
>2* P A Y diftribuent fur la terre la lumière & l’ ombre
fous toutes fortes de forme, fuivant la forme
& le mouvement des obftacles qui arrêtent
les rayons du foleil. On en voit journellement
des exemples dans la nature , & ils font fi
variés qu’on peut les regarder en quelque
forte comme arbitraires ,* le peintre en peut
djfpofer à fon g ré , fans avoir d’autres loix que
celles de l’on génie.
L’étnde du ciel eft trés-eflentielle au pay-
fagifte. La couleur du ciel eft un bleu qui
devient clair à mefure qu’i l approche davantage
de la terre*, c’ eft que les vapeurs
qui font entre nous & l ’horifon, étant pénétrées
de la lumière, la communiquent plus
ou moins aux ob je ts, fuivant qu’ ils font plus
voifins ou plus éloignés.
I l faut obferver que ,. vers le couché, du •
fo le il , la lumière étant jaune ou rougeâtre,
communique de cette teinte aux vapeurs ,
altère le bleu du c ie l, & lu i donne une teinte
plus ou moins verdâtre.
Cette obfervation eft generale : mais i l en
eft beaucoup d’autres qui ne peuvent fe faire
qu’ en confidérant aflidument la nature. C’ eft
ainfi qu’ on appercevra des nuages teints d’un
beau rouge quoique frappés d’ une lumière d’ un
jaune très v i f , & différentes nuées colorées d’un
rouge différent , quoique toutes frappées d’ une
même lumière. Cet effet fe remarque furtout
au déclin du jo u r , à l’approche d’un orage,
ou quand un orage vient de fe difllper.
Le caraélère des nuages eft d’ être légers &
aeriens dans la forme & dans la couleur*, &
quoique les formes en foient infinies, il eft
ütile de les étudier dans la nature. Pour les
repréfenter minces, il faut les peindre en les
confondant légèrement avec leur fond , fur-
tout aux extrémités , comme s’ils étoient tranf-
parens : pour les repréfenter épais, il faut que
les reflets y foient ménagés, de maniéré que,
fans perdre leur légèreté, ils paroifl’ent tourner
& filer avec les nuages voifins.
Quoiqu’ on voye dans la nature de petits
nuages multipliés 8c détachés les uns des autres
, cet effet eft mefquin dans l’ art. Si l ’on
introduit de ces petits nuages dans un tableau
Ï 1 faut les groupper de manière qu’ ils ne
faflent qu’une mime.
Le caraélère du c ie l eft d’ être lumineux,
& comme il e f f la fouroe de la lumière ,
tout ce qui eft fur la terre lui doit céder en
clarté. S’il y a cependant quelques chofes qui
puiffent approcher de la lumière , ce font les
eaux 8c les corps polis qui fout capables de
de recevoir des effets lumineux.
Mais lé ciel ne doit pas iêtre brillant partout
: la plus grande lumière .doit être ménagée
dans un leul endroit,* on la rendra plus
fenfible, en l’ expofant à quelqu’objet terreftre
p a Y
qui en relevera la clarté par fa couleur plus
opfcure.
Gette lumière principale peut encore être
rendue plus fenfible , par une certaine dif-
pofition de nuages, par le moyen d’ une lumière
Êuppofée , ou qui peut être renfermée entre
des nuées dont la douce obfcurité fera in-
fenfiblement répandue de côtés & d’autres. On
a de beaux exemples de c e i effets chez les
peintres Flamands qui ont le mieux entendu le
payfage.
Les lointains font plus qbfcurs quand le
ciel eft plus chargé; plus éclairés quand il
eft plus ferein ; quelquefois ils confondent
avec lui leurs formes oc leurs lumières. Les
nuages font moins élevés que les plus hautes
montagnes, 8c l’on en voit les fommets s’élever
au-deffus d’ eux. Les montagnes couvertes d©
neige font naître dans les lointains des effets
pittorefques ; mais qui ne peuvent être rendus
que par les peintres qui les ont obfervés.
Les lointains font ordinairement bleus à
caufe de l’ air qui s’ interpole entre eux & le
: fpeélateur ,*, mais plus ils font éloignés, plus
cette couleur s’adouiit.
Dans la dégradation des montagnes, il
faut obferver une liaifon infenfible par des
tourpans que les reflets rendent vraifemblables.
On doit furtout éviter qu’ elles tranchent
avec dureté & fembtent être' découpées fur
ce qui leur fert de fond.
L’ air qui eft aux pieds des montagnes étant
plus chargé de vapeurs , eft plus fufceptible
que la cime de s’imbiber de lumière. Cependant
fi la lumière eft fort ba ffe , c’ e f r la
cîme^qu’ elle frappe, & elle la rend tres-lu-
mineqfe.
Comme le ga^on offre différentes teintes
de verdure, parce qu’ il peut être compofé de
différentes fortes de plantes, & que ces plantes
peuvent être plus ou moins fraîches , plus ou
moins avancées dans leur végétation , plus ou
moins voifmes de leur deftruélion , le peintre
a le moyen de réunir , de rapprocher, de
diftribuer , de confondre plufieurs. fortes, de
verd fur un même terrein. C’ eft ce que n’ont
pas négligé les coloriftes , & entr’autres
Rubens. ,
La fo rm e lle s roches, leur dureté, leur
couleur font très-variées. Les unes font d’ une
feule maffe , les autres font diftribuées par bancs
parallèles, d’autres font compofées de blocs
énormes, dont quelques uns femblentmenacer
d?une chute prochaine. Quelques unes bnt l a £
peél d’ édifices ruinés, quelques autres offrent
des ondulations femblables à celles des flots de la
mer. Mais toutes ont des interruptions, des
fentes , des brifures ; elles peuvent être tantôt
nues , tantôt couvertes de moufles ou de
plantes : toutes enfin peuvent infpirer à l ’ar.
P A Y tîfte iffis variétés de formes & de couleur.
E lle s acquièrent un agrément nouveau ,, quan
des fources, jailliflant de leur fe in , ot tom
feant en cafcades, leur prêtent le mouvement
& la vie. r j
On appelle terrein en peinture un eipace oe
terre distingué d’ un autre , 8c fur lequ® *
n’ y a ni bois fort é le v é s , ni montagnes,tort
apparentes. Les terreins, plus que tout^
ob je t, contribuent à la dégradation 8c a en
foncement du payfage, parleurs formes, leur
clair-obfcur, leur couleur propre & la chaîne
qtii les lie . ,
Les terrajfes font des efpaces de terre a peu
près nuds. On ne les emploie guere que lur
le devant du tableau. Elles feront fpacieufes,
bien ouvertes, & femées de quelques plantes
, de quelques c a illo u x , de quelques pier- |
r e s , de quelques débris.
Les fabriques font les bâtimens dont un payfage
eft décoré. Si ces bâtimens ne font que
des cabanes , des chaumières , des retraites de
payfans , on les appelle fabriques rujtiques :
mais on réferre le nom de fabriques par e x cellence
aux édifices nobles & réguliers.
Les fabriques , fuivant les circonftances ,
peuvent être d’ une architeélure grecque ou
gothique , neuves ou ruinées. Les fabriques
ruinées ou gothiques entraînent une idee de
vqpufté qui ne manque pas de charmes pour
les âmes mélancoliques. Elles aiment a comparer
la nature toujours jeune , toujours re-
naiffanre, avec les plus folides ouvrages de la
main des hommes qui vieilliffent & finiffent
par ne plus offrir que des décombres. Les fabriques
nobles ajoutent au payfage beaucoup
de majefté ; les fabriques ruftiques reveillen.
les idées agréables de la vie douce & pure
que mènent ceux qui les habitent. On peut
les accompagner avec goût de ces^ uftenfiles
que les habitans des campagnes laiffent ordinairement
hors de leurs retraites; des échelles
, des baquets , des cuv es, de vieilles futa
ille s , des auges, des charrettes , des charrues.
Les chaumières font d’autant plus pittorefques
, qu’ elles offrent plus le caraétere
de la vétufte.
Gomme dans la nature une campagne arro-
fée eft bien plus agréable qu’ une campagne
a r id e , il en eft de même des campagnes feintes
ou repréfen-tées par l’art. Les eaux leur
prêtent un charme particulier, foit qu’ elles
tombent du creux d’un rocher ; foit qu’ elles
coulent avec impétuofité dans un ravin pierreux
où elles fe blanchiffent d’écume ; foit que
bordées de rofeaux , elles s’ avancent lentement
fous la voûte des arbres qu’ elles baignent ;
foit que des blocs de roches menaçantes portent
lur elles d’épaiffes ombres *, foit qu’ elles
Serpentent entre les cailloux 8c la verdure.
Jieaux-Arts, J 'ome I.
P A Y Mais les peintres qui en introduifent dans
leurs tableaux doivent être parfaitement inf-
truits des principes de la réflexion aquatique.
Ce n’eft que par cette réflexion que les eaux
en peinture offrent l’ image de véritables eaux ;
fi l’artifte , ne confultar.t qu’une pratique
aveugle , manque à la vérité , fbn onvrage
eft privé de la perfeélion de fbn e ffet, & la
joüiffance du fpeélateur eft troublée par ce
défaut de jufteffe. Si les eaux font agitées ,
leur fuperficie, devenue inégale , reçoit fur
fes ondulations des jours & des ombres qui ,
fe mêlant avec l ’apparence des objets, en altèrent
la forme & la couleur.
Le peintre ne fauroit trop étudier les objets
qui font fur les premières lignes du tableau :
ils attirent les yeux du fpeélateur , impriment
le premier caraélère de vérité , & contribuent
beaucoup à préparer l’opinion que l’on doit
prendre de l’ouvrage
Les plantes dont on enrichit les devants de
la compofition doivent être d’ un beau choix
8c fe diftinguer par la grandeur de leurs for®
mes. I l eft très-utile d’en faire d’après nature
des études deflinées & mêmes peintes. Elles
auront un caraélère frappant de vérité qui donnera
de la confiance pour le réfte de l’ou-
i vrage , quoique les parties n’en foienr pas
traitées de même d’après le naturel. Ce font
les vérités q u i , dans les arts, comme ailleurs,
font paffer le menfonge 8c le rendent féduii’ant.
On peut auffi placer fur le devant du tableau
des troncs d’arbres abattus par l’orage , des branches
encore chargées de leurs feu ille s , des
arbres déformés dont les tiges tortneufes tantôt
évitent la terre & tantôt affeélent de ramper
à fa furface , des pierres chargées de plantes
8c de moufles, des fragmens de rochers ,
& c .
Les figures d’hommes & d’animaux peuvent
! être comptées au nombre des richeffes qui ornent
les devants des payfages : mais fi ces
figures font mal traitées , elles ne font que
dégrader Tou vrage au lieu de l’ embellir. Cependant
elles ne font que des acceffoires à ce
genre , 8c elles y font un mauvais effet , fi
elles offrent un fini plus recherché, plus précieux
que celui des autres objets. Elles doivent
être capables de foutenir l ’attention du
fpeélateur , mais elles ne doivent pas l’ appel 1er
principalement. Le payfage demande à être
touché avec e fprit, nous en avons dit ailleurs
la raifon *, il faut donc que les figures participent
au même fa ire , & foient touchées d?
même. I l y a de très-beaux payfages, ornés
I de fort bonnes figures faites d’ une autre main ,
\ qui nuifent au tout - enfemble par le défaut
d’ accord dans le faire.
I l faut auffi prendre garde que f i , dans le
payfage , les figures font d’ une trop * grand?
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