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des anciens temps, pouvoient revivre & s’ offrir
à nos yeux , nous refuferions de les reconnoîtrfe
parce qu’ ils ne feroient que des hommes.
I l n’en eft pas de même de l’hiftoire récente :
comme les héros de cette hiftoire ont vécu
dans un temps voifin du nôtre, nous ne lommes
pas éloignés de croire qu’ils nous ont reffemblé.
Quelquefois même nous connoiflons les portraits
de quelques-uns de ces héros : le peintre doit
conlerver ces reffemblances connues, & comme
il repréfente çes perlonnages fous leurs traits
individuels , il faut aufli , pour l’accord qui
doit régner dans le ftyle d’un même ouvrage,
qu’ il reprélente fous des traits individuels les
perlonnages même dont on n’ a pas confervé
lès portraits. Ce genre, fuppofant peu d’ idéal,
eft inférieur au genre vraiment héroïque de
l’ hiftoire ancienne , & fe rapproche même à
beaucoup d’égards de celui des portraits hiftoriés.
C’ eft à ce genre que Paul Véronèfe eût été
principalement deftiné par la nature, s’ il avoit
mieux connu l’expreflion.
Qui croira jamais que la tête-de l’ Apollon
du Belvedere foit le portrait fidèle même du
plus beau jeune homme que l’artiftè ait pu
connoître? Nous accorderons, fi l’ on veut *
que cette tête viaiment divine aété faite d’après
un feul modèle : mais combien les indications
de ce modèle ont été aggrandies, ennoblies,
& en quelque forte déifiées par l ’auteur 1 Combien
les grandes formes ont été rendues plus
grandes encore ! avec quel art les petits détails
ont été facrifiés ! & comme la fièré & (impie
expreffion d’ une colère tranquille , telle' que
peut l’ éprouver une puiflance Supérieure, ajoute
encore à la beauté fublime des traits !
Etudier la nature individuelle, la feule qui
foit à notre difpofition , la dépouiller de fes
misères, & l’élever à la beauté que renferme
l’ idée de la nature générale, telle eft l’ ob ligation
de l ’artifte qui cultive le genre poétique
de l’hiftoire.
Mais s’il eft permis, s’ il eft même ordonné
de s’écarter de la nature individuellea ce n’eft
que pour l’ embellir. Saiis doute i l vaudroit
mieux que les tableaux d’hiftoire offriffent des
portraits bien étudiés & reffemblàns, que des
têtes comme flous en avons vu long-temps dans
le s tableaux de qcelqües-ufls de nos peintres,
qui ne s’écartoient de là nature commûiîe que
par une laideur qu’on pouvoit nommer idéale ,
parce qu’on : n’ en voyôit pas de modèles dans
la nature vivante.
» Gela eft bien fingulier î Où donc avezvous
IN G En effet, il fembloit qu’on fe fût fait alors
un principe de négliger les extrémités Se même
les têtes , & qu’on fît confifter la partie idéale
de l’art dans une pratique arbitraire & libertine.
( A rticle de M. L e r e s q u e . )
appris votre art ? Comment vous faires'
» des oreilles qui reflemblent à des Oreilles?- «
difoit , avec, une ironie amère contre la pratique
de notre école, un favant artiftê à un
jeune peintre qui arrivait de Rome, & qui eft
aujourd’hui l’un de nos plus célèbres maîtres,
IN G R A T , ( adj. mafc. ). L’homme ingrat
eft celui q u i, dans l ’ordre moral, fe reful'e au
fentiment jufte & naturel qui doit l’attacher
à quiconque de fes femblables a employé pour
lui des foins, des peines, ou qui a fa.it des frais
dè quelque nasure qu’ ils foient.
Dans le langage de l’ a rt, un fujet de peinture
ou un objet que le peintre veut imiter t
s’appelle ing rat, lorfqiie , ( parlant figurement^
il paroît fe rëfufer aux efforts, aux foins, aux
moyens qu’ emploie l’ a rtifte , pour l’iliuftre r,
en quelque façon , par fon art.
Mais dans la nature vifible q u i, toute entiè
re , eft l’objet de la -peintu re , comment ,
direz-Vous, certains objets fe refufent-ils plus
que d’ autres aux travaux, aux foins & aux
frais que fait l’artifte? Voici ce qu’il faut ob-
ferver à cet égard. Le fuccès d’ une imitation-
qu’ entreprend l’ a r t , dépend quelquefois de la
nature de l’ objet qu’on imite & doit répondre
à fa deftination. I l fe peut faire que cet objet
trompe , pour ainfi. dire , l’ a r t, en fe refufant
à fes moyens y & il fe peut encore qu’ il fe-
prête difficilement au-but impofé à. l’artifte.
Reprenons en peu de mots ; ces principales
circonftances,- qui peuvent faire regarder un
objet comme ingrat.
Un objet eft , par fa nature, ingrat ; pour
l’art & fe refufe à l ’ imitation, lorfqu’ il e ft ,
par exemple , très - difficile à bien obferver.
Ainfi l’objet fu g itif, l’ objet trop en mouvement,
l’objet qui change fouvent de formes, de couleurs
, ae caraftère , eft. ingrat. Dans ce fens ,
l’éclair difparoît trop promptement. Certains
accidens d’ une tempête préfententle c ie l, l’eâu ,
les fubftances mobiles dans des mouvemens fi
extraordinairement compliqués , que l’obferva-
tion exaéte , & par eenféquent l’ imitation
d’après-nature, eft comme impoflible à l’artifte.
En effet, non-feulement l’oeil ne peut les fix e r,
mais la nature a peine à les retenir affez fidèlement
pour les imiter avec exactitude à l’ aide
dn fouvenir,
Il eft une fécondé difficulté que j’ai défignée
ou une fécondé caufe de l ’ingratitude d’un objet
qui tient de bien près à celle que jie viens
d’ expofer.
Les moyens de l’ art de peindre qui font
détaillés dans ce dictionnaire, fe trouvent dans
quelques cas i-nfuffifans pour l’imitation. Par
exemple, la lumière éblouiffante de la foudre
ne peut fe rendre d’ une manière qui fatisfaffe.
Les couleurs, de quelque maniéré qu’ on les.
emploie , n’oaf pas affez d’éclat y les procédés
I N g
p a r lequ e l* on peut leur donner plus de
brillant, c’eft-à-dire, les oppofnions & les autres
artifices que l’art perie&ionne met en ufage ,
ne peuvent porter l’ effet des couleurs a cet éclat
défit j’ai parlé & dont les hommes ont une
idée fans fceffe renouvelle® par la lumière du
foleil & par celle du feu. . . ,
I l en eft de même, comme je 1 ai ait , ae,.
certains accidens des tempêtes-, car ces accidens
tiennent de fi près au mouvement & a des
effets fucceffifs & inftantanes de tenebres Sc de
lumière , qu’ ils fetrefufent ( p o t fe n revenir au.
fens:figuré)-à.payer l’artifte demies! peines, de
fes foins.,: des .&ais> enfin qu il tait pour les/
obferver & l'es imiter avec fidélité.^ '-y
Cès objets font donc ingrats & a 1 art fie a
l’artifte. . , • '
.Venons- à. l’ ingrafitude .de .certains objets ,
relativement à I la deftination qtfe 1 amfte le
propofe ou qui luiielbimpoféevJe me bornerai
I Ine feulé -fuppofition. Q u e 'l’ intention du
qu’on lui offre a.repréfenter y font,moins pr
près , il a. plus de difficulté a y parvenir
ces objets.font ingrats, relativement a la délit-
Si l’on exigeoit de i’artifte de peindre la
Tentation de Saint Antoine* à-peu-prè s dans
le genre de compofition qu a employé C a llo i,
& de rendre ce tableau aimable, 1 arrifte vrou-
V,eroit les monftres fantaftiques qu’ il feroit
obligé de créer, fore ingrats aux foins & aux
peines qu’ il prendrait pour remplir , avec leur
fecours, la tâche qu’on lui aurait impofee. ^
Tout objet t r iv ia l , burlefque ou b a s , a.
plus forte raifon tout objet rebutant, eft donc ,
pn général, ingrat pour l’ artifte, fur-tout il
l ’on exige de lui d’ intéreffer & de plaire. ;
‘ Ces objets ne deviennent favorables que dans
^intention ou’on aurait d’ infpirer la dérifion,
de produire; le burlefque. C’ eft dans çes .intentions
que- font employées les figures bizarres
de Callot que j’ai cité -, c’ eft.ainfi que H ogarth,
peintre fatyrique àn g lois , a d’ autant mieux
rempli fon b u t , en peignant les moeurs corrompues
& les ridicules du pays où il a vécu ,
qu’ il a rendu quelquefois ou plus burlefques
ou plus rebutantes les aCtions , les attitudes,
les figures enfin qu’ il repréfentoit.
. Ces objets alors, loin d’ être ingrats , foit
par leur nature , foit relativement à la deftination
de l’ ouvrage , répondoient aux foins,
qu’ il prenoit de les imiter & aux frais qu il
faifoit pour les bien faifir.
r Au re fte , le génie eft riche & abondant en
effoùrces pour combattre l’ ingratitude des objets
qu’ il s’ attache à repréfenter, & fouvent on
fait un tel gré à l’ artifte d’ avoir, furmonté de
grandes difficultés, que ce mérite fupplée à ce
I N Si ' 4 H .
q u i , d’ ailleurs , peut manquer à la perfeélion
de l’ouvrage. . t , ,c .
.Cette obfervation conduirait a des réflexions
fur. ce que la connoiffance ou l’ idée des difficultés
furmontées ajoute au plaifir & à l ’eftinie
que font naître les ouvrages' des arts -, mais
cette matière eft plus curieulè, qu’ elle ne peut
être,.véritablement utile aux artiftes.
I l en peut réfulter que les hommes ^ en général
ne défirent pas, dans les produétions des
arts, d’ être parfaitemènt trompés. Ils veulent,
comme dans les demi-fommeils goûter prefqu à-
la-fois le . charme, de l’ erreur & la fatisfaclion
de la connoîtreé \ ;
Cette l'enfation compofée augmente le plailir ,
lorfxiu’ ellé ,eft .dans une jufte proportion. -
L’ illufion complette ferait d’ une efpece fort
différente: de rcètte illufion mixte dont je viens
de parler, & c’eft certainement cette dernière
à laquelle, doivent tendre les a r t s , lorfqu’ ils
veuj;ent plaira aux, yeux . &;-affe&er l’eTprît &•
l’ame. C?eft à l’aide de cette illufion; mixte
qu’on pleure avec délice, à; l’imitation toujours
incomplette d’ une aSion repréfentée fur le
théâtre^.. &r. itiêrne à l’occafion de la repréfen-
tation muette qu’ offre un tab|eau. On n a. point
honte de femir qu’on eft trompé, & l’on fe
prêté à Pêtre. .
:. Les artiftes peuvent donc . compter; lur ,ce
fecours que leur prêtent les Cpeflateurs v.& ;dont
ils ont trop fouvent befpin ; mais ils :doiyei>t:
craindre que y s’ ils n’ont,pas f a i t . affez^de frais
pour mériter qu’on les aide , on ne i fu r devienne
contraire. : . ■ . ^ . fM ) fl
Je finirai en leur difant : ,» Le mauvais
choix dës.objets trop ingrats, eft fouvent l’effet
du peu de méditation que vous y mettez, ou
de ce que.vous comptez trop fur 1 indulgence
qu’exigent les moyens de l ’art.-
Le parti p lu so u moins - heureux que vous
pouvez cirer des. objets q ig ra t s , dépend de la
méditation, des.obiervations raifonnees, & du
travail auquel vous devez vous confacrer.
Au re ft e , tout fujet eft ingrat, pour le
peintre médiocre. ftg
Au contraire, il eft très-peu de fujets ou
d’objets abfolument ingrats pour le tale.nt fu-
périeur,-La difficulté donne des forces au génie
& les ôte au talent foible.
Je ne dois pas ramener le mot ingrat a fon
fens le plus naturel ; mais je dirai cependant
que les élèves d’ un bon maître font coupables
du crime d’ingratitude, lorfqu’ils ne confervent
pas pour lu i, toute leur vie , les fentimens que
des fils bien nés doivent à leurs pères. ( A rtic lt
de J f . XTa t e l e t . )
IN SC R IP T IO N.,:( fufcft. fera.) Phrafe courte
qu’on employe quelquefois pour fervir d e x -
1 plication à un ouvrage de 1 art. On accom