis que l’artifte
dont on éprouve de l’on reconnoit l ’artifice
excite l ’admiration & devient cher à ceux qu’il
a fait tomber dans1 l’ erreur. *
Je dis l’artifte en général, car chacun des
arts libéraux a fa magie qui lui eft particulière.
Ses effets font de tafeiner en quelque façon
deux de nos fens , l’ouïe ou la vue. Ces deux
fens flattes, ou habilement trompés , livrent
aux artiftes l’empire de l’efprit & du coeur de
ceux qui s’occupent de leurs ouvrages.
Dans Je nombre de fix arts que j’appelle
libéraux, .deux agiffent fur le fens de l’ouïe ;
les quatre autres ont pour objet de captiver
la vue.
La parole & la mufique produifent leurs
effets magiques par le moyen de l’ organe qui
fa it entendre.: la pantomime, la peinture, la
fculpture & î’ architeéiure , agiffent & exercent
leurs charmes fur l’organe de la vue.
On peut obferver, à ce fujet , que l’ouïe
eft un fens palîif, & qu’on peut regarder le
fens de la vue comme un inftrument a ft if; car
on peut relufer de diriger ou de fixer les yeux
fur un objet ; mais on n’a pas abfolument la
même‘ pniffance fur les ore ille s, bu du moins
cette pniffance , bien plus difficile à e x erc è r,
eft le plus fouvent en défaut, fi elle n’ emploie
pas de moyens étrangers.
Je n’ examinerai pas ici les différences que »
la nature de ces organes apporte aux effets des
fenfations que nous éprouvons ; mais je dirai
feulement que la magie de la peinture eft une ;
des plus feduifantes par fes illufions, parce '
qu’ elles ont un effet prefque général, qu'elles
agiffent avec une promptitude extrême, & que
les hommes vont d’ eux-mêmes, avec empreffe-
ment, au-devant de l ’illufion qu’ elles produifent.
La magie de la peinture eft appuyée fur celle
de la lumière, c’ e f t - à -d i r e , fur fes innombrables
effets qui produifent les couleurs & les I
modifient fans ceffe à nos yeux. I
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Mais, d’après ce fondement, l’art a cherché dans fes progrès, a étendre fes effets magique)
par le fecours de 1 ordonnance; par la beauté
a correéhon des figures, des expreffions ; par
la vigueur du coloris, enfin par une infinité
de myftères que les maîtres ou l ’étude apprennent
à ceux qui s’y dévouent.
Cependant, pour revenir à la plus ordinaire
acception du terme dont il s’agit dans cet
article , c eft a la couleur qu’il eft plus particulièrement
affeâé dans le langage de l ’art-
mais il faut pour qu’ il foit appliqué avec
Jufteffe , que le tableau dont on vante la marne
obtienne effèaivement fon effet le plus puillhnt
du mente la couleur , & que les caufes
particulières de l’ illufion qu’ il produit ne foient
fesS effenT 2 demê er par ceux flui en éprouvent
Un tableau eft remarquable par fa magie , fi
les couleurs y empruntent de leur harmonie,
de leurs favantes oppofitionsy de leurs diftribu-
tions meditees, une "valeur qu’elles n’ auroient
pas fans ces recherches.
Ces myftères des oppofitions, des tranfitions
ou paffages, des .relations ou fympathies des
diverfes couleurs entre-elles , & de l ’harmonie
puiffante qui en refulte, ne peuvent être pé-
netres & développés qué par une pratique fuivi©
& toujours raifonnée.
' Voyez opérer un favant a rtifte , vous apper-
cevrez fur a palette, dans le feul arrangement
de fes couleurs & fu r -to u t dans l ’ordre des
teintes qu il a préparées, une forte de magie
qui attache vos yeux & qui vous plaît.
Voyez-le enfuite prendre avec la broffe oit
le pinceau une teinte dont fon intelligence
-eclairee a preffenti l’effet, cette teinte, exa
minee feule dans l ’intervalle -qu’ il met à la
porter de la palette fur la to ile , offre fouvent
un ton que vous jugez fi peu convenable à
-1 objet auquel vous voyez qu’ il eft deftiné
que vous croyez ce choix une erreur de l'ar-
tifte : cependant fa main intelligente & sûre
la place , & dans l’inftant, par un effet vraiment
magique, les couleurs qui environnent
cette teinte, lui dérobent ce qui fembloit devoir
bleffer vos regards, ou cette teinte leur donne
elle-meme ce qui fembloit leur manquer.
C’eft la vigueur du coloris fur lequel s’ eft
monté la r t iffe , c’ eft le caraflère de l ’harmo
me , 1 accord des tons voifins, ■ qui font que la
teinte dont j ’ai parle eft précifément celle qui
convenoit a la place qu on lui affigne dît
J u’enr ce moment elle augmente ou complette
1 îllufion magique qui donne du relief à un
objet peint fur une furface p la te , & le-fait
fortir du fond fur lequel il fembleroit devoir
relier attaché.
Ainfi , dans la réunion d’ un grand orcheftre
un inftrument qui prélude f e u l , avant dè
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concerter , peut vous porter des fons durs ou
peu agréables par eux-mêmes, & ce même inf-
trument placé, réuni a ve c les autres , ou fuccé-
dant à fon tour à ceux qui préparent fon jufte
e ffet, en produit un que vous n’auriez pas
foupçonné.
Voilà une idée de la magie de la couleur :
quelques opérations d’ un artifte habile qui veut
bien initier fon élève ou un amateur curieux
dans fes myftères , lui en apprendroient plus qué
je ne puis le faire ; car s’ il eft bien établi
que ce qui paivient à l’ efprit par les y e u x ,
fait en général une imprefîion prompte &
durable , ce principe eft bien plus vrai lorfqu’ il
s’agit d’objets abfolument relatifs au fens de la
vue.
D’ailleurs , il eft dans les arts libéraux des
fecrets, pour ainfi d ire , que l ’art du difeours
ne peut éclaircir, & que la pratique dévoile
en un moment.
Je ne m’étendrai donc pas fur différens détails
des opérations de la peinture, qu’on peut
appeller ngurément magiques, telles que le
charme par lequel un.e couleur harmonieufe
arrête votre reg a rd , par lui votre attention ,
enfuite par c elle -ci votre intérêt fur un objet
principal, 8c d’autres d’ un genre femblable ,
parce que je m’étendrois trop. J ’effayerai cependant
d’ en donner quelques idées aux mots
propres & non figurés qui ffe trouveront y avoir
quelque rapport.
Je dirai feulement encore que les pratiques
de cette partie myftérieufe de l ’art font lujettes
à différentes méthodes. L’étude de la nature,
ou l’inftru&ion qu’on reçoit des maîtres & de
l’étude des bons ouvrages , doivent décider les
jeunes artiftes fur le choix.
Le génie doit aufîi les infpirer -, car c’ eft à
lui feul qu’eft réfervé de nos jours le pouvoir
magique, tel qu'il peut exifter parmi les hommes
iriftruits.
Cette fcience furprenante , la magie n’ eft en
effet aujourd’hui que le pouvoir des âmes fur
les aines, ou par leur propre àfeendant, ou par
le fecours des arts divins qui dépendent du génie ;
car ce font eux qui lui donnent les moyens de
maîtrifer 8c de modifier à fon gré les fens,
les efprits & les coeurs.
Pour vous, jeunes artiftes, vous voyez , par
ce que j’ ai d it, que la région des arts eft un .pays
de prodiges. Ceux qui l’habitent, femblables
aux anciens habitans de la Thëffalie, font plus
ou moins magiciens. Qu’il vous foit donc permis
de vous croire , puifque vous habitez cette région
, capables de parvenir à la connoiffance
des myftères qui l’ ont rendue célèbre &
d’opérer des merveilles & des preftiges.
Armez-vous d’ une baguette •, tracez des figures
, & fi vous êtes initiés dans les fecrets
dont vous devez faire u fa g e , ces figures, feu-
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lemènt tracées , cauferont des impreffions de
joie , de douce volupté, ou de douleur. Vous
ferez paffer dans les âmes, par des images
peintes ou des figures de c ir e , de terre , de
marbre, d’airain , la vénération , l’amour, le
délire ou la fagelfe. Vous ferez enfin revivre
les morts ; vous immortaliferez les mortels, &
il fèmblera qu’on voie agir & parler des hommes
q u i, réellement, n’auront aucune confiftance &
aucun mouvement.
Jeunes g en s , c’ eft figurément, il eft vrai-,
que je m’ exprime ainfi ; mais fi vous êtes nés
véritablement peintres, pourquoi ne vous parle
rois pas le langage des poètes? ne ferois-je
pas autorifé de même à parler aux poètes le langage
des peintres? vous avez tous la même defti-
nation , & il eft naturel qu’on entretienne avec
les mêmes idiomes ceux dont l’ imagination eft
également confacrée à s’élever fans ceffe au-
deffus des chofes ordinaires , & à donner, ’non-
feulement un corps aux êtres abftraits , mais
une ame à la matière 8c à des lignes de convention.
Laiffez - vous donc aller aux illufions, au
point de vous croire deftinés aux prodiges.
Si vous n’ eftimiez pas votre art plus que ne
font tous ceux qui ne font ni peintre*, ni
poètes, vous ne mériteriez jamais ces titres ;
vous feriez toujours confondus dans la foule. ■
Un homme qui aime véritablement, fe croie,
par la poffeflion de l’objet de fes affeélions, le
plus heureux , & par-là lé premier des mortëls.
U n? changer oit pas fon fort contre celui des
rois & même des dieux. Un artifte , dans la
jouiffance heüreufe de fon a r t , fe croit au-deffus
de tous ceux qui s’occupent des autres' connoif-
fances ; & celui qui eft vraiment p e in tre ,.re garde
, en les plaignant, ceux qui ne peignent
pas.
Enfin il eft nccefTaire, pour que les arts &
les fciences s’ entretiennent parmi les hommes
8c s’ avancent à leur përfeâion , que chacun
des favans 8l des artiftes croient avoir choifi
la première de toutes les profeflions.
Dans ce pays d’ illufions , dans la république
des arts , chaque individu q u i , fous une infinité
de rapports , eft égal à fes femblables, jouit de
l’ erreur féduifante de penfer qu’ il porte fa tête
au-deffus de tous ceux avec qui il fe mefure.
I l eft cependant peu de géans parmi eux. Quelques
uns qui,!'ont été, fefont crus fort inférieurs
à la taille dont ils étoient doués -, 8c je dois vous
dire q u e , par un effet magique, différent de
ceux dont je vous ai parlé , ce fenriment, qui
les diminuoit à leurs regards, les grandiffoit
à ceux des autres; ( Article de M . IVa t e l e t . )
' M A IG R E , ( adj.) M A IG R EU R , ( fubft. fèm)J
On. dit un pinceau maigre , un crayon maigre
Cintrait, un contour maigre , une touche mat--